Sahara occidental: «c’est toujours le Maroc qui décide et l’Espagne qui applique», accuse le Front Polisario

© AFP 2024 RYAD KRAMDIUn soldat du Front Polisario devant le drapeau sahraoui.
Un soldat du Front Polisario devant le drapeau sahraoui. - Sputnik Afrique
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Crise majeure entre le Front Polisario et Madrid. En cause, une valse-hésitation de Madrid, qui a semblé dans un premier temps légitimer une représentante la République arabe sahraouie démocratique, avant de se rétracter. Une affaire qui a fait réagir Alger, plus actif récemment sur le dossier du Sahara occidental qui oppose Alger au Maroc.

Le Front Polisario est très en colère contre Arancha Gonzalez Laya. Les représentants de la République arabe sahraouie démocratique (RASD), entité non reconnue au niveau international, mais membre de l’Union africaine, accusent ouvertement la ministre espagnole des Affaires étrangères de mettre l’Espagne dans une position de «soumission» vis-à-vis du Maroc.

Les faits remontent au vendredi 21 février, lorsque le secrétaire d’État chargé des Droits sociaux, Nacho Alvarez, a reçu Souilma Birouk, ministre des Affaires sociales et de la Promotion de la femme, à la tête d’une délégation de la RASD. Au terme de l’entrevue, Nacho Alvarez a posté sur Tweeter des photos avec son invitée, ainsi qu’un texte dans lequel il annonce avoir reçu la «ministre sahraouie des Affaires sociales, dans son ministère», tout en exprimant sa «solidarité avec le peuple sahraoui». Nacho Alvarez est en effet membre du parti de gauche Podemos, favorable au droit à l’autodétermination du peuple sahraoui.

La déclaration a provoqué l’ire de Rabat. Nasser Bourita, le ministre marocain des Affaires étrangères, s’est plaint officiellement auprès de son homologue espagnol Arancha Gonzalez Laya, qui a décidé, dimanche 23 février, de réagir à travers son compte Twitter pour désavouer son collègue Alvarez.

«Appel de mon homologue marocain au sujet de la rencontre entre le secrétaire d’État aux Affaires sociales et une représentante du Front Polisario. J’ai clarifié [...] que la position sur le Sahara occidental n’avait pas changé. L’Espagne ne reconnaît pas la RASD (République arabe sahraouie démocratique), nous appuyons les efforts du secrétaire général des Nations unies pour trouver une solution pacifique dans le cadre des résolutions du Conseil de sécurité», a tweeté la ministre espagnole.

De son côté, Nacho Alvarez, qui est l’homme de confiance de Pablo Iglesias Turrión, deuxième vice-président du gouvernement espagnol et secrétaire général de Podemos, a opté pour l’apaisement en décidant de supprimer ses tweets.

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Un acte largement commenté par la presse marocaine qui y a vu un signe d’abdication du ministre de Podemos. Mais le Front Polisario n’a pas tardé pas à réagir. Mardi 25 février, Mohamed Salem Ould Salek, son ministre des Affaires étrangères, a estimé «regrettable de voir la ministre Gonzàlez Laya abdiquer aux désirs et aux chantages du Maroc». Le chef de la diplomatie de l’entité sahraouie a déploré également que «l’Espagne se soit transformée en un défenseur permanent de l’occupant marocain, tant à Bruxelles que dans d’autres enceintes internationales».

Mohamed Yasslem Baissat, ambassadeur conseiller auprès du ministère des Affaires étrangères du Front Polisario, a indiqué à Sputnik que la réaction d’Arancha Gonzalez Laya était un acte de «mépris envers son collègue, l’ensemble du gouvernement et le peuple espagnol».

