Au 2 juin 2020, plus de 33.000 Marocains seraient toujours bloqués à l’étranger, selon une source proche du dossier contacté par Sputnik. Un nombre un peu plus important que celui des 31.800 avancé, une semaine auparavant au Parlement, par Saâdeddine El Othmani, chef du gouvernement marocain.
Interpellé sur le sujet par des députés, le chef de l’exécutif marocain s’est limité à promettre une prochaine bonne nouvelle. Plus de 12 jours après, hormis les 200 rapatriés de l’enclave espagnole de Ceuta le 22 mai et les 300 ramenés d’Algérie une semaine plus tard, les 33.000 personnes encore bloquées à l’étranger dont parle notre source attendent une bonne nouvelle, qui n’arrive toujours pas.
La patience des premiers jours s’est estompée. La colère gronde. Sur les réseaux sociaux, les campagnes Web se multiplient autant que les pétitions et les vidéos… Une lettre a même été adressée au Roi. Tous les moyens sont bons pour passer des messages où se mêle le désespoir de «l’exil temporaire» à l’espoir de la délivrance.
Sous le hashtag #Maroc_nous_a_oubliés, une dizaine de Marocains bloqués à l’étranger témoignent de leur épuisement moral et physique.
Sputnik a recueilli les témoignages de six Marocains parmi les 33.000 ressortissants concernés.
Du rêve au cauchemar
Sanae, 28 ans, croyait offrir à sa mère et son petit frère des vacances de rêve en leur préparant un voyage de quatorze jours pour Manille, aux Philippines. Arrivés le 2 mars 2020, ils étaient censés prendre l’avion du retour le 15 du même mois. Sauf que ce jour-là, les frontières ont été fermées. Leur séjour a aussitôt «viré au cauchemar». Depuis, Sanae et sa famille sont bloquées dans la capitale philippine.
Elle raconte à Sputnik
«Nous sommes tous les trois entassés dans un minuscule studio près de l’aéroport. Nous payons un loyer de 45 dollars par jour, alors que nous n’avons reçu que 500 dollars par mois de la part du consulat. Cette aide financière ne nous suffit même pas pour un mois de loyer, sans parler du coût de la vie ici, qui est plus cher qu’au Maroc».
La jeune voyageuse compte principalement sur les transferts d’argent de son père depuis le Maroc pour s’en sortir.
«On est plus de 14 personnes à ma connaissance à être bloquées aux Philippines. Nous avons l’impression d’être des migrants clandestins et l’argent commence à manquer… Nous ne pouvons plus continuer comme ça», se désole Sanae.
Comme Sanae, elle a été prise de court par l’annonce soudaine de la fermeture des frontières du royaume. Sans aucune aide, sa situation financière ainsi que celle de son conjoint continuent de se détériorer. «Nous avons contacté le consulat à plusieurs reprises, pour l’heure, nous n’avons reçu ni aide, ni même une réponse de leur part», témoigne Kawtar*.
«J’ai dépensé tout mon argent ici, jusqu’au dernier centime. Nous n’avons plus rien, même notre travail, nous l’avons perdu… Et le pire, c’est que nous n’avons aucune visibilité», déplore cette mère de famille.
Les mêmes craintes sont exprimées par Hassan, 46 ans, qui est bloqué depuis près de trois mois à Ceuta. Comme Kawtar*, il est parti à la mi-mars au sud de l’Espagne, pour rendre visite à un membre de sa famille avec sa femme. Lui aussi a déjà épuisé toutes ses ressources. Il affirme n’avoir reçu, à ce jour, «aucune aide de la part du consulat ni aucune information concernant son rapatriement». Sa femme, elle, a eu plus de chance. Elle a fait partie des 200 premiers Marocains rapatriés, le 22 mai, du préside espagnol mitoyen de Tanger.
Manque de moyens, absence de communication des autorités
«Nous sommes près de 250 personnes toujours bloquées ici. On ne peut plus attendre… Certains d’entre nous sont âgés et d’autres sont malades et se trouvent dans des états vraiment dramatiques», déplore Hassan.
Originaire de Fnideq, cet acteur associatif se dit frustré, lui qui peut entrevoir sa maison de là où il est bloqué.
