Le torchon brûle à nouveau entre l’Occident et la Russie. Alors qu’Alexeï Navalny est toujours hospitalisé à Berlin, des voix s’élèvent pour accuser le Kremlin de l’avoir empoisonné.
À l’instar de l’affaire Skripal, c’est donc l’exécutif même d’un pays européen –cette fois-ci l’Allemagne– qui pointe un doigt accusateur vers les autorités russes. «Nous attendons du gouvernement russe qu’il explique sa position sur cette affaire. Des questions très sérieuses ont été soulevées auxquelles seul le gouvernement russe peut et doit répondre», a ainsi déclaré le 2 septembre la Chancelière allemande, Angela Merkel.
Un modus operandi et un calendrier politique qui interpellent
Une porte ouverte dans laquelle se sont engouffrés sans attendre –ni grande surprise– Londres et Washington. Si contrairement à certains de ses ambassadeurs, le quai d’Orsay reste pour l’heure mesuré, Paris devrait finir par s’aligner sur la position de ses voisins et alliés de l’Otan.
«Ce qui est sûr, c’est que ça ne profite pas à Vladimir Poutine», réagit Andréa Kotarac au micro de Sputnik.
Ancien élu régional La France insoumise (LFI) et depuis 2019 soutien de Marine Le Pen, son intérêt pour les affaires d’Europe de l’Est est demeuré inchangé. À ses yeux «l’affaire ne tient pas». Ainsi notre interlocuteur rappelle-t-il en premier lieu les incohérences dans le modus operandi des Services russes. Par exemple, si ceux-ci avaient voulu éliminer Alexeï Navalny, pourquoi recourir à un agent neurotoxique qui n’était pas parvenu –contrairement à ce qu’ont pu affirmer ce 3 septembre au matin certains médias français– à tuer Sergueï Skripal en 2018?
«Vouloir l’empoisonner pour le tuer, mais le soigner juste après, puis l’envoyer en Allemagne pour qu’en retour les Allemands accusent la Russie… ça ne manque pas de sel», ironise-t-il.
Par ailleurs, Andrea Kotarac attire l’attention sur le contexte géopolitique «très particulier» dans lequel s’inscrit cette hausse des tensions entre certaines capitales européennes et Moscou. En tout premier lieu, la finalisation du gazoduc Nord Stream 2. Depuis plusieurs mois, Washington hausse le ton pour faire lâcher prise à Berlin, trois sénateurs menaçant même de lourdes sanctions les entreprises allemandes prenant part au projet. Or, comme le rappelle notre interlocuteur, le 1er septembre, soit la veille même de l’annonce de la découverte du Novitchok dans l’organisme de Navalny, Angela Merkel avait rétorqué aux sénateurs américains que le gazoduc reliant l’Allemagne à la Russie serait achevé.
Après l’expulsion des diplomates, l’«arme» du gaz?
Washington n’est pourtant pas le seul opposant au Nord Stream 2. Ce 3 septembre, Norbert Röttgen, président de la Commission des Affaires étrangères du Bundestag, a appelé l’Union européenne à le faire annuler, suggérant le recours au levier du gaz «pour répondre» à Vladimir Poutine.
Même son de cloche du côté de l’ancien ambassadeur d’Allemagne à Washington et président de la Conférence sur la sécurité de Munich, Wolfgang Ischinger, qui estime que pour envoyer un «message clair à Moscou», le renvoi de diplomates ne serait pas suffisant.
«Ce n’est pas le moment pour les Russes d’ouvrir un second front»
Au plus fort des tensions entre Londres et Moscou, Theresa May n’avait pas exclu de recourir à des «ripostes militaires» à l’encontre d’une Russie alors mise sur un pied d’égalité avec l’État islamique*. Bref, difficile de voir dans cette affaire où seraient l’intérêt de Moscou de faire assassiner un opposant dont les journalistes occidentaux ont fait leur coqueluche.
Alexeï Navalny «n’est certainement pas le grand opposant qui fait trembler le Kremlin et que l’Occident adule» tacle Andréa Kotarac.
Il s’interroge également sur les hypothétiques bénéfices qu’aurait pu tirer Vladimir Poutine de l’élimination de l’homme politique. Évoquant les crises syrienne et biélorusse, l’à-propos de cet empoisonnement semble singulièrement manquer: «ce n’est pas le moment pour les Russes d’ouvrir un second front» [avec les Européens, ndlr], estime-t-il.
*Organisation terroriste interdite en Russie