«C’est un premier test raté pour le nouveau gouvernement espagnol de coalition de gauche. Sur le dossier du Sahara occidental, il n’y a aucune différence avec la position des gouvernements de droite. Nous constatons toujours la même soumission au diktat des Marocains. C’est le Makhzen [autorité monarchique du Maroc, ndlr] qui décide de ce que certains membres du gouvernement espagnol doivent dire et écrire. Cela est valable dans différents dossiers sensibles, comme la délimitation des eaux territoriales, la problématique de la drogue ou encore le terrorisme. C’est toujours le Maroc qui décide et l’Espagne qui applique», s’insurge le diplomate sahraoui.

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Il est assez rare de voir un ministre d’un gouvernement occidental désavouer son collègue après l’appel téléphonique d’un pays africain. Pour mieux comprendre cette situation, il est important de revenir sur la nature des relations qu’entretiennent l’Espagne et le Maroc. Des relations qui sont un enchevêtrement d’intérêts nationaux et personnels. Le professeur Yahia Zoubir, directeur de recherche en géopolitique à la Kedge Business School (Marseille, France) et chercheur-résident au Brookings Doha Center (Qatar), explique à Sputnik que des rapports de force existent entre Madrid et Rabat, qui dispose de plusieurs leviers pour faire pression sur son voisin du nord:

«Les autorités marocaines n’hésitent pas à menacer de laisser passer vers l’Espagne les milliers de ressortissants subsahariens candidats à l’émigration, ainsi que d’importantes quantités de drogue, le Maroc étant le premier producteur mondial de résine de cannabis. Il y a aussi la capacité de Rabat à utiliser la forte communauté marocaine sur le sol espagnol. Aussi, il faut signaler que les responsables politiques marocains et espagnols sont très liés sur le plan personnel. À cela s’ajoutent les intérêts économiques, Rabat étant un client important pour Madrid, notamment en matière d’équipements militaires», précise Yahia Zoubir.

Reste que la crise actuelle entre le gouvernement espagnol et le Front Polisario a eu des effets sur les relations entre Madrid et Alger. Le gouvernement algérien a ainsi décidé de reporter d’une semaine la visite, prévue ce 26 février, d’Arancha Gonzalez Laya. La ministre espagnole des Affaires étrangères devait rencontrer son homologue Sabri Boukadoum pour aborder l’épineuse question du tracé de la frontière maritime entre les deux pays.

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Ignacio Cembrero, journaliste spécialiste du Maghreb, explique dans le journal El Confidential que ce report est un signe de désapprobation d’Alger envers la réaction d’Arancha Gonzalez Laya dans l’affaire de la ministre des Affaires sociales et de la Promotion de la femme de la RASD. Il a publié une déclaration de M’hammed Kheddad, le coordonnateur du Front Polisario avec la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (Minurso):

«Les Algériens ont voulu faire passer un message. Rien n’est plus comme avant. Le Sahara occidental est un thermomètre de la relation et ce qui s’est passé avec la Côte d’Ivoire le prouve.»

L’Algérie est en effet devenue très offensive dans sa gestion du dossier sahraoui depuis l’arrivée au pouvoir du Président Abdelmadjid Tebboune, position qui tranche avec la timidité dont a fait preuve son prédécesseur Abdelaziz Bouteflika durant 20 ans. Cette nouvelle politique est menée par trois hauts responsables: le Premier ministre Abdelaziz Djerad, le ministre des Affaires étrangères Sabri Boukadoum et le conseiller du Président de la République, chargé des questions sécuritaires et militaires, Abdelaziz Medjahed. Général-major à la retraite, Abdelaziz Medjahed est un fin connaisseur du dossier sahraoui.

Il est certain que ce trio pèsera de tout son poids dans les décisions qui toucheront à la question du Sahara occidental, voire aux relations avec le Maroc, nation avec laquelle l’Algérie entretient des relations tendues: leur frontière commune (qui avait fait l’objet d’un conflit en 1963) est fermée depuis 1994 et la dernière rencontre entre les chefs d’État remonte à 2005. La question du Sahara occidental est l’une des pommes de discorde entre ces deux pays du Maghreb.

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