On se serait cru dans un film de guerre, ce jeudi 10 septembre à Temara, ville-dortoir jouxtant Rabat au Maroc. Alors que les premières lueurs du soleil pointaient à peine, dans des rues entièrement bouclées, des dizaines d’éléments des forces spéciales marocaines étaient en pleine action. Ils menaient une «opération délicate» pour déjouer «des plans terroristes imminents et extrêmement complexes». Ils intervenaient non seulement à Temara, mais aussi et au même moment à quelques kilomètres de là à Skhirat, et soixante kilomètres plus loin à Tiflet ainsi qu’à Tanger, à l’extrême nord du pays.
Ces hommes font partie des forces spéciales du Bureau central marocain d’investigation judiciaire (BCIJ). Surnommé le «FBI marocain», cet organe opérationnel relevant de la Direction générale de la surveillance est le bras armé du royaume contre le terrorisme.
Et au lever du jour, en ce jeudi pas comme les autres dans les quatre villes d’intervention, le BCIJ a annoncé d’un ton triomphal avoir démantelé une nouvelle cellule affiliée au groupe djihadiste État islamique (EI)*.
«Cinq extrémistes présumés, âgés de 29 à 43 ans, ont été arrêtés», a révélé un communiqué du «FBI marocain», peu de temps après la fin de l’opération.
Précédant toute communication officielle, les premières images du coup de filet réussi à Temara enflammaient déjà la Toile. Sur l’une des vidéos, on pouvait voir un jeune, la tête couverte d’un tissu noir, les mains menottées, alors que des forces du BCIJ l’embarquaient dans un de leurs véhicules.
Reportage vidéo de la chaîne de télévision marocaine 2M sur cette opération.
Ce terroriste présumé et les quatre autres arrêtés en même temps que lui comptaient «perpétrer des attentats-suicides en utilisant des gilets explosifs afin de servir l’agenda destructeur de Daech* […] dans plusieurs installations et sites sensibles des différentes villes marocaines», a dévoilé Abdelhak El Khayam, le patron du «FBI marocain», au lendemain des quatre interventions simultanées. Il a aussi révélé, lors de la conférence de presse qu’il a donnée ce vendredi 11 septembre à Rabat, en présence d’une foule de journalistes, que cette cellule comptait cibler des «personnalités publiques et militaires et des sièges de services de sécurité».
Deux des terroristes présumés ont opposé une «résistance farouche» lors de leur arrestation, selon le BCIJ. L’un d’eux, arrêté dans la ville de Tiflet, à l’est de Rabat, a grièvement blessé un policier à l’avant-bras avec un couteau. Un autre a tenté de se faire exploser avec une bonbonne de gaz à Temara, au sud de la capitale. Tous ces faits ont été confirmés par Abdelhak El Khayam.
Un succès hautement symbolique
Preuve de l’importance de la quadruple intervention, Abdellatif Hammouchi, chef du pôle sécuritaire au Maroc, constitué de la Direction générale de sûreté nationale (DGSN) et de la Direction générale de la sécurité du territoire (DGST), avait supervisé lui-même ce gros coup de filet. Adulé par le grand public, des photos le montrant sur le terrain à Temara avec certains éléments du BCIJ ont été largement commentées. Comme à chaque fois qu’elles entrent en action, les forces spéciales qu’il dirige impressionnent. Là où elles arrivent, elles sont reconnaissables à leur tenue de combat, leurs épais gilets pare-balles et leurs boucliers. On voit à peine leurs yeux scrutateurs surplombant l’orifice de leurs cagoules noires. Jeudi, ils ont encore fait sensation.
«Aujourd’hui, Daech* est presque anéantie. Elle n’a plus de réelles branches puissantes, en dehors de la Syrie et de l’Irak. À cause de cet affaiblissement et par manque de moyens, elle a dû changer de stratégie en réactivant notamment des cellules dormantes, comme c’est le cas pour celle qui a été démantelée jeudi et qui représentait un danger réel.»
«Il faut aussi prendre en compte le contexte, ajoute le spécialiste marocain. Le démantèlement de cette cellule terroriste intervient quelques jours après l’attentat de Sousse en Tunisie et à la veille de la journée mondiale de lutte contre le terrorisme. Ce n’est pas anodin.» En effet, depuis les attentats de 2003, le Maroc a adopté une stratégie antiterroriste qui repose sur l’anticipation et la prévention. «C’est ce qui a permis la réussite de cette nouvelle opération», souligne l’expert au micro de Sputnik.
On pourrait craindre le pire, selon le spécialiste des mouvements djihadistes :
«Si l’organisation "État islamique" est affaiblie, son idéologie reste très puissante. Nous observons aujourd’hui, au Maroc et ailleurs, une recrudescence d’un phénomène inquiétant, celui des loups solitaires. Des initiatives individuelles de personnes qui se sont autoradicalisées devant leur écran notamment, sans lien matériel avec l’organisation terroriste. Le danger, c’est qu’ils peuvent agir sans grande préparation et avec peu de moyens.»
Le chercheur marocain regrette le «coup de com’» que ces nouveaux «acteurs silencieux» que sont les loups solitaires et les cellules dormantes donnent à Daech* à chaque arrestation ou, encore pire, quand ils parviennent à perpétrer des attentats.
«Sans être directement impliquée dans ces actes, l’organisation terroriste en profite à chaque fois pour renforcer sa présence sur la scène internationale. Tout écho lui permet d’exporter encore plus son idéologie», déplore Abdellah Rami.
Pour rappel, la dernière attaque terroriste qu’a connue le royaume chérifien était un double attentat survenu en décembre 2018.
Avant 2018, le Maroc n’avait pas connu d’acte terroriste majeur depuis avril 2011, quand une bombe avait été actionnée à distance dans un café en plein cœur de la place Jemaa el-Fnaa, haut lieu touristique de la ville de Marrakech. L’explosion avait fait 17 morts et 20 blessés. Cet attentat et celui de 2003, qui avait tué 55 personnes –les 12 kamikazes compris– sont toujours dans les mémoires.
*Organisation terroriste interdite en Russie