Polémique en Tunisie après l’auto-déconfinement controversé d’un ministre bloqué en France

Le ministre de l’Energie et des Mines est allé passer les vacances d’Aïd el-Fitr en France auprès de sa famille, alors que les frontières aériennes étaient toujours fermées pour cause de coronavirus. Il y est resté bloqué depuis une semaine. L’affaire a enflammé la toile et des appels à sa démission se multiplient.
Sputnik

Les Tunisiens qui ont dû passer l’Aïd chez eux, privés de visites familiales, vu l’interdiction de déplacements entre gouvernorats pour cause du covid-19, ont été scandalisés, en apprenant qu’un membre de gouvernement s’est affranchi, vraisemblablement, de cette obligation. Il s’agit du ministre de l’Energie et des Mines, Mongi Marzouk qui a publié le 30 mai un post Facebook dans lequel il a annoncé qu’il s’est déplacé en France pour visiter sa famille durant les vacances de l’Aïd, avec l’espoir de revenir quelques jours plus tard, mais son vol de retour a été annulé, ce qui l’a empêché de rentrer en Tunisie. Il a par ailleurs indiqué qu’il "continue de faire son travail à distance" et qu’il est "en contact permanent avec les cadres de son ministère pour suivre ses dossiers".

Le ministre aurait profité d’un des vols de rapatriement des Tunisiens à l’étranger pour se rendre en France.

Aussitôt le post publié, une vague d’indignation s’est déclenchée sur les réseaux sociaux. Plusieurs internautes ont vu dans l’attitude du ministre un «acte d’irresponsabilité politique», alors que les Tunisiens étaient contraints de respecter les consignes du confinement. Certains étaient même privés de voir des membres de leurs familles bloquées à l’étranger, depuis des mois à cause de la fermeture des frontières.

​* Anouar Maarouf, c’est le ministre du Transport et Salah Ben Youssef, ministre de l’Industrie

​Devant la vague d’indignation sur la toile, les réactions officielles n’ont pas tardé, afin de calmer les esprits.

La porte-parole du gouvernement, Asma Shiri, a précisé, lors de son intervention sur radio Mosaïque le 31 mai, que Mongi Marzouk «n’a pas pu regagner le pays à cause de la suspension des vols aériens et qu’il est en train de poursuivre son travail à distance», tout en annonçant «qu’il apportera des éclaircissements sur l’affaire, dès sur retour de la France».

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De son côté, le chargé de communication du ministère de l’Energie, Kamel Cherni a lui expliqué que Mongi Marzouk avait eu l’autorisation du chef du gouvernement, Elyès Fakhfakh, avant de partir en France et qu’il n’a pas fait usage de ses prérogatives en tant que ministre», d’après ses déclarations à radio Shems fm le 1er juin.

Des déclarations qui n’ont fait qu’enfoncer encore le clou et attiser davantage les appels à la démission du ministre, mettant ainsi en cause le choix par Fakhfakh des personnes composant son cabinet. En effet, plusieurs internautes ont appelé ce dernier à limoger Mongi Marzouk.

​Dans un pays qui se respecte et respecte son peuple, Mongi Marzouk devrait recevoir son limogeage par Rapid' Poste.#Mayna

Adnane Belhajamor, analyste politique, s’indigne du comportement du ministre de l’Energie:

«D'abord quel exemple il donne à la population en passant outre la consigne du gouvernement à propos de la non circulation au-delà des limites de son gouvernorat pour des raisons personnelles. Secundo, quel sens de la responsabilité et quelle perspicacité lorsque l'on se déplace à l'étranger sans certitude de pouvoir être de retour à son pays et à son poste à la fin d'un congé de l'aïd qui dure trois jours. Ce monsieur devrait illico presto présenter sa démission au chef du gouvernement», souligne-t-il à Sputnik.

Certains préfèreront mettre l’accent sur une situation personnelle, d’un « commis de l’Etat » qui jusque-là aurait fait un sans faute. « Aucun passe-droit n’a été octroyé », insiste, par exemple, dans un statut facebook, un ancien haut fonctionnaire qui portait les couleurs du parti Ennahda.

Le cabinet de Fakhfakh mis en cause

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Le chef du gouvernement n’a fait aucune réaction jusque-là à l’affaire Marzouk, mais son cabinet est de plus en plus mis en cause, surtout après deux affaires «d’abus de pouvoir», dans lesquelles ont été impliqués deux autres ministres. La première est celle de l’accident routier commis par la fille du ministre du Transport, Anouar Maarouf, qui a endommagé la voiture de fonction de son père. La deuxième est relative à un «confit d’intérêts» dans une commande de masques non médicaux, passée par le ministre de l’Industrie, Saleh Ben Youssef.

L’affaire du ministre de l’Energie vient encore assombrir ce tableau. Et elle prend de l’ampleur d’autant plus que Mongi Marzouk était pressenti en octobre 2019, juste après les élections législatives et présidentielles, comme un des candidats potentiels pour être chef du gouvernement. L’homme est aussi réputé d’être proche du parti islamiste, Ennahda puisqu’il a fait partie des deux gouvernements de la troïka, de 2011 à 2014, où il était ministre de Technologies de l’Information et des Communications. Il a été aussi proposé comme ministre de l’Energie dans le gouvernement de Habib Jemili (chef de gouvernement désigné par Ennahda), mais qui n’a pas eu le vote de confiance finalement par le parlement.

Quelle que soit l’issue de cette affaire, elle a rappelé aux Tunisiens la récente affaire de Dominic Cummings, conseiller du premier ministre britannique, Boris Johnson qui a enfreint les règles du confinement, en allant chez ses parents à 400 km de Londres.

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