«Il n’y aura pas et il ne peut y avoir d’augmentation d’impôts sur les ménages français», répétait Bruno le Maire au micro de RTL le 2 juin. Certains ne l’entendent pas de cette oreille.
La proposition émane du nouveau groupe parlementaire Écologie Démocratie Solidarité (EDS), créée par les députés LREM Paula Forteza et Matthieu Orphelin, mécontents de la dérive à droite de leur mouvement d’origine. On y retrouve notamment l’ex-candidat dissident LREM à la mairie de Paris, Cédric Villani et le médiatique député Aurélien Taché.
Ainsi, au-delà des demandes régulières de l’extrême gauche de rétablir l’ISF, le groupe classé centre-gauche appelle à inclure dans le prochain projet de loi finance une «réforme temporaire et conditionnelle» de la Contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (CEHR), ainsi qu’à une «révision de la fiscalité», afin de «mieux» taxer les compagnies d’assurance et les «multinationales», dans l’attente du «renforcement de la coordination au niveau UE ou OCDE».
Le tout viserait à rapporter respectivement 750 millions et trois milliards afin de contribuer au «sauvetage» de l’économie française, durement mise à mal par la crise sanitaire, ainsi qu’au financement des propositions du jeune groupe.
Crée mi-mai, Écologie Démocratie Solidarité est dépeint dans la presse comme le «9e groupe» à siéger au Palais bourbon sous la XVe législature. Constitué de 17 députés, parmi lesquels 16 LREM dissidents, tous élus pour la première fois en mai 2017. Leur départ du groupe parlementaire présidentiel lui avait d’ailleurs fait perdre la majorité absolue à l’Assemblée. Seule membre du nouveau groupe connu dans la sphère publique et à ne pas avoir été élue au Parlement sous l’étiquette LREM, Delphine Batho, ex-ministre socialiste de l’Écologie.
En tête de liste des préoccupations d’EDS, la «transformation écologique». Pour la financer, les députés appellent à un «choc d’investissement» des collectivités, qui augmenteraient leurs aides aux communes, départements et régions de cinq milliards en tout (10% des dépenses actuelles). Une mesure visant notamment à accomplir une «rénovation énergétique de tous les bâtiments publics en 10 ans». D’autres dépenses (500 millions par an) concernent l’«accélération» du calendrier de rénovation des infrastructures ferroviaires.
Le ferroviaire, un secteur que les députés EDS opposent à l’automobile et au secteur aérien. En effet, ils reprochent au gouvernement que son coup de pouce à l’achat de voitures n’ait pas été «dédié exclusivement aux véhicules propres». Verdict encore plus lourd pour l’aéronautique, un secteur «promis à un sort catastrophique, puisque le transport carboné doit être abandonné et qu’il n’existe pour l’instant pas d’alternative technologique décarbonée à l’aviation», selon des députés. Ces derniers critiquent également les aides déjà prévues, réclamant la mise en place d’«éco-conditionnalités» aux entreprises, afin de «répondre au défi climatique» et d’«engager au plus tôt la reconversion du tissu industriel et des emplois vers des secteurs moins carbonés.»
«Une partie du sauvetage de notre économie peut être financée par des recettes nouvelles. Nous devons trouver des financements, faire participer les grandes entreprises […] et les ménages les plus aisés, pour renforcer la solidarité», estiment les députés.
Le cas n’aurait rien d’exceptionnel en France. Par le passé, les entreprises réalisant plus de 250 millions d’euros de chiffre d’affaires avaient vu leur impôt sur les sociétés (IS) surtaxé de 5% sur les exercices 2011 à 2.013 et de 10,7% sur les exercices de 2014 et 2015. Être le pays de l’Union européenne ayant alors la charge fiscale la plus élevée sur ses entreprises n’avait clairement rien d’incitatif, tant pour les firmes étrangères que nationales.
Pour autant, Bruno Le Maire brandira le spectre d’une nouvelle «taxe exceptionnelle» dans la Loi de Finances 2018. Le gouvernement cherchait à récupérer les 10 milliards d’euros qu’il devait rembourser aux entreprises suite à l’invalidation par le Conseil constitutionnel, en octobre 2017, de la fameuse taxe à 3% sur les dividendes, mesure totem du programme de campagne de François Hollande. La «contribution exceptionnelle sur les très grosses entreprises» évoquée par le ministre de l’Économie de Macron sera finalement mise en place dans une version moins ambitieuse, qui ne rapportera que 5 milliards. Pour autant, cette ardoise de 10 milliards d’euros laissée par le gouvernement de Hollande sera qualifiée de «scandale d’État» par Bruno Le Maire.
Taxer, une passion française
L’«amateurisme» de ses prédécesseurs qu’il dénonçait aussi se double d’un penchant idéologique pour la chose fiscale, qui pèse tant sur le moral des investisseurs que sur celui des ménages, dans une France qui confirme année après année sa première place sur le podium mondial de la pression fiscale. Régulièrement, des rapports –comme celui sur la migration des richesses du cabinet sud-africain New World Wealth (NWWealth)– montrent que la France est l’un des pays le plus fuis par ses ménages à hauts revenus. Du côté des grandes entreprises qui structurent l’économie du pays –le récent cas médiatique de Sanofi l’a rappelé– bon nombre d’entre elles ne sont plus majoritairement détenues par des capitaux français.
Un phénomène qui renvoie à d’autres enjeux, telles que l’abandon par une élite française bureaucratique de toute velléité de gérer des entreprises et d’assumer le risque inhérent à cette mission, l’abandon de toute stratégie industrielle, sans parler d’une gestion budgétaire court-termiste, qui a contribué à la vente progressive des actifs détenus par l’État afin d’alimenter des budgets en déficit chronique.
À l’heure où des députés d’extrême gauche réclament régulièrement le rétablissement de l’ISF, alors même que celui-ci continue toujours d’exister pour les propriétaires fonciers, il est surprenant que ceux qui aujourd’hui plaident pour un espace européen toujours plus ouvert soient exactement les mêmes qui appellent à taxer toujours plus les acteurs de l’économie française, au risque de les faire fuir et d’augmenter la pression fiscale sur ceux qui ne peuvent se permettre un tel changement de vie.