Covid-19: En Tunisie, les spéculateurs, des «criminels de guerre» dans le collimateur

© AFP 2024 FETHI BELAIDUne femme faisant ses courses devant des soldats durant le confinement.
Une femme faisant ses courses devant des soldats durant le confinement. - Sputnik Afrique
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En les qualifiant de «criminels de guerre», le Président tunisien n’a pas de mots assez durs contre les spéculateurs. En ces temps d’urgence sanitaire, les autorités ont engagé une lutte sans merci contre ces délinquants économiques. Pas facile quand des députés en feraient partie. L’heure est-elle au durcissement de la loi?

En Tunisie, le ramadan a pris de l’avance cette année. L’avènement du mois saint des musulmans est traditionnellement associé à une série de mesures gouvernementales destinées à parer aux actions malveillantes des spéculateurs qui pourraient bien voir leurs affaires prospérer.

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Mais à quelques semaines du début du jeûne, et en pleine crise sanitaire provoquée par le Covid-19, c’est bien sur ce front que s’activent désormais les autorités tunisiennes en redoublant d’efforts. Multiforme, la crise ne se limite pas au seul secteur de la santé, au demeurant défaillant. Le ralentissement de l’économie et le confinement général ont imposé une véritable guerre déclarée aux spéculateurs et à tous ceux qui monopolisent les produits de base et le matériel médical. Dans un discours prononcé le 31 mars, le Président de la République, Kaïs Saïed, a déclaré:

«Chaque spéculateur en matière de produits alimentaires doit être puni comme un criminel de guerre» en appelant à prendre «des mesures strictes contre ces gens-là», voire à durcir la loi.

C’est ainsi que l’État tunisien s’est trouvé dans l’urgence de mettre en place une stratégie pour lutter contre la spéculation.

Le ministère du Commerce n’a cessé, depuis le début du mois de mars, de multiplier les opérations de contrôle et d’inspection afin de sanctionner les spéculateurs ou ceux qui cherchent à stocker chez eux les denrées alimentaires de base.

Jusqu’au 27 mars dernier, plus de 17.000 visites d’inspection ont été effectuées qui ont permis de relever 2.018 infractions à caractère économique et de saisir 325 tonnes de produits de base (farine, semoule et pâtes), 10.000 litres de lait, 20.000 litres de l’huile végétale, 317.000 unités de matériel médical (masques, gants, gels), 8.300 litres de produits de nettoyage et 13.115 unités de produits alimentaires, selon la page officielle du ministère.

Par ailleurs, onze commerçants ont été arrêtés pour leur implication dans la manipulation des prix des produits subventionnés ou leur stockage illégal. 50 autres ont été rayés de la liste des commerçants s’approvisionnant en produits subventionnés.

La peur de la pénurie exacerbe les tensions

Mais la lutte contre les spéculateurs revêt un nouvel intérêt, dans un contexte d’épidémie généralisée. Dans les premiers jours qui ont suivi l’instauration du confinement général, la crainte de la pénurie s’est emparée d’une partie de la population, donnant ainsi lieu à des scènes de bagarres, de bousculades, devant des points de vente de produits de base. La spéculation pourrait encore aggraver cette situation.

Dans un pays où le nombre de malades a dépassé, en ce début du mois d’avril, le cap des 400 cas, avec une douzaine de décès, il s’agit clairement d’éviter que de pareilles scènes ne se reproduisent, vu les contagions à grande échelle qu’elles favorisent.

L’INLUCC se mobilise

La recrudescence des infractions commises par les spéculateurs a poussé l’Instance nationale de lutte contre la corruption (INLUCC) à se mobiliser de son côté, en mettant en place un programme d’action en collaboration avec le ministère du Commerce afin de mener la guerre contre la spéculation.

