65 quartiers ont déjà été touchés par les émeutes, sur les 700 cités catégorisées comme «sensibles» par le renseignement territorial. Parmi les 60 «quartiers sensibles de non-droit», c’est-à-dire les plus explosifs, treize ont été le théâtre de ces violences, notamment à l’encontre des forces de l’ordre, victimes de guet-apens à coups de tirs de mortier d’artifice, de pierres ou de cocktails Molotov.
À l’instar de Christophe Castaner, qui estime sur BFMTV que ces violences ne relèvent pas d’une gravité exceptionnelle, le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Intérieur, Laurent Nuñez a constaté ce 24 avril sur Europe 1 des «phénomènes de violences urbaines, et non d’émeutes urbaines». Celui-ci affirme que ces évènements ne concernent qu’un «nombre limité de personnes» et demeurent de basse intensité. Les chiffres de la place Beauvau indiquent ainsi une cinquantaine d’interpellations depuis cinq jours.
Le retour à «la normale» dans les banlieues
Xavier Raufer, enseignant au CNAM (Conservatoire national des arts et métiers) au pôle sécurité-défense/criminologie, reconnaît que les violences actuelles, comparées aux émeutes de 2005, se situent «à plus basse intensité» et sont «sous contrôle»: il réfute à ce stade toute «insurrection générale des banlieues». Comme l’indique le dernier point de situation établi par le criminologue, la situation s’est relativement apaisée depuis 48 heures. La nuit du 23 au 24 avril a été globalement plus calme en banlieue parisienne, malgré des jets de projectile ou d’engins incendiaires en direction des forces de l’ordre, signalés dans les Hauts-de-Seine –Villeneuve-la-Garenne, Gennevilliers et Nanterre– et des voitures brûlées à Bagneux, selon la police.
Ces phénomènes constituent simplement un «retour à la normale». Dans ces banlieues, «c’est quelque chose qui depuis trente ou quarante ans se produit de manière hebdomadaire en France». C’est le confinement et la crainte de l’épidémie qui a fait s’arrêter «toute manifestation d’hostilité des banlieues en question, le temps que les individus comprennent, se ressaisissent». Le criminologue poursuit:
«Depuis 50 ans, la République française a décidé qu’elle ne rétablirait pas l’ordre dans un certain nombre de quartiers figurant dans la zone périurbaine des grandes agglomérations françaises […] Ces phénomènes-là sont récurrents, ils traversent des périodes de calme, il y a des phases d’agitation […]
Les syndicats de police disent que voilà, la normale, c’est-à-dire des émeutes à répétition dans les banlieues, est en train de reprendre à l’heure actuelle. C’est remarquable par le fait qu’il n’y ait rien eu pendant trois semaines.»
«Comment voulez-vous violer des gens quand les rues sont vides? comment voulez-vous cambrioler des appartements dans lesquels il y a 10 personnes?», explique le criminologue.
L’accalmie semble pourtant avoir été de courte durée dans ces zones de non-droit.
«Ceux qui contrôlent le trafic des stupéfiants à partir des cités dorment sur des trésors de fric»
Loin de l’idée que ces émeutes seraient provoquées par l’assèchement des ressources financières provenant de l’économie souterraine, l’enseignant au pôle sécurité-défense/criminologie du CNAM estime au contraire que les cités regorgent d’argent, faisant notamment du 93 le deuxième département le plus riche d’Île-de-France, après avoir recoupé les données d’Eurostat.
«Les caïds en question, ceux qui contrôlent le trafic des stupéfiants à partir des cités, dorment sur des trésors de fric dont vous n’avez pas idée […] Ils ne sont pas à la gorge à une journée près, ils peuvent entretenir la cité pendant 15 jours ou trois semaines, le temps qu’on puisse recommencer le business.»
Le Canard enchaîné du 22 avril a révélé un courriel du préfet de Seine-Saint-Denis, qui craint des émeutes de la faim dans le département. Selon le haut fonctionnaire, entre 15.000 et 20.000 personnes auront du mal à se nourrir. Les caïds joueront-ils le rôle de Robins des bois? Xavier Raufer renchérit, affirmant que les cités sous la coupe des criminels les plus puissants sont justement celles qui n’ont pas été le théâtre de violences:
«Dès 2005 et encore cette fois-ci, ce qu’on entend et ce qui remonte, c’est que les caïds laissent faire les petits pendant qu’ils se défoulent pendant deux, trois jours, et qu’au bout de trois jours, ils leur disent “ça va comme ça”.
La preuve de ce que je vous dis: vous avez vu une voiture bousillée à Marseille, dans les quartiers nord, depuis le 15 mars? Pas une. […] Toutes les cités marseillaises […] sont parfaitement calmes, comme en 2005, parce que le pouvoir criminel est tel que les grands caïds leur disent “non, restez chez vous”.»
«Il fallait réquisitionner un immeuble dans chacune des pires 100 cités de France, installer une gendarmerie et dire “à partir de maintenant, les gens traversent dans les clous, ils mettent leurs casquettes à l’endroit, ils disent bonjour, plus de pitbulls et tout le monde obéit.” C’est ça qu’il aurait fallu faire.»
Une solution qui aurait été rapidement mise aux oubliettes par le Président de la République de l’époque, François Hollande.
Peut-on parler de violences policières?
Une question fait également l’objet de débat actuellement: le traitement des banlieues par les forces de l’ordre est-il le même que celui observé dans les manifestations de Gilets jaunes? Le sujet des violences policières a ainsi régulièrement fait surface ces derniers mois. En est-il de même concernant ces banlieues?
«La répression des manifestations des Gilets jaunes a été concrètement beaucoup plus sauvage et brutale que toute la répression des émeutes à répétition, notamment celle de Grenoble à la même période […] Effectivement, il y a eu deux poids, deux mesures. Mais il y a une grande lâcheté de l’appareil d’État devant ce qui se passe dans les banlieues.»