Pour Amine*, 28 ans, bloqué depuis près de trois mois au Congo, c’est le manque de communication qui est le plus regrettable. Arrivé à Brazzaville le 12 mars dernier, il s’est retrouvé trois jours plus tard dans l’incapacité de rentrer chez lui. «Je suis venu ici pour un voyage d’affaires de cinq jours pour ma startup au Maroc», raconte ce jeune entrepreneur opérant dans le domaine du transport et de la logistique. «Au début, je payais tout moi-même, de l’appartement que je louais jusqu’à la nourriture. Mais après un mois et demi, je n’avais plus d’argent», explique Amine*. Il est administrateur d’un groupe Facebook baptisé «ressortissants marocains bloqués à l’étranger», réunissant plus de 11.200 membres. Comme d’autres, il désespère.
«Maintenant, le consulat me paie l’hôtel où je loge et j’essaie de mon côté de me débrouiller pour le reste. Ce n’est pas le manque de moyens qui est le plus pénible, mais plutôt le manque de communication… Nous sommes dans le flou total. Il n’y a rien de pire», regrette le jeune entrepreneur.
Chaimae, 22 ans, est partie en février à Mumbai, en Inde, pour effectuer son stage de fin d’études. Elle n’a pas pu prendre son vol retour, qui était prévu le 1er juin. «J’ai dépensé tout l’argent que j’ai épargné pendant mon stage. Maintenant, je n’ai plus rien. Je n’ai pas encore bénéficié d’aide de la part du consulat, qui m’avait pourtant promis une prise en charge pour le mois de juin. Je ne sais pas comment je vais faire si le blocage continue», raconte-t-elle à Sputnik.
«Les autorités marocaines n’ont plus de circonstances atténuantes»
La même angoisse se ressent chez Othmane, 23 ans. Bloqué dans l’État de Washington, il était censé rentrer le 2 juin à Casablanca. «Dans quelques jours, je n’aurai plus le droit de rester au campus et mon visa va expirer. Pour l’instant, tout ce que fait le consulat, c’est de nous demander et nous redemander de lui envoyer une copie du passeport à chaque fois qu’on le contacte», souligne le jeune étudiant.
«C’est stressant de ne pas savoir ce qui nous attend dans un avenir proche. Surtout qu’ici, la situation empire à cause du coronavirus et des manifestations parties de Minneapolis», s’inquiète-t-il, en référence aux vagues de contestations suite à la bavure policière ayant entraîné la mort de George Floyd.
En déplorant le manque de visibilité, comme l’ont fait les premiers concernés, Othmane Boumaalif estime que «les autorités marocaines n’ont plus de circonstances atténuantes». Le Mouvement Anfass Démocratique qu’il préside a déjà appelé à une solution réaliste et responsable. Cette ONG avait proposé une batterie de mesures pragmatiques pour rapatrier rapidement l’essentiel des Marocains bloqués à l’étranger. Parmi celles-ci, l’établissement d’un calendrier de rapatriement multicanal, en coordination avec les autorités des pays concernés. Le tout dans des délais raisonnables. «Pour un pays dont les indicateurs de maîtrise de la pandémie sont plus que satisfaisants, la situation kafkaïenne actuelle est incompréhensible», estime le président d’Anfass.
Des rapatriements en vue?
Interrogée par Sputnik, une source proche du dossier chiffre à 155 le nombre de cellules de suivi mises en place au niveau des missions diplomatiques et postes consulaires pour venir aide aux Marocains bloqués à l’étranger. Ces cellules ont déjà établi des contacts directs avec plus de 7.000 personnes concernées, selon la même source
Malgré tout, beaucoup d’insatisfaction ressort des témoignages recueillis par Sputnik. Toutes les personnes interrogées n’attendent plus qu’une seule chose: rentrer chez elles au plus vite. En réponse, la source de Sputnik souligne que le rapatriement a déjà commencé par l’Algérie et assure qu’il va se poursuivre. Priorité sera donnée, selon elle, aux personnes âgées, aux convalescents et aux personnes à mobilité réduite, ainsi qu’aux mères ayant laissé leurs enfants en bas âge au Maroc ou encore aux familles ayant des enfants.
Ces déclarations concordent avec une nouvelle promesse donnée, cette fois-ci, par le ministre marocain de l’Intérieur. S’exprimant mardi 2 juin 2020 au Parlement, Abdelouafi Laftit a affirmé que la problématique des Marocains bloqués à l’étranger sera réglée «dans les plus brefs délais». Les prochains jours diront si cette nouvelle promesse sera tenue.
*Prénoms d’emprunt, les personnes en question ayant préféré conserver l’anonymat.