Ainsi, l’INLUCC a mis à la disposition des citoyens son numéro vert, utilisé habituellement pour dénoncer les cas de corruption, pour réduire la pression sur le numéro vert du ministère du Commerce. Par ailleurs, les deux parties ont instauré des patrouilles communes sur tout le territoire afin de combattre les spéculateurs.

«Nous nous sommes mobilisés au niveau de l’INLUCC car nous avons constaté que les infractions commises par les spéculateurs ont atteint un niveau élevé. C’est pour cela que nous avons décidé de collaborer étroitement avec les autorités, notamment le ministère du Commerce, pour mener cette guerre ensemble», précise à Sputnik Chawki Tabib, président de cette autorité indépendante.

L’instance reçoit environ 300 signalements par jour de la part de citoyens qui dénoncent les spéculateurs et publie quotidiennement un communiqué où elle relate des exemples d’infractions.

 «Il y a une grande coopération de la part des citoyens. Et ils se sentent encouragés à signaler les infractions quand ils voient que nous nous mobilisons avec les équipes du ministère du Commerce et les gouverneurs pour arrêter les opérations de spéculation et sanctionner les coupables», indique à Sputnik Wael Ounifi, chargé de communication de l’INLUCC.

Un député impliqué dans une affaire de spéculation

Parmi les personnes impliquées dans des opérations de spéculation, des «omdas» (délégués de quartier), notamment dans les zones rurales, ont été dénoncés par les citoyens. 

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En effet, et selon les signalements parvenus à l’INLUCC, certains d’entre eux ont utilisé leur pouvoir pour monopoliser des denrées alimentaires ou les distribuer aux citoyens d’une façon inégale. D’autres ont tiré profit de la situation précaire de certaines familles nécessiteuses pour leur faire payer des pots-de-vin afin d’obtenir les aides de l’État.

Un député de la circonscription de Kasserine a même été dénoncé à l’INLUCC pour avoir fait de la spéculation en matière de denrées alimentaires.

«Il s’agit d’un député possédant une usine de semoule et de farine, qui vend normalement en gros et qui s’est mis à vendre au détail et à des prix élevés. Les autorités régionales se sont mobilisées pour le sanctionner et mettre un point de contrôle sécuritaire près de l’usine», précise Chawki Tabib.

Dimanche 29 mars, les services de la douane ont déjoué une opération d’import illicite de matériel médical périmé. Il s’agissait de 92.000 masques chirurgicaux, 133.400 gants médicaux et de 9.280 blouses médicales de protection respectivement expirés depuis 2014, 2017 et 2018, comme le précise le site d’information Businessnews.

Tous ces efforts sont-ils suffisants pour arrêter les spéculateurs?

«J’estime que les efforts faits jusque-là sont efficaces», déclare le président de l’INLUCC. Reste qu’il faut durcir davantage la loi contre les spéculateurs. «Car les sanctions appliquées en ce moment sont dissuasives.»

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En effet, la loi 36-2015 datée du 15 septembre 2015 et relative à la réorganisation de la concurrence et des prix prévoit dans son article 49 une sanction d’un mois à un an d’emprisonnement et/ou une amende de 1.000 dinars à 100.000 dinars (333 euros à 33.000 euros) contre quiconque procède à des spéculations pour influencer le niveau normal des prix, ou détient des stocks en vue de leur commercialisation à titre spéculatif.

L’INLUCC a soumis des suggestions pour durcir la loi au ministère du Commerce qui devrait les faire parvenir à la présidence du gouvernement.

«Nous espérons que des mesures rapides seront prises pour réviser la loi afin de pouvoir combattre les spéculateurs, notamment les grosses têtes», conclut Chawki Tabib.

Le Parlement tunisien tiendra, le 3 avril, une plénière (à distance) pour se pencher sur le projet de loi autorisant le gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance, dans des domaines relevant habituellement du domaine législatif, et ce pour une durée de deux mois. La rapidité souhaitée par Chawki Tabib pourrait fortement dépendre de l’issue de cette autorisation.

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