Accord entre Facebook et le fisc: «une victoire à la Pyrrhus»

L’administration fiscale française et Facebook sont parvenus à un accord sur dix années d’arriérés d’impôts. Un accord qui tombe alors que Paris espère voir aboutir un accord international sur la taxation des géants du numérique, qui provoque la colère de Washington. Pour l’avocat d’affaires Thierry Vallat, la France doit maintenir la pression.
Sputnik

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Facebook paiera. Le 24 août, le magazine économique Capital annonçait que la filiale française de la firme californienne avait conclu un accord avec le fisc français, à qui il doit 106 millions d’euros. L’an passé, le GAFA (acronyme pour Google, Apple, Facebook et Amazon) avait réglé un peu plus de 8 millions d’euros au titre de l’impôt sur les sociétés.

«Une victoire à la Pyrrhus», réagit auprès de Sputnik l’avocat Thierry Vallat, spécialiste du droit du numérique. Bien qu’il s’agisse d’un «bon signal», l’avocat d’affaires parisien souligne non seulement que Facebook est le dernier des GAFA à rentrer dans le rang, mais surtout que le montant concédé est nettement inférieur à ce qu’il aurait pu être.

«Je rappelle que c’est un redressement fiscal qui porte sur les années 2009 à 2018. On parle pratiquement de dix ans. On considère qu’il y a 150 millions d’imposition qui devraient être taxés par an, donc on s’aperçoit qu’il y a un très grand différentiel par rapport aux sommes qui sont perçues.»

En 2018, un accord entre Amazon et le fisc était ébruité par la presse. Les termes en sont restés secrets, mais en 2012 l’administration fiscale réclamait déjà 202 millions d’euros au géant du commerce en ligne. En septembre 2019, c’est Google qui passait un accord avec le Parquet national financier (PNF) pour régler près d’un milliard d’euros (465 millions en guise du redressement fiscal, 500 millions au PNF). Quelques mois plus tôt, en février de la même année, Apple réglait à Bercy pour 500 millions d’euros d’arriérés.

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Comme dans le cas de Facebook le différend avec Bercy portait sur une dizaine d’exercices fiscaux. L’Express, qui révélait alors l’affaire, soulignait que les 47,7 milliards d’euros de chiffre d’affaires réalisé en 2017 par la firme à la pomme furent «en grande partie encaissés» en Irlande.

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Reste à savoir dans quelle mesure la firme de Mark Zuckerberg jouera le jeu.

«Facebook est suffisamment bien conseillé, j’imagine, pour essayer de faire en sorte de ne pas froisser Bercy tout en continuant bien évidemment à essayer néanmoins à payer le moins d’impôts possible», étaye Thierry Vallat, qui rappelle que l’optimisation fiscale n’a en soi rien d’illégal, «surtout lorsqu’on a des impositions aussi importantes».

Toutefois, l’avocat insiste sur la nécessité pour les autorités françaises de mettre le géant américain face à ses responsabilités, qui plus est dans ce contexte de crise sanitaire.

«Ce qui est un peu choquant avec les entreprises du numérique, c’est que l’on s’aperçoit qu’elles ont aussi été les grandes bénéficiaires du Covid, qu’elles ont été les seules à tirer leur épingle du jeu, les seules à avoir des bénéfices encore plus importants malgré la crise, et qu’il est donc d’autant plus éthiquement difficile à accepter qu’elles continuent à s’abriter derrière des articles du Code des impôts pour payer une imposition moindre que ce qu’elles devraient pour contribuer à l’effort national, parce que c’est quand même pour ça que les impôts sont faits.»

Thierry Vallat évoque ainsi une «spécificité» de l’entreprise, à savoir charger sa filiale française afin de diminuer les impôts qu’elle paie dans l’Hexagone. «On se rend compte qu’en France n’est profitable qu’à 4%, contre 35% dans le reste de l’Europe. Donc on ne comprend pas bien pourquoi cette filiale française est autant chargée, si ce n’est pour des raisons d’optimisation fiscale», relate-t-il.

