Banlieues: les émeutiers arrêtés risquent «30 ans» en théorie, «quelques mois avec sursis» en pratique

© AFP 2024 GEOFFROY VAN DER HASSELTEmeute : police à Villeneuve-la-Garenne
Emeute : police à Villeneuve-la-Garenne - Sputnik Afrique
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Alors que les accrochages entre délinquants et policiers se multiplient, Christophe Castaner minimise les troubles et affirme rester ferme. Alors que plusieurs jeunes individus ont été interpellés, la justice tiendra-t-elle aussi son rôle? Sputnik a fait le point avec l’avocat pénaliste Laurent-Franck Liénard.

Trappes (78), dans la nuit du 22 avril, vers 22h30. Un équipage de Brigade anticriminalité (BAC) stationne avenue Salvador Allende. Une heure avant, les policiers avaient dispersé d’un tir de LBD un petit groupe d’une dizaine de voyous leur jetant des pierres. Mais soudain, les voici de nouveau pris à partie.

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Les policiers reçoivent encore des projectiles, et cette fois les délinquants sont trois fois plus nombreux. La voiture heurte des containers-poubelles pour s’extraire et les agents tirent une dizaine de balles en caoutchouc, de grenades lacrymogènes et de désencerclement. Menacés physiquement, contraints par les ordres «d’éviter le contact,» les policiers n’ont rien pu faire. Dans cet accrochage, aucun individu ne sera interpellé.

Le lendemain au micro de RMC, Christophe Castaner, annonçait toutefois 12 interpellations dans la nuit. «J’ai identifié près de 15 faits importants, avec des guets-apens organisés contre nos forces de sécurité», a-t-il déclaré. Tâchant de réfuter les accusations de laxisme, le ministre de l’Intérieur a maintenu la position de l’exécutif, minimisant les tensions, qui ne seraient «pas d'un niveau de gravité exceptionnel»: «nous ne sommes pas dans le schéma des émeutes de 2005, mais dans des tensions sporadiques.»

Les impacts des tirs de mortier sont «impressionnants»

Pas un mot ne sera dit sur la bouteille contenant de l’acide, retrouvée parmi les projectiles reçus à Clichy-la-Garenne (92) par la Police, selon la policière Linda Kebbab (Syndicat Unité SGP). Pas un mot non plus sur l’attaque au mortier d’artifice du commissariat de Champigny-sur-Marne (94). Sur les images, d’innombrables bouquets de couleur. Un internaute s’en amuse: «j’ai cru que c’était le trailer de Harry Potter V».

Mais pour les flics, ces effets pyrotechniques ont une autre réalité: «j’ai vu des impacts de tir de mortier sur des gilets pare-balles, c’est impressionnant», nous a confié au détour d’une conversation Laurent-Franck Liénard, avocat pénaliste, qui défend régulièrement des agents de police. Au point d’impact, un trou de 2 à 3 cm de diamètre, «comme à l’emporte-pièce.» Le policier n’aurait sans doute pas survécu si le projectile l’avait atteint au visage: «on peut considérer que tirer des feux d’artifice c’est festif, mais c’est extrêmement dangereux», tranche l’avocat au micro de Sputnik avant d'ajouter:

«On va finir par tuer des gens qui n’ont pas mérité ça...»

Par chance, hier à Poissy (78), seul un agent a été légèrement blessé: il n'a subi que des acouphènes du fait des tirs répétés. Par chance aussi, les policiers pris à partie parviendront ici à riposter aux tirs et à manœuvrer face à une trentaine de voyous, pour en interpeller deux, de 20 et 17 ans, qui seront placés en garde à vue. La plupart du temps, les émeutiers se débinent: comme dans une guerre asymétrique, ils se fondent sans peine dans le décor. Mais ces deux-là, prénommés Alan et Samir, comptent parmi les douze interpellations de la nuit dernière.

Les «perturbateurs» seront-ils condamnés?

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«Je veux condamner [les violences contre les policiers, ndlr]», déclarait Christophe Castaner. Une posture morale, bien sûr, car après tout, comme nous l’a rappelé Me. Laurent-Franck Liénard, le rôle des forces de police n’est que de confier les suspects à l’institution judiciaire. Reste encore à savoir si les interpellations mèneront en effet à des condamnations. En d’autres termes, que risquent-ils?

Bien sûr, les faits reprochés sont graves. En effet, les circonstances aggravantes peuvent en théorie être cumulées: violence en réunion, usage d’une arme, et bien sûr qualité de la victime (les policiers sont dépositaires de l’autorité publique). Une accumulation qui pourrait mener à une peine de plusieurs décennies:

«Là, on est sur du 30 ans… voire la perpétuité», selon Me Laurent-Franck Liénard, qui ne manque toutefois pas d’ajouter: «en pratique, ce qu’ils risquent c’est quelques mois avec sursis.»

Car la différence entre théorie et pratique est devenue abyssale. Au point que la comparaison entre le Code pénal et les peines prononcées peut «ne plus avoir de sens», selon notre interlocuteur. Désormais, la fermeté de la peine dépend du juge ou, plus précisément des réquisitions du parquet: «s’il demande une peine forte, le tribunal a tendance à suivre», nous explique Me Liénard. Mais rien n’est moins sûr:

«J’ai commencé ce métier il y a 30 ans, confie l’avocat pénaliste. On pouvait dire, “vous risquez tant.” Aujourd’hui, c’est l’aléa le plus total! On tombe sur des juridictions qui prononcent des peines complètement infondées et puis quelquefois, on tombe sur des magistrats qui sont cohérents avec le danger encouru par la société.»

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«Il manque la certitude de la peine», insiste l’avocat: «c’est mon problème quotidien.» Dur en effet de plaider quand rien n’est prévisible. Mais cette incertitude a des conséquences plus larges encore: c’est là, selon Liénard, une «clé de la prévention du crime» qui a disparu. Dans la tête des délinquants, le sentiment d’impunité domine: «si vous voulez faire une chose et que vous êtes certain de prendre cinq ans, vous n’allez pas la faire. Si vous pensez ne prendre qu’un mois si vous vous faites attraper, hé bien, vous la faites.» Notre interlocuteur attend donc des magistrats en charge des dossiers des réponses pénales fermes. La responsabilité des délinquants est actuellement «en permanence minorée»:

«On les déresponsabilise. Il faut que la sanction judiciaire soit ferme et dure, il faut que le délinquant ait peur d’aller au tribunal. Aujourd’hui, un délinquant, il injurie le juge à l’audience», s’insurge Me Liénard.

Une déresponsabilisation et un dysfonctionnement de la chaîne pénale devenu crucial, alors que la température monte dangereusement dans les banlieues. Sur le terrain, les policiers confient souvent leur malaise: la pusillanimité de certains au sein de la hiérarchie policière se double d’un pouvoir judiciaire qui ne remplit plus sa fonction dissuasive face à la criminalité.

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