«Un projet de civilisation en question»: la fin du tourisme de masse a-t-elle sonné ?

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Baisse de la fréquentation des voyageurs étrangers, mesures sanitaires contraignantes, l’horizon pour les acteurs du secteur est loin d’être radieux. Rodolphe Christin, auteur du «Manuel de l’antitourisme» et de «L’Usure du monde», explique à Sputnik pourquoi il est nécessaire de repenser le tourisme.

Une industrie à la peine. Touché de plein fouet par la crise sanitaire, le tourisme français a du mal à retrouver des couleurs. Dans un entretien au JDD, Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État au Tourisme, indique que «l'impact immédiat de l'épidémie est d'au moins 30 à 40 milliards d'euros». Des pertes non négligeables pour un secteur qui pèse 180 milliards d’euros, dont 60 générés par les touristes internationaux, et emploie près de deux millions de personnes.

Par crainte d’une éventuelle deuxième vague, de nombreux pays imposent des conditions drastiques pour entrer sur leur territoire. C’est le cas par exemple de la Norvège, qui du fait de la résurgence du virus a placé la France en zone rouge: les visiteurs français doivent désormais observer une quarantaine de dix jours après leur arrivée sur place. Avec des restrictions de déplacements qui se multiplient à travers le monde, serait-ce le bon moment pour réfléchir à une nouvelle forme de tourisme?

Un modèle économique vulnérable

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Interrogé par Sputnik, Rodolphe Christin, sociologue et auteur de La vraie vie est ici, voyager encore ? (Éd. Écosociété, 2020), du Manuel de l’antitourisme (Éd. Écosociété, 2017) et de L’Usure du monde: critique de la déraison touristique (Éd. L’Échappée, 2014), estime qu’«il serait surtout opportun de pouvoir réfléchir à l’importance du tourisme, des dépendances qu’il occasionne, et puis ne serait-ce pas plutôt le moment de voir un peu comment s’émanciper de la dépendance touristique?»

En effet, le sociologue rappelle que certains territoires en étaient déjà très dépendants, et la pandémie a mis en exergue cette «économie extrêmement vulnérable». Selon le baromètre de l’Organisation mondiale du tourisme (OMT), les pertes du tourisme mondial liées au Covid-19 s’élèvent à 320 milliards de dollars (un peu plus de 272 milliards d’euros). Cela représente plus du «triple des pertes enregistrées» par le secteur durant la crise de 2009, note l’organisme.

​Si les voyageurs étrangers ne sont pas au rendez-vous, les Français continuent d’aller en vacances. Jean-Baptiste Lemoyne estime, toujours dans les colonnes du JDD, qu’ils «participent massivement à la relance du secteur touristique en privilégiant la France», et souligne que «7 sur 10, parmi ceux qui sont partis, ont choisi l’Hexagone. […] L’été bleu, blanc, rouge est là», se réjouit le secrétaire d’État.

Tourisme intérieur, solution miracle?

«Après un mois de juillet encourageant, j'espère que le mois d'août sera excellent, et l'arrière-saison aux couleurs de l'été indien», poursuit Jean-Baptiste Lemoyne. Le recours au tourisme intérieur pourrait-il être une solution viable?

«Il a sans doute été augmenté par les contraintes liées à la fermeture des frontières, mais le recours au tourisme intérieur n’a rien d’une révolution car les gens partaient d’abord dans leur pays, notamment ceux qui avaient moins les moyens de partir à l’étranger», détaille Rodolphe Christin.

Le chercheur juge que si tous les gens qui partaient à l’étranger se mettent à partir dans leur pays, cela engendrerait de nouveaux impératifs de régulation des flux: «Il va falloir réfléchir en terme de capacité d’accueil, de la manière à organiser ces flux.»

«Le tourisme intérieur est sans doute bon pour l’émission de gaz à effet de serre liés aux déplacements en avion, mais cela posera de nouvelles problématiques, donc il faudra trouver de nouvelles solutions», déplore Rodolphe Christin.

Par ailleurs, à l’échelle internationale, cela aura également des effets négatifs: «L’aéronautique est l’un des secteurs très impactés par le fait que les gens prennent moins l’avion pour se rendre dans des destinations lointaines», souligne le sociologue.

Plusieurs compagnies ont d’ores et déjà annoncé des vagues de licenciements. C’est le cas de British Airways, qui annonçait fin avril supprimer jusqu’à 12.000 emplois, soit 30% des effectifs. Ou encore Air France, qui prévoit de sacrifier plus de 7.500 postes d’ici 2022.

Interroger nos modes de vie

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Pollution, habitants en colère, écosystèmes en danger, le tourisme de masse exaspère
Avant la crise sanitaire, à Barcelone, Londres ou Venise, les autorités tentaient de prendre des mesures pour limiter l’afflux de visiteurs afin de protéger leurs écosystèmes. Malgré la manne financière générée par ces «hordes» de voyageurs, cette situation provoquait la lassitude voire la colère des habitants de ces métropoles. Et pour cause: les locaux dénonçaient notamment la hausse des prix des loyers, les propriétaires préférant louer leurs appartements sur des plateformes comme Airbnb.

Ce sont ces multiples désagréments qui poussent le sociologue à se questionner: «De quoi le tourisme est-il le symptôme?»

«C’est toute une manière de vivre qui mériterait d’être réinterrogée: nos modes de vie, notre mode de production, notre mode de consommation. C’est tout un projet de civilisation que ça interroge.»

Le sociologue rappelle que dès que le confinement a été levé, «les gens se sont évadés, échappés, enfuis de leur espace de vie quotidienne pour aller rejoindre des résidences secondaires dans des endroits plus verts et plus vivables.»

«La question qui est posée est beaucoup plus globale qu’une question qui resterait cantonnée au secteur touristique: qu’en est-il de la viabilité de nos modes de vie?»

Et de conclure: «Aujourd’hui, le projet politique serait de réinterroger tout cela de manière démocratique, de raisonner sur la manière dont on vit dans nos territoires. Qu’est-ce qu’il faudrait pour vivre un peu mieux afin de désamorcer cet espèce de réflexe conditionné qui nous amène forcément à vouloir partir pour trouver un peu d’air.»

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