Au Sénégal, malgré un démenti officiel, un «faux décret» au cœur de la polémique

© Photo Présidence du SénégalMacky Sall, le Président sénégalais, au palais présidentiel à Dakar, le 28 mai 2019
Macky Sall, le Président sénégalais, au palais présidentiel à Dakar, le 28 mai 2019 - Sputnik Afrique
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Des avantages financiers et protocolaires jugés indécents sont présumés accordés à des dignitaires politiques sénégalais par «décret» présidentiel. Devant le tollé soulevé, le Palais a rapidement dénoncé un «fake décret». Cette défense est cependant mise à mal par les opposants et détracteurs du Président, qui réclament la transparence.

Dans la soirée du 14 mai 2020, un «décret n°2020-964» en date du 17 avril 2020 circule sur les réseaux sociaux. Il porte une signature présentée comme celle du Président sénégalais. Sur deux pages, Macky Sall semble créer un «honorariat» au profit des anciens présidents du Conseil économique, social et environnemental (CESE) du Sénégal, avec pour chacun une quantité considérable d’avantages et d’honneurs.

«Article 3: un président honoraire du Conseil économique, social et environnemental bénéficie des avantages ci-dessus [sic]: une indemnité de représentation de 4.500.000 francs CFA nets par mois [environ 6.860 euros]; un véhicule de fonction avec macaron [laissez-passer permanent]; un chauffeur particulier; une dotation mensuelle de carburant de 500 litres; un agent de sécurité rapprochée», peut-on notamment lire sur le scan du document, présenté comme un décret signé par le Président.

L’auteur de la publication n’est autre que Vieux Aïdara, un opposant très proche de Karim Wade, fils de l’ancien Président sénégalais Abdoulaye Wade. Celui-ci a perdu la présidentielle en 2012 face à son ancien proche collaborateur, Macky Sall.

Fake news, scande la Présidence!

Très vite, le document devient viral. Les commentaires indignés succèdent aux dénonciations d’un acte «irresponsable» et «incompréhensible» dans un contexte aussi périlleux que celui de la lutte contre la propagation du coronavirus au Sénégal. Surtout, le parallèle est posé entre cette présumée générosité présidentielle à l’endroit de personnalités d’État et la masse de pauvres qui survit aux quatre coins du pays.

«Les copines d’abord et tant pis pour le personnel soignant», regrette Thierno Alassane Sall, ancien ministre de l’Énergie, qui suggère que le «décret» aurait été pris pour récompenser une proche du Président, l’ancienne présidente du CESE, Aminata Tall.

Toutefois, devant l’ampleur de l’indignation, le pôle communication de la présidence sénégalaise réagit et publie un communiqué de presse pour dénoncer un «faux décret».

Introuvable sur les comptes officiels de la présidence sur les réseaux sociaux, ce communiqué a été directement envoyé à différentes rédactions sénégalaises.

La précision apportée par la présidence semble décisive, notamment quand elle mentionne que tous les décrets, sans restriction, sont publiés au Journal officiel de la République du Sénégal (JORS). Or, cette orthodoxie administrative est mise à mal par Vieux Aïdara, opposant et auteur de la première publication du «décret» polémique, qui vit actuellement en France.

«Soit. Mais alors, puisque tous les décrets pris par le Président Macky Sall sont publiés au JORS et sur le site du gouvernement, qu’on montre aux Sénégalais la publication au Journal officiel du décret n°2016-1222 du 12 août 2016 nommant Pape Oumar Sakho président du Conseil constitutionnel du Sénégal», réclame Vieux Aïdara.

Dans une note parue en septembre 2019, et qui n’a pas eu droit à une réaction officielle, le juriste Seybani Sougou rapportait lui aussi, documents à l’appui, que la nomination de Sakho à la tête du Conseil constitutionnel n’avait jamais été publiée au Journal officiel. Malaise!

Orthodoxie administrative?

Le «décret» qui honore les anciens présidents du CESE a été pris le 17 avril 2020 et porte le numéro 2020-964. Le même jour, un autre «décret» avait été pris par le Président de la République relatif au fonctionnement du comité de suivi des opérations de «Force Covid-19». Étrangement, il portait le numéro suivant, soit 2020-965.

Pour mettre un terme à cette polémique, plusieurs acteurs politiques demandent donc la publication du décret portant le numéro 2020-964.

«De quoi parle le décret 2020-964? Cette information renforcerait le démenti de la présidence. Les décrets 2020-965 et 2020-966 sont connus (Force Covid). Un petit effort…», suggère avec malice Lamine Bara Lô, membre de la mouvance de l’ex-maire de Dakar Khalifa Ababacar Sall.

Qui aurait laissé «fuiter» le document?

Imperturbable, Vieux Aïdara, journaliste et ancien patron d’une chaîne de télévision sénégalaise, ne fléchit pas et livre à Sputnik son sentiment sur la réaction du pôle communication de la présidence.

«Je n’accuse jamais sans preuve. Leur supposé démenti sous le prétexte de la non-publication de ce décret au Journal officiel de la République du Sénégal n’est que de la communication sur une reculade face au tollé soulevé par des avantages offerts à des dignitaires du régime. D’ailleurs, des fonctionnaires de l’État du Sénégal vont bien évidemment reconnaître l’écriture manuscrite de l’auteur sur la copie qui a fuité.»

Le Conseil économique, social et environnemental, organe consultatif, a changé de dénomination (ex-Conseil économique et social) à l’arrivée de Macky Sall au pouvoir. Sa première présidente a été Aminata Tall, une ancienne ministre proche d’Abdoulaye Wade, qui a laissé son fauteuil à l’ex-Première ministre Aminata Touré en mai 2019.

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