«Infidèles», «Rèwolène» et «Nickoledéon». Ce sont les trois séries télévisées et leurs producteurs et diffuseurs que l’ONG islamique Jamra et 48 autres associations et personnalités sénégalaises de sensibilités et d’horizons divers ont traînés devant le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA) du Sénégal le 6 août dernier.
«Ces productions audiovisuelles font ouvertement la promotion de l’idéologie LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres, ndlr) (rejetée par toutes les religions pratiquées au Sénégal et condamnée par l’article 319 du Code pénal sénégalais), l’apologie de l’adultère et de la fornication sur fond de pornographie verbale», explique à Sputnik Mame Mactar Guèye, vice-président et porte-parole de l’ONG Jamra.
La plainte comporte un «argumentaire solide, des photos et des séquences vidéo» et a été déclarée recevable après une audition de deux heures.
Mame Mactar Guèye, vice-président de Jamra (à gauche) et Babacar Diagne, président du CNRA.
«Personne n’a le droit, sous prétexte de faire de la fiction, d’agresser, à travers des dérives audiovisuelles, les croyants de tous bords dans ce qu’ils ont de plus cher: leur foi», ajoute cet activiste rompu aux joutes sociétales, notamment contre la franc-maçonnerie et l’homosexualité.
Guerre aux «actes contre nature»
L’article 319 alinéa 3 du Code pénal sénégalais auquel Guèye fait référence dispose: « (…) sera puni d’un emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de 100.000 francs CFA (150 euros) à 1.500.000 francs CFA (2.286 euros environ) quiconque aura commis un acte impudique ou contre nature avec un individu de son sexe». Mais pour l’heure, le litige est porté exclusivement devant le gendarme de l’audiovisuel et non pas devant les juridictions sénégalaises.
Jamra et ses alliés au siège du CNRA.
La série «Infidèles», lancée par la société de production Evenprod en juin dernier et diffusée sur la chaîne de télévision SEN TV, est particulièrement ciblée par les cosignataires de la plainte. Selon le communiqué publié après leur audition par les membres du CNRA, elle est truffée de «mensonges systématiques, de fornication décomplexée, d’adultère, de violence, d’arrogance, de vulgarité…». Et elle a «déjà suffisamment fait perdre à notre jeunesse des repères culturels fondamentaux» au travers de «minables mimétismes».
Les responsables de la série ont été entendus le 10 août dernier par le régulateur.
Une première décision est tombée, ce 12 août, concernant le plus controversé de ces feuilletons: «Infidèles». Le Conseil national de régulation de l’audiovisuel, a estimé que celui-ci comportait «des propos, comportements et images jugés choquants, indécents, obscènes ou injurieux», mais aussi «des séquences et propos qui portent gravement atteinte à la dignité, l’image, l’honneur et la réputation de la personne humaine, notamment de la femme». Ainsi, le CNRA a ordonné à la chaîne Sen TV, diffuseur de la série, d’«extirper des bandes-annonces les scènes susceptibles de heurter la sensibilité du jeune public (…) sous peine d’une interdiction définitive de diffusion».
Le verdict concernant les deux autres séries n’a pas encore été prononcé.
«Les rentiers de la tension et de la foi»
Cependant, cette campagne de Jamra et ses alliés, approuvée en partie par le régulateur de l’audiovisuel, n’est pas appréciée de tout le monde. Dans le journal Le Quotidien du 5 août, le chroniqueur Yoro Dia appréhende la posture de l’État et juge «inacceptable de ne pas aimer une série, un film ou un livre et (de) demander qu’on l’interdise».
«Notre gouvernement sacrifie trop des principes comme la liberté de conscience, la liberté d’expression, sur l’autel des rentiers de la tension qui en demandent chaque jour un peu trop. Si les rentiers de la tension et de la foi n’aiment pas les séries, ils n’ont qu’à zapper et aller regarder les chaînes thématiques religieuses. L’offre n’a jamais été aussi diversifiée: il y en a pour tous les goûts, pour toutes les couleurs…»
Le cahier des charges des chaînes télé en question
Selon un expert de l’audiovisuel interrogé par Sputnik, «la société sénégalaise n’est pas prête à voir ou tolérer du sexe à la télé, dans des séries qui passent en prime time, à une heure où toute la famille est là. Il y a des séquences dans ces feuilletons où il y a vraiment de l’exagération dans les propos et les images diffusées».
«Au plan éthique, y a-t-il violence morale? Y a-t-il des textes qui interdisent ces images et ces propos? À mon avis, la plainte pour attentat à la pudeur est fondée. Mais c’est le cahier des charges de l’audiovisuel qui doit déterminer tout cela de manière précise. Pour le moment, le CNRA est obligé de gérer cette situation avec l’existant légal disponible», confie cet homme des médias sous le sceau de l’anonymat.
Au-delà de l’ONG, qui a une longue expérience des batailles audiovisuelles contre «le dévergondage des mœurs» au Sénégal, un renfort de poids a donné une dimension supplémentaire à cette campagne contre les séries «perverses». Il s’agit du guide religieux Serigne Bassirou Mbacké Cheikh Astou Fall, neveu du khalife général (guide religieux) en exercice de la puissante confrérie Mouride. Il est surtout un arrière-petit-fils de Cheikh Ibra Fall, considéré comme le bras droit de référence de Cheikh Ahmadou Bamba, fondateur du Mouridisme. Ce qui laisse penser que la très influente confrérie de Touba est très attentive à la décision que Babacar Diagne, président du CNRA et ex-ambassadeur du Sénégal aux États-Unis, et ses collègues, ont prise, et aussi à celles qu’ils prendront.