Sept candidats sont en lice pour le scrutin du 22 février au Togo, mais le peu de suspens qui entoure cette élection présidentielle se fait sentir dans la campagne électorale, plutôt morne. Celle-ci a débuté le 6 février dernier et se terminera le 20 février.
Pourtant, Christian Trimua, ministre des Droits de l’Homme et des Relations avec les Institutions, affirme dans un entretien avec Sputnik que de nombreuses avancées sur le plan institutionnel ont eu lieu grâce à «la volonté réformatrice» du Président sortant, à commencer par le vote de la diaspora. Il va en effet être pris en compte pour la première fois lors des prochaines Présidentielles.
Propulsé à la tête du Togo à la mort de son père, le général Gnassingbé Eyadéma, le 5 février 2005 et après 38 ans de règne de ce dernier, Faure Gnassingbé s’est attaché à changer l’image du Togo. Jeune, dynamique bien que très discret, le fils du général, qui a déjà été réélu à deux reprises en 2010 et en 2015, a pourtant dû louvoyer pendant quinze ans, de crises politiques en crises institutionnelles. Les graves violences qui ont marqué son arrivée au pouvoir ont fragmenté la société togolaise, qui reste très divisée.
Aujourd’hui, c’est pourtant sur le plan économique et social qu’il risque d’être jugé. Car, avec 53% de sa population vivant avec moins de 2 dollars par jour, le Togo a encore beaucoup de chemin à parcourir pour sortir de la pauvreté: le pays pointe à la 13e position des États les plus pauvres du monde. Selon le dernier rapport de la Banque mondiale, ce petit pays d’Afrique de l’Ouest –le seul à disposer d’un port en eaux profondes dans le Golfe de Guinée–, reste un «État fragile», malgré une croissance robuste de 5% par an depuis trois ans. Les effets des années d’isolement et de désengagement des donateurs de 1993 à 2007 –provoquées par la répression de l’opposition par le général Gnassingbé Eyadéma– continuent à se faire sentir sur le niveau de vie, notamment dans les campagnes.
À ce contexte économique s’ajoute un climat politique tendu. La mise en œuvre des réformes politiques a été lente et le parti au pouvoir concentre encore l’essentiel des pouvoirs: en plus de la présidence, le parti «UNIR» (Union pour la République) du Président Faure Gnassingbé détient également la majorité au Parlement. L’opposition, très fragmentée, continue quant à elle à réclamer le rétablissement de la limitation du nombre de mandats présidentiels, existant en théorie, mais non appliquée, et l’application d’autres réformes prévues dans l’Accord de Politique Globale (GPA), signé en 2006.
Interrogé sur des articles de presse publiés en mars 2013 selon lesquels il aurait été inculpé dans le cadre de l’affaire des séries de meurtres rituels de jeunes filles perpétré en 2011 dans la périphérie de Lomé, le ministre togolais des Droits de l’Homme et des Relations avec les Institutions depuis janvier 2019 a formellement démenti au micro de Sputnik ces allégations comme étant des «fakes news».
Alors enseignant chercheur dans les universités togolaises, cet ancien étudiant en Droit à l’Université de Poitiers, –ville où résidait sa famille–, et inconnu du grand public jusqu’en 2006, a commencé à se faire connaître en intervenant dans les médias peu avant les élections législatives du 14 octobre 2007, puis à nouveau à la faveur des législatives du 25 juillet 2013.
Nommé au gouvernement le 11 octobre 2013 comme Secrétaire d’État auprès du ministre de la Justice, chargé des Relations avec les Institutions de la République, il a bénéficié le 8 novembre 2013 d’un non-lieu le concernant et son nom a été dissocié du dossier principal sur la tuerie des jeunes filles d’Agoé. Du coup, lors du procès tenu en janvier 2014 qui a vu la condamnation de Kpatcha Simliya et ses présumés complices dans cette affaire, il n’est plus cité nulle part. Aujourd’hui, il met sur le compte de ses adversaires politiques le fait qu’il y ait eu un «amalgame», soutient-il, avec la mise en examen de l’un de ses employés pour un autre meurtre remontant à 2012!
Sputnik France: Êtes-vous optimiste pour les élections du 22 février en ce qui concerne votre candidat?
Christian Trimua: «Oui, car tous les moyens ont été mis en œuvre pour des élections transparentes, crédibles, acceptées de tous. Et surtout, des lendemains d’élections qui soient apaisés! Le gouvernement a mis en place une législation pour encadrer la campagne électorale, ainsi que des appuis financiers à chaque candidat, comme le fait à chaque fois le Togo, tout en continuant sa contribution publique au financement des partis politiques pour que leurs candidats aux Présidentielles puissent concourir en toute égalité. L’accès aux médias publics a également été garanti avec le respect des temps de parole qui s’impose et 32 médias privés ont été sollicités avec, là encore, une répartition équitable des temps d’antenne. Ce sont là des mesures habituelles au Togo et aucun candidat ne les conteste.
Concernant la liste électorale, nous avons sollicité l’expertise de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) et celle de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Ces deux institutions ont déjà envoyé deux équipes techniques pour auditer le fichier électoral, qui ont conclu qu’il était conforme aux standards internationaux. De surcroît, des observateurs ont été envoyés par l’Union africaine en sus de ceux dépêchés par l’OIF et la CEDEAO. Ils resteront jusqu’après la proclamation des résultats. De sorte qu’avec les observateurs des organisations de la société civile, nous avons suffisamment de regards croisés pour garantir la bonne tenue du scrutin.»
