Assouplissement de mesures anti-Covid au Sénégal: la faute à l’économie et aux confréries?

© AFP 2024 SEYLLOUL'appel à la prière, le 4 avril 2020, devant la mosquée Massalikul Jinaan de Dakar.
L'appel à la prière, le 4 avril 2020, devant la mosquée Massalikul Jinaan de Dakar. - Sputnik Afrique
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À l’instar d’Emmanuel Macron, le Président sénégalais s’était imaginé en chef de guerre contre le Covid-19. Mais très vite, les incohérences dans l’application de la doctrine officielle contre la propagation du coronavirus, les pressions des confréries musulmanes et les difficultés économiques l’ont ramené à la réalité.

Au Sénégal, les mesures d’assouplissement de l’état d’urgence annoncées le 11 mai dernier par le Président Macky Sall ont semé émoi, soulagement et confusion (c’est selon) dans l’opinion publique.

L’autorisation du rapatriement des dépouilles de Sénégalais décédés du Covid-19 à l’étranger, le changement des heures du couvre-feu (de 21h à 5h contre 20h à 6h auparavant), l’ouverture des marchés et commerces six jours sur sept, les horaires revus de l’administration et, surtout, la réouverture «encadrée» des lieux de culte (mosquées, églises et temples)… autant de décisions qui ne semblent pas comprises au regard de la stratégie nationale de lutte contre le coronavirus. D’autant que ces mesures interviennent à un moment où l’épidémie atteint son pic.

Abdoul Mbaye, banquier et ancien Premier ministre de… Macky Sall entre 2012 et 2013, a été l’un des premiers opposants à ouvrir le feu sur son ex-patron.

L’élément déclencheur de la reculade présidentielle est peut-être survenu le vendredi 8 mai dernier à Kaolack, à 190 km de Dakar, avec l’arrestation d’un imam de la confrérie soufie de Léona-Niassène (une branche de la Tidiania) par des policiers. Motif: violation de l’interdiction des prières collectives dans le cadre de l’état d’urgence. Informé, le khalife général de ladite confrérie a fait le siège de la police avec ses disciples.

L’imam a été libéré après audition, mais le khalife a défié l’autorité. «(Notre) mosquée ne sera pas fermée. Nous attendons les policiers de pied ferme…», a-t-il lâché dans une première séquence vidéo avant de se montrer plus conciliant dans une autre où il renouvelait néanmoins la demande de réouverture des mosquées.

Les fidèles de la confrérie de Léona-Niassène dans les rues de Kaolack pour protester contre l’arrestation de leur imam.

Interpellé par Sputnik, Moustapha Diakhaté, ancien chef de cabinet du Président sénégalais et ex-patron de la majorité présidentielle à l’Assemblée nationale, fustige «l’aveuglement» des autorités sénégalaises et leur manque d’autonomie dans la gestion de la crise.

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Il estime que le Président Macky Sall et son gouvernement «sont pris à leur propre piège en cédant avec une facilité déconcertante à la panique à la suite des prédictions catastrophistes de l’OMS et de certains oiseaux de mauvais augure occidentaux». Ce qui s’est passé ce vendredi à Kaolack met en effet à nu la gravité de la fermeture sélective des mosquées. «Les frustrations nées de la mauvaise application de la mesure sont la source de périls plus dangereux que le mal qu’elle est censée combattre», poursuit-il.

L’intenable posture du Président Sall

La position du numéro un sénégalais n’était plus tenable du fait de sa politique à double vitesse –qui choquait une bonne partie de l’opinion. Plusieurs imams avaient déjà été arrêtés par la police pour le même «délit». Mais dans le même temps, des mosquées fonctionnaient normalement dans d’autres foyers religieux, notamment à Touba, fief de la puissante confrérie mouride.

«Cette situation a développé chez certains compatriotes le sentiment légitime que l’État pratiquait une politique du "deux poids-deux mesures" et risquait de remettre en cause le vivre-ensemble sénégalais. La fermeture des mosquées doit être de portée générale et valable pour tous sur l’ensemble du territoire national», ajoute Diakhaté qui s’était entretenu avec Sputnik avant l’annonce des revirements du chef de l’État.

La réouverture précoce des lieux de culte est un risque majeur qui pourrait annihiler les efforts et sacrifices déployés jusqu’ici pour neutraliser la propagation de la maladie. Cela, les évêques du Sénégal semblent l’avoir anticipé en publiant un communiqué quelques minutes après le discours présidentiel pour indiquer aux fidèles catholiques que «la suspension des célébrations à caractère public est encore de rigueur».

Une proche de l’Église, qui a requis l’anonymat, a confié à Sputnik: «Pour l’Église du Sénégal, les raisons qui avaient rendu nécessaire la fermeture des lieux de culte dans le cadre de la lutte contre le coronavirus sont encore là. La preuve: les contaminations augmentent, les décès également. Sa démarche est donc cohérente et réfléchie.»

Préserver l’économie contre tout effondrement

À la date du 14 mars, rappelle l’activiste Guy Marius Sagna, le pays ne comptait pourtant que 24 cas positifs déclarés, zéro décès et seulement deux zones touchées, à savoir Dakar et Touba.

«Le 11 mai, avec 19 personnes décédées, 1.151 malades sous traitement, 7.182 cas suivis par le ministère de la Santé et 23 départements coropositifs, le Président Macky Sall a décidé de faire du ponce pilatisme en assouplissant les mesures qu’il avait prises», accuse le leader du mouvement «FRAPP France Dégage».

Cependant, à la décharge du Président Macky Sall, beaucoup d’associations et de chefs religieux musulmans, dans le contexte du mois du ramadan, avaient demandé un desserrement de l’étau sur les pratiques religieuses en public. De même, l’ouverture des marchés trois jours dans la semaine avait mis en colère les commerçants locaux alors que les enseignes françaises bénéficiaient, elles, de six jours de ventes. La défiance est en vogue.

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Le constat de Moustapha Diakhaté est sans appel: «Les signes d’agacement, voire de retournement, dans l’opinion sont évidents. Les entreprises publiques et privées sont presque toutes à l’arrêt. Les appareils productifs fonctionnent de moins en moins.» Et cette situation touche tous les secteurs comme l’industrie, la pêche, le transport, le tourisme, l’hôtellerie, la culture, l’artisanat, les agences de voyages, le loisir, la publicité, les commerces de vêtements, l’événementiel et d’autres activités connexes.

La préservation des systèmes productifs et le souci d’éviter l’effondrement de l’économie ne sont pas étrangers à la décision de Macky Sall de changer de stratégie, souligne sur son compte Twitter El Hadj Hamidou Kassé, ministre-conseiller à la présidence sénégalaise.

Vivre avec le virus, s’adapter à sa présence dans notre environnement pour encore quelques semaines, tel est le pari du Président sénégalais.

Une ode à l’immunisation collective des populations dont on ignore pour le moment les dégâts potentiels.

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