Le redressement fiscal, «la meilleure arme» face aux GAFA

Les Européens peinent à tomber d’accord sur la manière d’imposer les géants du numérique. La volonté de Paris d’instaurer, d’abord à l’échelle européenne, une «taxe GAFA» et les difficultés qu’elle a depuis lors rencontrées en témoignent.

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Plusieurs États membres, accueillant les sièges de ces multinationales 2.0, tels que l’Irlande, les Pays-Bas et le Luxembourg, s’étaient opposés à toute homogénéisation de la fiscalité au sein de l’UE sur ces géants du Web. Clou de la séquence, l’Allemagne, de crainte de subir des mesures de rétorsion de l’Oncle Sam, avait fait faux bond à la France au moment de défendre sa taxe devant la Commission.

Ce projet visait à taxer à hauteur de 3% de leur chiffre d’affaires les opérateurs offrant des services digitaux, dès lors que leurs activités numériques pèsent plus de 750 millions d’euros dans le monde, dont 25 millions d’euros pouvant être rattachés à des utilisateurs localisés en France. Pour autant, bien que la France «fut très isolée» sur ce dossier, Thierry Vallat estime que celle-ci a «eu raison de rester inflexible».

«Si on ne le fait pas, cela veut dire que les Américains se retrouvent avec un tapis rouge pour pouvoir faire ce qu’ils souhaitent. Aujourd’hui, l’Europe bénéficie de l’intransigeance française. Cela permet aujourd’hui d’avoir, par rapport aux Américains, des arguments pour pouvoir imposer également notre point de vue.»

Pour l’avocat, la France doit donc maintenir le cap, d’autant plus qu’en frappant directement au portefeuille, des outils tels que le redressement fiscal apparaissent à ses yeux comme «la meilleure arme dont disposent les gouvernements européens pour pouvoir discuter pied à pied avec les plateformes.»

«Il faut continuer à faire ce type d’action, garder une position assez dure, parce qu’on s’aperçoit que les Américains sont extrêmement rapides à dégainer les sanctions commerciales, fussent-elles les plus arbitraires, comme celle à 100% sur des produits français qui n’ont pourtant rien d’illégaux. C’est bien évidemment une mesure de rétorsion complètement insupportable», insiste Thierry Vallat.

Référence à la menace brandie, fin 2019, par le gouvernement américain de surtaxer jusqu’à 100% l’équivalent de 2,4 milliards (environ 2,15 milliards d’euros) de produits français en rétorsion à l’adoption définitive par le Parlement français de la fameuse taxe sur les géants du numérique.

Accord sur la taxe GAFA: Washington gagne du temps

Une annonce faite la veille d’une rencontre entre Donald Trump et Emmanuel Macron. Puis, le 10 juillet, la veille de l’anniversaire de l’adoption de la loi en France (11 juillet 2019) qui avait provoqué l’ouverture d’une enquête contre la France, le bureau du représentant américain au commerce annonçait l’instauration d’une surtaxe douanière sur 1,3 milliard de dollars (environ 1,15 milliard d’euros) de produits français cosmétiques et de maroquinerie.

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Des surtaxes douanières dont l’entrée en vigueur a été reportée de six mois, «afin de laisser plus de temps pour tenter de résoudre ce litige» et «en reconnaissance de l’accord de la France de retarder la perception de sa taxe jusqu’à la fin de l’année» avait précisé l’administration américaine.

En début, d’année Bruno Le Maire avait en effet annoncé la suspension de la taxe GAFA courant 2020 afin de trouver un accord international auprès de l’OCDE. Problème, un peu moins d’un mois plus tôt, à la mi-juin, ne voulant «pas poursuivre» les négociations, les États-Unis avaient quitté la table. Bien qu’il «reste confiant que sous l’égide de l’OCDE, on parvienne à un accord», l’avocat n’imagine que difficilement que ce dernier puisse advenir avant 2021. Principal obstacle sur cette route d’une résolution dans les temps impartis: le calendrier électoral américain.

«Ce n’est pas leur priorité de négocier avec l’Europe sur un dossier qui fâche», estime l’avocat d’affaires, qui rappelle le départ de Donald Trump des négociations à l’OCDE. En somme, toujours plus de temps gagné pour les géants du Net.

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