En Afrique et ailleurs, alors que les menaces de propagation massive du coronavirus existent, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), des autorités politiques au pouvoir ont tenu leurs élections nationales ou locales. C’est le cas au Burundi (20 mai), au Bénin (17 mai), au Mali (29 mars et 19 avril)) et en Guinée (22 mars, législatives et référendum). Un volontarisme qui, s’il n’est pas suspect, interroge.
«Le choix d’organiser des élections nationales et/ou locales malgré la situation sanitaire dans ces pays et dans le reste du continent africain obéit à une logique spécifique africaine de préservation du pouvoir des gouvernants en place. En vérité, les chefs d’État africains organisent des élections pour les gagner, pas pour les perdre», explique Mamadou Sy Albert, journaliste et universitaire sénégalais contacté par Sputnik.
Le Président du Bénin Patrice Talon en train de voter le 17 mai dernier.
Des élections à huis clos, sans surveillance autre que celle des organes de l’État et du parti au pouvoir, ont été une véritable aubaine pour des gouvernements en place mal élus ou contestés, lance Mamadou Sy Albert, avant de préciser:
«Quand l’organisateur des scrutins se confond avec l’État, les chemins de la fraude sont balisés, les électeurs s’imposent l’abstention à eux-mêmes et la sincérité du vote est entachée. On en revient de fait au vieux parti unique et à ses mauvais souvenirs.»
Organiser les élections, en dépit et malgré tout, peut donc s’avérer bien plus utile que de devoir les reporter. Cette technique du «glissement», pratiquée par la Kabilie en RDC, il y a quelques années, n’aurait fait, en effet, que retarder l’échéance fatidique, estime encore Mamadou Sy Albert. D’autant plus que «le report d’élection est susceptible de créer un climat d’incertitude sur le rapport de force entre le pouvoir et son opposition».
«On peut lire entre les lignes de ce jusqu’au-boutisme électoraliste une rébellion contre le bon sens républicain de la gouvernance des affaires publiques nationale, continentale et mondiale. La gravité de la situation sanitaire et son impact sur le pays et sur les gens devaient naturellement imposer la suspension des processus électoraux sine die», indique Sy Albert.
Ce forcing des pouvoirs en place installe le malaise et aggrave les dissensions politiques dans des pays confrontés depuis plusieurs décennies aux équations multiples du sous-développement. Du côté des gouvernements, rien de ces différentes considérations autocratiques ne transparaît dans leurs communications officielles, si ce n’est la volonté de préserver, mordicus, la démocratie.
«Le Covid-19 aurait dû renforcer l’unité nationale. Au contraire, il a été utilisé pour fragiliser et détruire le peu de crédibilité qui restait encore à l’élection et au suffrage universel en Afrique», s’alarme Alioune Tine, président du think tank Afrikajom Center, contacté par Sputnik.
Le Président Alpha Condé, lors du double scrutin législatives et référendum.
Pour les populations béninoises, maliennes et guinéennes qui sont allées voter en s’exposant à des risques de contamination, il sera difficile d’évaluer l’impact sanitaire potentiel que l’organisation des scrutins aura eu sur elles. Mais des morts et des manifestations, il y en a eu en Guinée et au Mali, dans une certaine indifférence.
«Le silence de la communauté internationale favorise la tenue de ces élections dans un contexte inapproprié, en dépit des appels de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) et des mouvements de la société civile africaine. Malheureusement, les pays occidentaux sont embarqués dans la stratégie de lutte contre un virus planétaire», déplore l’universitaire sénégalais.
Considérée comme une figure tutélaire pour certains de ces pays, la France n’était pas en mesure de les contraindre à des reports de scrutins. Le 15 mars 2020, le Président Emmanuel Macron et son Premier ministre Édouard Philippe avaient, eux aussi, mais mutatis mutandis, laissé se tenir les élections municipales les plus chaotiques de la tradition électorale française.
Quelles conséquences faut-il attendre de ces scrutins expéditifs? Sans doute pas l’appropriation des processus par les citoyens électeurs, avertit Mamadou Sy Albert.
«Le maintien des élections dans le contexte de la crise mondiale actuelle porte des conséquences concrètes qui fragilisent tout projet démocratique: abstention massive des électeurs, contestations de résultats, défiance politique envers le système démocratique et ceux qui l’accaparent, etc. C’est un schéma dangereux qui peut déboucher sur des comportements extrêmes.»
Mali: des manifestations contre les résultats de législatives jugées frauduleuses.
Après les urnes, la vie semble avoir repris son cours normal en Guinée et au Mali, et même au Bénin où l’autoritarisme du pouvoir a réussi l’exploit de faire concourir uniquement des partis alliés aux dernières élections locales.
«Les Présidents réélus, les parlementaires ou élus locaux […] n’auront guère la légitimité du suffrage universel car l’esprit des élections démocratiques, libres et transparentes est vidé de tout son sens par la volonté d’organiser des scrutins uniquement pour préserver le pouvoir.»
L’après-Covid-19 projeté par les experts et observateurs est redouté par les gouvernants. Mais selon Alioune Tine, l’Afrique est particulièrement exposée «aux menaces sanitaires, à la récession qui s’installe, à de possibles remises en cause économiques et sociales, à l’insécurité alimentaire».