Une industrie à la peine. Touché de plein fouet par la crise sanitaire, le tourisme français a du mal à retrouver des couleurs. Dans un entretien au JDD, Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État au Tourisme, indique que «l'impact immédiat de l'épidémie est d'au moins 30 à 40 milliards d'euros». Des pertes non négligeables pour un secteur qui pèse 180 milliards d’euros, dont 60 générés par les touristes internationaux, et emploie près de deux millions de personnes.
Par crainte d’une éventuelle deuxième vague, de nombreux pays imposent des conditions drastiques pour entrer sur leur territoire. C’est le cas par exemple de la Norvège, qui du fait de la résurgence du virus a placé la France en zone rouge: les visiteurs français doivent désormais observer une quarantaine de dix jours après leur arrivée sur place. Avec des restrictions de déplacements qui se multiplient à travers le monde, serait-ce le bon moment pour réfléchir à une nouvelle forme de tourisme?
Un modèle économique vulnérable
En effet, le sociologue rappelle que certains territoires en étaient déjà très dépendants, et la pandémie a mis en exergue cette «économie extrêmement vulnérable». Selon le baromètre de l’Organisation mondiale du tourisme (OMT), les pertes du tourisme mondial liées au Covid-19 s’élèvent à 320 milliards de dollars (un peu plus de 272 milliards d’euros). Cela représente plus du «triple des pertes enregistrées» par le secteur durant la crise de 2009, note l’organisme.
Si les voyageurs étrangers ne sont pas au rendez-vous, les Français continuent d’aller en vacances. Jean-Baptiste Lemoyne estime, toujours dans les colonnes du JDD, qu’ils «participent massivement à la relance du secteur touristique en privilégiant la France», et souligne que «7 sur 10, parmi ceux qui sont partis, ont choisi l’Hexagone. […] L’été bleu, blanc, rouge est là», se réjouit le secrétaire d’État.
Tourisme intérieur, solution miracle?
«Après un mois de juillet encourageant, j'espère que le mois d'août sera excellent, et l'arrière-saison aux couleurs de l'été indien», poursuit Jean-Baptiste Lemoyne. Le recours au tourisme intérieur pourrait-il être une solution viable?
«Il a sans doute été augmenté par les contraintes liées à la fermeture des frontières, mais le recours au tourisme intérieur n’a rien d’une révolution car les gens partaient d’abord dans leur pays, notamment ceux qui avaient moins les moyens de partir à l’étranger», détaille Rodolphe Christin.
Le chercheur juge que si tous les gens qui partaient à l’étranger se mettent à partir dans leur pays, cela engendrerait de nouveaux impératifs de régulation des flux: «Il va falloir réfléchir en terme de capacité d’accueil, de la manière à organiser ces flux.»
«Le tourisme intérieur est sans doute bon pour l’émission de gaz à effet de serre liés aux déplacements en avion, mais cela posera de nouvelles problématiques, donc il faudra trouver de nouvelles solutions», déplore Rodolphe Christin.
Par ailleurs, à l’échelle internationale, cela aura également des effets négatifs: «L’aéronautique est l’un des secteurs très impactés par le fait que les gens prennent moins l’avion pour se rendre dans des destinations lointaines», souligne le sociologue.
Plusieurs compagnies ont d’ores et déjà annoncé des vagues de licenciements. C’est le cas de British Airways, qui annonçait fin avril supprimer jusqu’à 12.000 emplois, soit 30% des effectifs. Ou encore Air France, qui prévoit de sacrifier plus de 7.500 postes d’ici 2022.
Interroger nos modes de vie
Ce sont ces multiples désagréments qui poussent le sociologue à se questionner: «De quoi le tourisme est-il le symptôme?»
«C’est toute une manière de vivre qui mériterait d’être réinterrogée: nos modes de vie, notre mode de production, notre mode de consommation. C’est tout un projet de civilisation que ça interroge.»
Le sociologue rappelle que dès que le confinement a été levé, «les gens se sont évadés, échappés, enfuis de leur espace de vie quotidienne pour aller rejoindre des résidences secondaires dans des endroits plus verts et plus vivables.»
«La question qui est posée est beaucoup plus globale qu’une question qui resterait cantonnée au secteur touristique: qu’en est-il de la viabilité de nos modes de vie?»
Et de conclure: «Aujourd’hui, le projet politique serait de réinterroger tout cela de manière démocratique, de raisonner sur la manière dont on vit dans nos territoires. Qu’est-ce qu’il faudrait pour vivre un peu mieux afin de désamorcer cet espèce de réflexe conditionné qui nous amène forcément à vouloir partir pour trouver un peu d’air.»