Au Sénégal, les mesures d’assouplissement de l’état d’urgence annoncées le 11 mai dernier par le Président Macky Sall ont semé émoi, soulagement et confusion (c’est selon) dans l’opinion publique.
L’autorisation du rapatriement des dépouilles de Sénégalais décédés du Covid-19 à l’étranger, le changement des heures du couvre-feu (de 21h à 5h contre 20h à 6h auparavant), l’ouverture des marchés et commerces six jours sur sept, les horaires revus de l’administration et, surtout, la réouverture «encadrée» des lieux de culte (mosquées, églises et temples)… autant de décisions qui ne semblent pas comprises au regard de la stratégie nationale de lutte contre le coronavirus. D’autant que ces mesures interviennent à un moment où l’épidémie atteint son pic.
Chaleureux remerciements et profonde gratitude au corps médical, para médical et au personnel de soutien, tous engagés jour et nuit dans une bataille risquée contre une maladie vicieuse, encore largement inconnue. #COVID19 pic.twitter.com/21UPNQatXs
— Macky Sall (@Macky_Sall) May 12, 2020
Abdoul Mbaye, banquier et ancien Premier ministre de… Macky Sall entre 2012 et 2013, a été l’un des premiers opposants à ouvrir le feu sur son ex-patron.
Le Sénégal est le premier pays à renoncer presque totalement aux mesures de lutte contre la pandémie au moment où elle y atteint son pic. Cela ressemble fort à du « faites ce que vous voulez désormais je m’en moque. » @Macky_Sall choisit de faire démissionner l’Etat.
— Abdoul MBAYE (@AbdoulMBAYE2019) May 11, 2020
L’élément déclencheur de la reculade présidentielle est peut-être survenu le vendredi 8 mai dernier à Kaolack, à 190 km de Dakar, avec l’arrestation d’un imam de la confrérie soufie de Léona-Niassène (une branche de la Tidiania) par des policiers. Motif: violation de l’interdiction des prières collectives dans le cadre de l’état d’urgence. Informé, le khalife général de ladite confrérie a fait le siège de la police avec ses disciples.
L’imam a été libéré après audition, mais le khalife a défié l’autorité. «(Notre) mosquée ne sera pas fermée. Nous attendons les policiers de pied ferme…», a-t-il lâché dans une première séquence vidéo avant de se montrer plus conciliant dans une autre où il renouvelait néanmoins la demande de réouverture des mosquées.
Les fidèles de la confrérie de Léona-Niassène dans les rues de Kaolack pour protester contre l’arrestation de leur imam.
Interpellé par Sputnik, Moustapha Diakhaté, ancien chef de cabinet du Président sénégalais et ex-patron de la majorité présidentielle à l’Assemblée nationale, fustige «l’aveuglement» des autorités sénégalaises et leur manque d’autonomie dans la gestion de la crise.
L’intenable posture du Président Sall
La position du numéro un sénégalais n’était plus tenable du fait de sa politique à double vitesse –qui choquait une bonne partie de l’opinion. Plusieurs imams avaient déjà été arrêtés par la police pour le même «délit». Mais dans le même temps, des mosquées fonctionnaient normalement dans d’autres foyers religieux, notamment à Touba, fief de la puissante confrérie mouride.
«Cette situation a développé chez certains compatriotes le sentiment légitime que l’État pratiquait une politique du "deux poids-deux mesures" et risquait de remettre en cause le vivre-ensemble sénégalais. La fermeture des mosquées doit être de portée générale et valable pour tous sur l’ensemble du territoire national», ajoute Diakhaté qui s’était entretenu avec Sputnik avant l’annonce des revirements du chef de l’État.
La réouverture précoce des lieux de culte est un risque majeur qui pourrait annihiler les efforts et sacrifices déployés jusqu’ici pour neutraliser la propagation de la maladie. Cela, les évêques du Sénégal semblent l’avoir anticipé en publiant un communiqué quelques minutes après le discours présidentiel pour indiquer aux fidèles catholiques que «la suspension des célébrations à caractère public est encore de rigueur».
Préserver l’économie contre tout effondrement
À la date du 14 mars, rappelle l’activiste Guy Marius Sagna, le pays ne comptait pourtant que 24 cas positifs déclarés, zéro décès et seulement deux zones touchées, à savoir Dakar et Touba.
«Le 11 mai, avec 19 personnes décédées, 1.151 malades sous traitement, 7.182 cas suivis par le ministère de la Santé et 23 départements coropositifs, le Président Macky Sall a décidé de faire du ponce pilatisme en assouplissant les mesures qu’il avait prises», accuse le leader du mouvement «FRAPP France Dégage».
#Covid-19 Le Sénégal vient d'enregistrer un vingt-deuxième décès .Il s'agit d'un homme âgé de 69 ans, habitant https://t.co/9mEH1v8yVG est décédé ce mercredi au service de réanimation de l'hôpital principal de Dakar
— Ministère de la Santé et de l'Action Sociale SEN (@MinisteredelaS1) May 13, 2020
#cov19sn pic.twitter.com/h75PAEOvfQ
Cependant, à la décharge du Président Macky Sall, beaucoup d’associations et de chefs religieux musulmans, dans le contexte du mois du ramadan, avaient demandé un desserrement de l’étau sur les pratiques religieuses en public. De même, l’ouverture des marchés trois jours dans la semaine avait mis en colère les commerçants locaux alors que les enseignes françaises bénéficiaient, elles, de six jours de ventes. La défiance est en vogue.
La préservation des systèmes productifs et le souci d’éviter l’effondrement de l’économie ne sont pas étrangers à la décision de Macky Sall de changer de stratégie, souligne sur son compte Twitter El Hadj Hamidou Kassé, ministre-conseiller à la présidence sénégalaise.
L’assouplissement des restrictions, assorti du renforcement des gestes barrières, permet de relancer notre économie, de préserver les équilibres sociaux et de partager, à toutes les échelles de la communauté nationale, la responsabilité individuelle et collective
— El Hamidou KASSE (@elhadjkasse) May 13, 2020
Vivre avec le virus, s’adapter à sa présence dans notre environnement pour encore quelques semaines, tel est le pari du Président sénégalais.
J’espère que le président @Macky_Sall a fait le bon choix parce que je ne comprends pas le pourquoi au moment où la situation est grave,il assouplit les conditions.
— Orgulhoso ser senegalês🇸🇳™ (@proudly_senegal) May 11, 2020
Un marché doit être nettoyer tout les jours et l'idéal c'était la fermeture à 14 h pour permettre le nettoyage. pic.twitter.com/6jDxqK8n5r
Une ode à l’immunisation collective des populations dont on ignore pour le moment les dégâts potentiels.