Côte d’Ivoire: Laurent Gbagbo appelle au dialogue pour éviter la «catastrophe»

© AP Photo / Peter Dejong, Pool / NETHERLANDS INTERNATIONAL COURT IVORY COASTLaurent Gbagbo
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Au vu du contexte qui prévaut autour de l’élection présidentielle du 31 octobre, la Côte d’Ivoire fonce tout droit vers la «catastrophe». C’est ce qu’estime l’ancien Président ivoirien Laurent Gbagbo, sorti de son silence qui durait depuis près d’une décennie. Dans une interview télévisée, il a appelé les acteurs politiques au dialogue.

Cela faisait neuf ans que Laurent Gbagbo ne s’était pas exprimé en dehors du cadre de son procès à la CPI. Autant dire que l’interview qu’il a accordée à la chaîne de télévision TV5Monde était particulièrement attendue en Côte d’Ivoire.

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L’ancien Président ivoirien (2000-2010) est actuellement en liberté conditionnelle en Belgique, dans l'attente d'un éventuel procès en appel. Il a été acquitté le 15 janvier 2019 par la CPI après huit années de procédure, l’audition de 82 témoins, 231 journées d’audience et l’examen de milliers de pièces (notamment des documentaires et des vidéos). Les charges retenues contre lui étaient celles de crimes contre l’humanité (meurtres, viols, autres actes inhumains, ou tentatives de meurtre et actes de persécution) qui auraient été commis lors des violences postélectorales entre le 16 décembre 2010 et le 12 avril 2011 en Côte d’Ivoire,

Dès le début de cet entretien, qui intervient à deux jours d’une présidentielle à hauts risques, il a mis un point d’honneur à lever l’équivoque sur le long silence qu’il observait:

«J’attendais d’être de retour en Côte d’Ivoire avant de parler mais la date du 31 octobre approche. Je vois que les querelles nous amènent vers un gouffre, en tant qu’ancien Président, ancien prisonnier de la CPI, si je me tais, ce n’est pas responsable. J’ai donc décidé de m’exprimer pour donner mon point de vue sur la situation actuelle», a-t-il déclaré.

Une élection sous tension

Dix ans après la crise postélectorale de 2010-2011 qui avait, selon des chiffres officiels, occasionné plus de 3.000 morts, la Côte d’Ivoire retient de nouveau son souffle. Le 31 octobre, les citoyens sont appelés aux urnes pour un scrutin présidentiel fortement contesté par les partis d’opposition qui réclament le retrait de la candidature du Président sortant Alassane Ouattara, en lice pour un troisième mandat qu’ils jugent anticonstitutionnel.

Depuis le 20 septembre, l’opposition, avec à ses côtés des organisations de la société civile, observe un mouvement de désobéissance civile sur toute l’étendue du territoire. La décision de cette contestation est intervenue après que le Conseil constitutionnel a rejeté 40 dossiers de candidature pour ne retenir que quatre prétendants à la présidence, dont Alassane Ouattara qui est convaincu de sa réélection dès le premier tour.

Parmi les 40 dossiers écartés figure celui de Laurent Gbagbo, qui a qualifié dans son interview d’«enfantin» le rejet d’autant de candidats. Pour ce qui est de son cas, l’exclusion était justifiée par sa radiation en août 2020 de la liste électorale, consécutive à sa condamnation –dans le cadre de l’affaire du «braquage» de l’Agence nationale de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) pendant la crise postélectorale– par la justice ivoirienne à 20 ans de prison et à la privation de ses droits civiques. 

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Outre le retrait de la candidature d’Alassane Ouattara, l’opposition exige, préalablement à toute élection, la dissolution du Conseil constitutionnel pour le remplacer par une «juridiction véritablement impartiale» et la dissolution de la Commission électorale indépendante (CEI, la structure chargée d’organiser les élections) «inféodée au parti au pouvoir». Elle réclame également l’audit international des listes électorales, la libération de tous les prisonniers politiques –civils et militaires– et le retour sécurisé de tous les exilés.

Pour l’heure, le souhait de l’opposition d’un report de la présidentielle et la tenue d’un dialogue avec le pouvoir –impérativement sous la supervision d’une médiation internationale– afin de garantir une élection «crédible, transparente et inclusive» reste lettre morte.

Une escalade de la violence qui fait craindre le pire

Pour espérer obtenir gain de cause à leurs revendications, les partis d’opposition ont notamment appelé leurs militants à «manifester par tous les moyens légaux». Cependant, depuis le 16 octobre, dans plusieurs villes du pays, ces protestations ont dégénéré en de violents affrontements qui ont parfois pris une tournure intercommunautaire. À ce jour, le bilan officiel fait état d’une trentaine de morts, quand l’opposition évoque de son côté 70 décès.

L’opposition attribue cette escalade de violences à des «miliciens du régime Ouattara convoyés de manière méthodique et organisée dans des localités ciblées pour semer la mort et la désolation avec la complicité passive des forces de défense et de sécurité», d’après Affi N’Guessan, un des leaders de l’opposition.

Laurent Gbagbo a fait savoir, dans son interview, que «dans le combat qui se mène actuellement contre le troisième mandat» brigué par Alassane Ouattara, il est «résolument du côté de l’opposition».

Éviter le pire

Pour Laurent Gbagbo, pas de doute, «c'est la catastrophe qui attend la Côte d'Ivoire au lendemain du 31 octobre» si la présidentielle a bien lieu. Et le remède qu’il préconise à «cette situation inflammable», c'est de «discuter, négocier, se parler, car il est encore temps de le faire».

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Du côté de l’opposition, et plus particulièrement des milliers de partisans en exil (depuis 2011) de l’ancien chef d’État, on se réjouit de cet appel au dialogue. Khaza Kakry, secrétaire à la coordination du Front populaire Ivoirien (FPI, parti fondé par Laurent Gbagbo) en exil, joint par Sputnik, espère que le gouvernement saura l’entendre:

«Au vu des positions tranchées entre le régime en place –dont le chef a violé la Constitution– et l'opposition –qui réclame le respect de la loi–, il faut un modus vivendi pour éviter à la Côte d’Ivoire une autre crise dont elle pourrait ne pas se remettre de sitôt. Et pour y arriver, il faut, comme l’a si bien dit le Président Laurent Gbagbo, se parler, discuter, négocier. Nous sommes donc très satisfaits et espérons que son appel aura un écho suffisant du côté du pouvoir car nous devons sauver la Côte d’Ivoire.»

Mais pour Innocent Gnelbin, président de Force aux peuples, un parti allié au pouvoir et qui soutient la candidature d’Alassane Ouattara, la sortie de Laurent Gbagbo intervient «trop tard». «La situation en Côte d’Ivoire est tendue, c’est vrai, mais elle l'est surtout au niveau de la communication et du bruit que fait l'opposition. Il faut donc relativiser cette tension surfaite. Les leaders de l'opposition n'ont pas réuni les conditions nécessaires pour avoir le rapport de forces en leur faveur. Ils ont refusé de travailler comme ils auraient dû objectivement le faire.»

«Sauf catastrophe, il est inimaginable que la présidentielle soit reportée. L'élection aura bien lieu le 31 octobre et pour tout vous dire, il n'y aura pas de guerre, comme certains l’affirment», a-t-il déclaré au micro de Sputnik.
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