En Tunisie, le ramadan a pris de l’avance cette année. L’avènement du mois saint des musulmans est traditionnellement associé à une série de mesures gouvernementales destinées à parer aux actions malveillantes des spéculateurs qui pourraient bien voir leurs affaires prospérer.
«Chaque spéculateur en matière de produits alimentaires doit être puni comme un criminel de guerre» en appelant à prendre «des mesures strictes contre ces gens-là», voire à durcir la loi.
C’est ainsi que l’État tunisien s’est trouvé dans l’urgence de mettre en place une stratégie pour lutter contre la spéculation.
Le ministère du Commerce n’a cessé, depuis le début du mois de mars, de multiplier les opérations de contrôle et d’inspection afin de sanctionner les spéculateurs ou ceux qui cherchent à stocker chez eux les denrées alimentaires de base.
Par ailleurs, onze commerçants ont été arrêtés pour leur implication dans la manipulation des prix des produits subventionnés ou leur stockage illégal. 50 autres ont été rayés de la liste des commerçants s’approvisionnant en produits subventionnés.
La peur de la pénurie exacerbe les tensions
Mais la lutte contre les spéculateurs revêt un nouvel intérêt, dans un contexte d’épidémie généralisée. Dans les premiers jours qui ont suivi l’instauration du confinement général, la crainte de la pénurie s’est emparée d’une partie de la population, donnant ainsi lieu à des scènes de bagarres, de bousculades, devant des points de vente de produits de base. La spéculation pourrait encore aggraver cette situation.
Dans un pays où le nombre de malades a dépassé, en ce début du mois d’avril, le cap des 400 cas, avec une douzaine de décès, il s’agit clairement d’éviter que de pareilles scènes ne se reproduisent, vu les contagions à grande échelle qu’elles favorisent.
L’INLUCC se mobilise
La recrudescence des infractions commises par les spéculateurs a poussé l’Instance nationale de lutte contre la corruption (INLUCC) à se mobiliser de son côté, en mettant en place un programme d’action en collaboration avec le ministère du Commerce afin de mener la guerre contre la spéculation.
Ainsi, l’INLUCC a mis à la disposition des citoyens son numéro vert, utilisé habituellement pour dénoncer les cas de corruption, pour réduire la pression sur le numéro vert du ministère du Commerce. Par ailleurs, les deux parties ont instauré des patrouilles communes sur tout le territoire afin de combattre les spéculateurs.
«Nous nous sommes mobilisés au niveau de l’INLUCC car nous avons constaté que les infractions commises par les spéculateurs ont atteint un niveau élevé. C’est pour cela que nous avons décidé de collaborer étroitement avec les autorités, notamment le ministère du Commerce, pour mener cette guerre ensemble», précise à Sputnik Chawki Tabib, président de cette autorité indépendante.
L’instance reçoit environ 300 signalements par jour de la part de citoyens qui dénoncent les spéculateurs et publie quotidiennement un communiqué où elle relate des exemples d’infractions.
«Il y a une grande coopération de la part des citoyens. Et ils se sentent encouragés à signaler les infractions quand ils voient que nous nous mobilisons avec les équipes du ministère du Commerce et les gouverneurs pour arrêter les opérations de spéculation et sanctionner les coupables», indique à Sputnik Wael Ounifi, chargé de communication de l’INLUCC.
Un député impliqué dans une affaire de spéculation
Parmi les personnes impliquées dans des opérations de spéculation, des «omdas» (délégués de quartier), notamment dans les zones rurales, ont été dénoncés par les citoyens.
Un député de la circonscription de Kasserine a même été dénoncé à l’INLUCC pour avoir fait de la spéculation en matière de denrées alimentaires.
«Il s’agit d’un député possédant une usine de semoule et de farine, qui vend normalement en gros et qui s’est mis à vendre au détail et à des prix élevés. Les autorités régionales se sont mobilisées pour le sanctionner et mettre un point de contrôle sécuritaire près de l’usine», précise Chawki Tabib.
Dimanche 29 mars, les services de la douane ont déjoué une opération d’import illicite de matériel médical périmé. Il s’agissait de 92.000 masques chirurgicaux, 133.400 gants médicaux et de 9.280 blouses médicales de protection respectivement expirés depuis 2014, 2017 et 2018, comme le précise le site d’information Businessnews.
Tous ces efforts sont-ils suffisants pour arrêter les spéculateurs?
«J’estime que les efforts faits jusque-là sont efficaces», déclare le président de l’INLUCC. Reste qu’il faut durcir davantage la loi contre les spéculateurs. «Car les sanctions appliquées en ce moment sont dissuasives.»
L’INLUCC a soumis des suggestions pour durcir la loi au ministère du Commerce qui devrait les faire parvenir à la présidence du gouvernement.
«Nous espérons que des mesures rapides seront prises pour réviser la loi afin de pouvoir combattre les spéculateurs, notamment les grosses têtes», conclut Chawki Tabib.
Le Parlement tunisien tiendra, le 3 avril, une plénière (à distance) pour se pencher sur le projet de loi autorisant le gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance, dans des domaines relevant habituellement du domaine législatif, et ce pour une durée de deux mois. La rapidité souhaitée par Chawki Tabib pourrait fortement dépendre de l’issue de cette autorisation.