«La Cedeao est malade des faiblesses et défaillances de ses pays membres»

Le fiasco d’une médiation inaboutie en Guinée vient rappeler l’impuissance de la Cedeao dans la résolution des crises. Championne de l’intégration économique, l’organisation régionale bute, pourtant, sur des défis politico-sécuritaires et doit souvent s’en remettre à l’arbitrage à géométrie variable des plus puissants de ses membres. Analyse.
Sputnik

C’est sans doute l’un des meilleures élèves de l’intégration régionale en Afrique. De ce point de vue, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) apparaît comme l’une des CER (communauté économiques régionales) les mieux loties.

Affichant des notes supérieures à la moyenne concernant la libre circulation des personnes et de l’intégration financière et macroéconomique, elle est néanmoins le théâtre de crises politiques et sécuritaires de plus en plus nombreuses.

Foyer de tension ouvert où les morts s’empilent au gré des rafales des militaires guinéens, la Guinée-Conakry est, ainsi, livrée à elle-même, notamment après l’échec «pour cause de coronavirus», d’une mission de quatre chefs d’État censée aller secouer un Alpha Condé obnubilé par un troisième mandat.

«Concrètement, la Cedeao procède par une sorte de système de régulation des crises par la catastrophe. Et quand elle veut intervenir, soit c’est trop tard, soit elle n’en a pas les capacités et les moyens. Tout le monde savait que les ingrédients explosifs liés aux législatives, au référendum et à la perspective d’un troisième mandat ouvraient les portes d’une confrontation violente», s’insurge dans un entretien à Sputnik Alioune Tine, président-fondateur du think tank AfricaJom Center.

«Une réputation en danger»

Les impuissances de l’institution ouest-africaine ne passent pas inaperçues. Dans un rapport intitulé «La réputation chèrement acquise de la Cedeao en danger» publié le 16 mars, le Centre d’études stratégiques pour l’Afrique (CESA, rattaché au Département d’État américain basé à Washington) établit un diagnostic documenté sur l’état d’une institution victime d’abord de l’égocentrisme de ses membres.

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Trois cas emblématiques, ceux du Togo, de la Guinée et du Bénin, risquent de discréditer un organe naguère prometteur. «Dans chacun de ces cas et à des degrés divers, la Cedeao s’est généralement tenue à l’écart alors que des processus démocratiques essentiels étaient démantelés ou ignorés», souligne le document du CESA parcouru par Sputnik.

Pour expliquer cette passivité qui a conduit à des drames dans certains pays, la mise au placard d’un document d’orientation considéré comme fondamental est souvent invoquée par les observateurs.

«La Cedeao dispose du Protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance, une véritable Constitution, un texte magnifique qui couvre autant les questions de la démocratie, de l’État de droit que des droits humains. Même un respect de ses dispositions pertinentes aurait permis aux États membres de garantir la paix, la sécurité et la stabilité», affirme Alioune Tine, par ailleurs ancien directeur exécutif d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre.

La stratégie du «laisser-faire laisser-aller» observée face aux détournements des principes démocratiques élémentaires a porté préjudice à la crédibilité de la Cedeao. Une descente aux enfers qui contraste, pourtant, avec des heures de gloire encore fraîches dans les mémoires, périodes au cours desquelles elle avait acquis un leadership incontestable dans le cercle des organisations régionales africaines.

«C’est en 1990 que la Cedeao avait pour la première fois démontré sa volonté de contrer une gouvernance déstabilisatrice dans la région (en déployant) une force de 3.000 hommes [Ecomog, ndlr] au Liberia pour mettre fin à la guerre civile et faciliter la création d’un gouvernement démocratique», rappelle, par exemple, le CESA.

En janvier 2017, la Cedeao avait contraint l’ex-Président gambien Yahya Jammeh à se réfugier en Guinée équatoriale après sa défaite à l’élection présidentielle de décembre 2016. C’est grâce à la menace pressante de 500 militaires et gendarmes de l’Ecomig (mission de la Cedeao en Gambie) que la légalité des urnes a pu être restaurée. Trois chefs d’État, Macky Sall du Sénégal, Muhamadu Buhari du Nigeria et Nana Akufo Ado du Ghana, s’étaient alors appuyés sur l’article 45 du Protocole relatif à la démocratie et à la bonne gouvernance signé à Dakar en 2001 pour justifier l’intervention militaire. C’est cette même fermeté qui avait permis également de sortir de la crise ivoirienne (2010), du putsch des «Bérets verts» maliens du capitaine Amadou Haya (2012) et du coup d’État du général Gilbert Diendéré au Burkina Faso (2015).

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Mais aujourd’hui, en favorisant, d’après des critiques récurrentes, une «politique à géométrie variable» suivant «la capacité d’influence» des uns et des autres, la Cedeao mettrait-elle en péril sa légitimité comme pourraient en témoigner les critiques de plus en plus fortes des sociétés civiles africaines?

À cet égard, le Togo reste un cas d’école en termes d’incohérence. Gouverné depuis plus d’une cinquantaine d’années par la dynastie Gnassingbé, Lomé n’a pas obtempéré à la feuille de route de réformes demandée par l’organisation régionale pour le déroulement d’élections législatives dans de bonnes conditions. Un affront qui n’a pourtant suscité aucunement l’émoi de la Cedeao qui s’est empressée de se féliciter du «bon déroulement d’élections libres et transparentes».

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Le (mauvais) exemple togolais aurait-il encouragé d’autres États à violer leurs engagements souscrits dans le cadre du Protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance en profitant de l’impotence des mécanismes de sanctions?

«La Cedeao est malade des faiblesses et défaillances des pays membres, de leur modèle de gestion absolutiste avec des Présidents puissants qui décident de tout. Elle est malade de son incapacité à mettre en œuvre les dispositions de ses protocoles, de son impuissance à réguler les conflits au point de voir naître sur ses flancs un G5 Sahel presque autonome. Elle a vraiment besoin d’être passée au ‘scanner’ pour identifier ses pathologies politiques, sociales et institutionnelles», dénonce Alioune Tine.

«Un rôle majeur pour la société civile africaine»

Des réformes à grande échelle et applicables au-dessus des intérêts des États membres paraissent incontournables pour que cette institution prestigieuse –malgré tout– retrouve le «dynamisme» d’un «engagement régional» qui en faisait naguère un «chef de file dans la promotion des normes démocratiques» en Afrique de l’Ouest.

Dans ce cadre, note Alioune Tine, la politique de «castration» développée contre la société civile africaine doit cesser pour laisser place à une meilleure implication des citoyens ouest-africains à travers leurs représentants attitrés dans la marche de l’institution régionale. Une façon comme une autre de placer la volonté politique des chefs d’État au diapason de la volonté populaire.

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