Aux quatre coins du monde, les mesures du confinement se sont révélées être une arme à double tranchant. Mises en place pour enrayer la propagation de la pandémie de Covid-19, elles ont eu pour conséquence la recrudescence des cyberviolences.
Des images que ces cyberharceleurs dérobent en piratant les comptes de leurs victimes, voire se procurent auprès d’anciens petits amis désireux de se venger. Certains vont même jusqu’à demander publiquement à leurs abonnées de leur envoyer des photos ou des vidéos compromettantes. C’est ainsi qu’ils parviennent à garnir régulièrement leurs galeries à scandale.
Les propriétaires de ces pages clament dans leurs publications qu’ils veulent «purifier le pays de l’obscénité et du péché». Ils exposent ainsi leurs victimes au «slut-shaming» de la part de nombreux e-harceleurs anonymes sur les réseaux sociaux.
«Des captures d’écran publiées par le mouvement révèlent les insultes et les humiliations subies par des victimes du "revenge porn". Sur ces captures, un e-harceleur promet un scandale par jour. Un autre dévoile le numéro de téléphone de sa victime…»
#Dihafrassek s’interpose
Si le phénomène du «revenge porn» ne date pas d'hier à travers le monde, au Maroc il s'est surtout intensifié après la diffusion de vidéos intimes, il y a trois semaines, d’une influenceuse célèbre pour ses lives sur Instagram. Encore aujourd’hui, des vidéos ainsi que des photos de cette jeune femme la montrant nue ou embrassant quelqu’un suscitent toujours une avalanche d’insultes et ne cessent d’être partagées sur les réseaux sociaux. Il ne s’agit pas d’un cas isolé, d’autres victimes subissent les mêmes humiliations et chaque jour apporte son lot de clichés volés.
Pour contrecarrer les e-harceleurs anonymes, un mouvement a été lancé le 20 mai dernier. Baptisé Diha F’rassek (occupe-toi de tes affaires), il défend les victimes et dénonce leurs humiliateurs.
Ses membres passent le plus clair de leurs journées à signaler les pages divulgatrices, en espérant leur suppression définitive. Houda, 24 ans, une des fondatrices du mouvement interrogée par Sputnik, explique leur démarche.
«Avant la création du mouvement, nous recevions chacun de notre côté des messages sur nos réseaux sociaux de la part de jeunes filles victimes du “revenge porn”. Elles nous envoyaient les noms des pages qui les harcelaient en nous demandant d’utiliser nos plateformes pour les faire supprimer. C’est ce que nous faisions dans un premier temps… Grâce à nos signalements massifs, nous avons pu faire supprimer l’une des pages. Son propriétaire a même été convoqué par la police car les parents des victimes avaient porté plainte. »
Mais malheureusement, cet e-harceleur avait déjà inspiré d’autres personnes qui ont créé, à leur tour, d’autres pages de ce genre.
La multiplication du nombre de comptes de «revenge porn» a poussé Houda et ses amis à lancer le mouvement Diha F’rassek. «Pendant les premières semaines du mois de ramadan, nous avons reçu une série d’alertes de la part de nouvelles victimes, beaucoup plus que d’habitude. C’est à ce moment-là que nous avons décidé de créer un mouvement», confie la cofondatrice. «Nous avons ressenti le besoin de faire porter la voix de ces jeunes victimes pour qu’elles soient entendues par les autorités», ajoute-t-elle. Son seul souhait est de mobiliser les Marocains contre ce phénomène en pleine recrudescence. La preuve: Diha F’rassek a déjà reçu des appels au secours de la part d’une centaine de victimes.
«Aujourd’hui, nous, le mouvement Diha F’rassek, disons «Stop! Baraka!» (ndlr, ça suffit en arabe marocain). On en a ras le bol! On en a marre des constantes humiliations et des atteintes à notre dignité! On en a marre de regarder à droite et à gauche de peur d’être traînées dans la boue ou de faire face à la chouha (l’humiliation) tout simplement parce qu’on est des femmes… Aujourd’hui, nous disons Diha F’rassek! Reste loin de ma vie privée!»
Un vrai «cauchemar»
Face à un ennemi invisible, la tâche est laborieuse, voire décourageante. «Nous faisons face à des vagues qui ne cessent de déferler, à un cauchemar sans fin et à un cercle vicieux», s’insurge le mouvement dans son communiqué. Car, dès qu’un compte est supprimé, d’autres apparaissent aussitôt sous de nouvelles appellations. Agissant dans l’anonymat, les auteurs sévissent en toute impunité.
Malgré tout, les militants contre le cyberharcèlement ne perdent pas espoir. «Les moindres informations sont recueillies pour que nous puissions disposer de suffisamment d’éléments en vue de déposer des plaintes auprès des autorités. Dans ce sens, nous collaborons officieusement avec une association qui apporte un précieux soutien psychologique aux victimes et les conseille en matière judiciaire», souligne Houda.
Dénonciateurs dénoncés
Depuis sa création, le mouvement a été applaudi par une partie de la population. «Nous avons été agréablement surpris par l’accueil favorable de la part de nombreux internautes! Parmi eux, plusieurs influenceurs et artistes nous ont exprimé leur soutien», note la jeune cofondatrice.
Des chiffres rares, mais révélateurs
Au Maroc, les données chiffrées sur les cyberviolences sont presque introuvables. L’une des rares études sur le phénomène a été effectuée en 2019. Elle a été menée par sept ONG marocaines, en coordination avec l’association Mobilising For Rights Advocates (MRA). Il en ressort que plus de la moitié des personnes interrogées (près de 1.794 femmes et hommes) ont été victimes de cyberviolences au moins une fois dans leur vie.
Selon la même source, ces attaques sont principalement à caractère sexuel. L’étude indique également que 38% de ces cas relèvent du harcèlement, 17% sont des intimidations et des chantages alors que les diffusions d’informations personnelles représentent 4%. Rien qu’avec le flux des pages de «revenge porn» dénoncées depuis peu, ces chiffres pourraient exploser.
Ce que dit la loi
Au Maroc, l’article 447-2 du Code pénal dispose que «quiconque procède, par tout moyen, y compris les systèmes informatiques, à la diffusion ou à la distribution d’un montage composé de paroles ou de photographies d’une personne, sans son consentement… est puni de l’emprisonnement d'un à trois ans et d'une amende de 2.000 à 20.000 dirhams (environ 200 à 2.000 euros)».