Le Sahara occidental, territoire non autonome revendiqué par le Maroc et le Front populaire de libération de la Saguia el Hamra et du Rio de Oro (Polisario), est en ébullition. En plus des tensions militaires dans la zone tampon de Guergarat, à la frontière avec la Mauritanie, les autorités marocaines doivent faire face à une nouvelle association ouvertement indépendantiste: l’Instance sahraouie contre l’occupation marocaine.
L’Isacom a été créée par des militants sahraouis à Laâyoune, dans le Sahara occidental. Elle est présidée par Aminatou Haïdar, une activiste âgée de 53 ans, surnommée la «Gandhi sahraouie» et qui a reçu plusieurs distinctions internationales pour son combat pacifiste.
Secret total
Contactée par Sputnik, Aminatou Haïdar est revenue sur les conditions de la création de cette nouvelle instance. «Les préparatifs ont duré deux mois et ont abouti à la tenue d’un congrès constitutif le 20 septembre 2020», explique-t-elle. S’activant dans la clandestinité dans une ville sous surveillance policière permanente, les initiateurs de l’Isacom ont décidé de tout organiser dans le plus grand secret.
«La police et les services de renseignement marocains n’étaient au courant de rien. Nos militants étaient conscients de la nécessité de garder le secret autour de la première phase de cette initiative. Ce n’est qu’après la tenue de l’assemblée générale que nous avons rendu publique la création de l’instance à travers l’agence officielle de presse sahraouie [SPS]», indique Aminatou Haïdar.
Rabat n’aurait appris la création de l’Instance sahraouie contre l’occupation marocaine qu’à travers une dépêche de l’agence SPS. En Algérie, principal allié du Front Polisario, la presse a repris à son tour l’information.
Mais ce qui irrite le plus le Makhzen –l’appareil administratif et sécuritaire placé sous l’autorité du roi–, c’est l’intitulé et les objectifs de l’Isacom. Mais pour les initiateurs de l’instance, il est important «de citer les choses par leur nom».
«Notre initiative est venue mettre les points sur les ‘i’ car elle identifie, dans son intitulé, le problème du Sahara occidental: le colonialisme marocain. Cette instance rappelle à l’ONU le rôle et la responsabilité qui sont les siens envers le dossier du Sahara occidental qui est avant tout une question de décolonisation. Elle insiste sur le fait que c’est une occupation illégale. La communauté internationale doit également se rappeler que la Minurso, qui est la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum d’autodétermination au Sahara occidental, n’a toujours pas accompli l’objectif pour lequel elle a été créée en avril 1991», insiste Aminatou Haïdar.
Contre-attaque
Depuis de nombreuses années, les militants sahraouis reprochent à l’ONU son refus d’étendre le mandat de la Minurso à la surveillance des droits de l’Homme.
La contre-attaque du Maroc s’est alors mise en branle. Elle a été avant tout médiatique: Aminatou Haïdar fait état d’une série d’articles «insultants et diffamatoires» contre sa personne et les membres de l’instance. La réaction a également été sécuritaire. Le 29 septembre, le bureau exécutif de l’Isacom s’apprêtait à tenir sa première réunion dans le domicile de la militante Ghalia Djimi. «Au moment où les premiers membres ont commencé à nous rejoindre, la police marocaine a fait irruption. Des activistes qui arrivaient dans le quartier ont été pris à partie par les agents. Une de nos militantes a été agressée par des policiers alors qu’elle était seule dans une ruelle», explique Aminatou Haïdar.
Tous les membres du bureau exécutif ont été sommés de rejoindre leur domicile, à Laâyoune et dans les autres villes du Sahara occidental. Le 30 septembre, les autorités marocaines ont saisi le parquet qui a décidé d’ouvrir une enquête au sujet de la création de l’Instance sahraouie contre l’occupation marocaine. L’acte a été considéré comme une atteinte à «l’intégrité territoriale du royaume et comporte des incitations claires à commettre des actes contraires au Code pénal».
Le même jour, les domiciles des responsables de l’Isacom ont été quadrillés par les forces de sécurité.
«À une heure du matin, des dizaines de policiers se sont installés devant nos habitations. Nous sommes placés depuis sous haute surveillance. Nous sommes suivis partout lorsque nous sortons et ils interdisent à toute personne de nous rendre visite. Cette situation n’est pas contraignante seulement pour nous, mais aussi pour nos voisins. Les familles qui vivent dans mon immeuble sont tenues de présenter leur pièce d’identité pour entrer et sortir de chez elles», note la présidente de l’Isacom.
Aminatou Haïdar et ses compagnons s’attendent à subir une vague de répression «dès que l’enquête diligentée par le parquet sera finalisée». Elle estime cependant que les autorités marocaines patienteront jusqu’à ce que le Conseil de sécurité de l’ONU adopte, vers la fin octobre, la résolution sur la situation au Sahara occidental pour prendre des mesures coercitives.
«Le pouvoir ne fera rien avant la nouvelle résolution afin que notre cas ne soit pas débattu aux Nations unies, dit-elle. Nous savons que nous courons des risques énormes et avons longuement discuté des conséquences d’une telle initiative.»
«Nos revendications sont légitimes et la création de l’Isacom est un acte de résistance pacifique qui doit servir d’exemple à la jeunesse sahraouie qui commence à perdre patience. Nous nous opposons à la voie des armes car la solution ne peut être que pacifique à travers l’organisation d’un référendum d’autodétermination», souligne-t-elle.
Les membres du bureau exécutif de l’Isacom continuent de travailler à distance, via Internet, malgré la surveillance étroite de la police marocaine. «Nous appliquons la feuille de route que nous avons adoptée lors du congrès constitutif. Tous les militants sont déterminés à poursuivre le combat pacifique, même derrière les barreaux», assure Aminatou Haïdar.