Sputnik France: Mais là, quand même, le Président sortant se présente pour la quatrième fois. Faudra-t-il s’attendre, ensuite, à un 5e mandat?
Christian Trimua: «En effet, un 5e mandat est possible grâce aux dispositions légales. Le Président aura le droit de tenter un autre mandat –s’il le souhaite– après sa réélection le 22 février. Concernant cette élection présidentielle, je peux vous dire que les membres du parti (UNIR) ont voté à près de 100% pour qu’il soit notre candidat et il a eu l’amabilité d’accepter. Nous allons donc nous concentrer sur ce 4e mandat (2020-2025), pour l’instant, et nous verrons, ensuite, s’il y a lieu de lui en confier un autre.
Nous sommes le parti le plus implanté dans le pays et nous faisons remonter l’avis de nos militants à la base avant de fixer notre choix. Si nous l’avons choisi, c’est d’une part parce que le contexte sous-régional d’insécurité le demande. Et aussi, parce que nous avons besoin d’un homme expérimenté. Car celui qui a commencé le travail doit le finir. Or, le Togo s’est fixé un plan ambitieux en trois axes qui sont, je le rappelle: favoriser la création d’un hub logistique avec le développement des exploitations portuaires, favoriser le développement d’agropoles avec la filière agroalimentaire et favoriser le développement social grâce à une meilleure inclusion financière.»
Sputnik France: Qu’en est-il sur le front de la lutte contre la pauvreté?
Christian Trimua: «Le Président de la République a fait reculer la pauvreté de 15 points depuis qu’il est arrivé au pouvoir. Selon la Banque mondiale, nous sommes passés de 67% à 52,7% de taux de pauvreté au Togo, mesuré à l’aune du revenu par tête d’habitant. À effectifs constants, les fonctionnaires togolais ont reçu des augmentations de salaire de 250%. La dernière augmentation a eu lieu en janvier 2020. Le budget du Togo a été multiplié par 700%. Les adductions d’eau sont passées de 21% à 69% et nous devrions atteindre d’ici à 2025 un taux d’électrification de 53%, avec le lancement de la centrale solaire qui est l’une des plus importantes en Afrique de l’Ouest.
Sur le plan social, le Président de la République a mis en place à partir de 2014 une couverture maladie universelle, qui a été étendue aux universitaires et plus récemment au secteur informel. Le programme “Scola sur”, qui concerne deux millions d’étudiants, en touche déjà 1,8 million, soit plus de 95%. Nous avons également mis en place le Fonds de la finance inclusive pour permettre le plein emploi parmi les plus pauvres, qui a commencé avec des prêts de 15.000 francs CFA (environ 25 euros). Aujourd’hui, ce Fonds sert près d’un million de bénéficiaires, dont certains ont pu réaliser des prêts allant jusqu’à cinq millions de francs CFA (environ 30.000 euros), c’est-à-dire l’équivalent d’un prêt bancaire sans les garanties…»
Sputnik France: Est-ce que c’est vrai aussi pour les infrastructures sanitaires, qui accusaient beaucoup de retard?
Christian Trimua: «En effet, nous avons beaucoup souffert, sur ce plan comme sur bien d’autres, à cause des sanctions suite à la rupture de la coopération et à des grèves à répétition. Mais, sur le plan sanitaire, le Président a réussi à relancer tous les travaux d’infrastructure et notamment, un hôpital de 16.000 m2 sur cinq étages qui va être réceptionné au mois de juin, à Lomé. Ce sera un hôpital de référence dans la sous-région.
En province, nous avons amélioré la gestion des centres de santé en mettant en place leur contractualisation à des organismes extérieurs. Du coup, le centre de santé d’Atakpamé (centre du pays) a pu se doter de deux scanners. Il y a beaucoup d’autres exemples, comme vous pouvez l’imaginer, le but étant de faire reculer le plus possible les inégalités sur l’ensemble du territoire togolais.»
Sputnik France: Et en ce qui concerne le respect des droits de l’homme, où en est-on aujourd’hui au Togo?
Christian Trimua: «Nous sommes dans une phase de consolidation, notamment en ce qui concerne les droits politiques: des sanctions sont appliquées régulièrement par exemple, en ce qui concerne les violences policières ou la torture. Sur les droits de la femme, nous avons fait des progrès importants. Le code de la famille a été réformé à deux reprises, la dernière réforme remontant à 2014. Nous travaillons aujourd’hui à renforcer les droits de l’enfant avec la promulgation d’un code des droits de l’enfant! Enfin, nous avons mis en place, en 2011, une loi sur les manifestations publiques et avons procédé à la dépénalisation des délits de presse. Aujourd’hui, au Togo, on peut librement constituer une entreprise de presse. Quant aux troubles religieux, ils ont été jugulés.»
Sputnik France: Ce n’est pas l’avis de l’opposition qui se plaint, notamment, des restrictions apportées aux manifestations publiques. Pourquoi ces restrictions?
Christian Trimua: «L’opposition togolaise est très favorable à loi de 2011. Ce qu’elle conteste, ce sont les modifications que nous avons été obligées d’introduire compte tenu du contexte sécuritaire. En effet, cette modification de la loi de 2011 a été imposée par les attentats terroristes perpétrés au nord du pays [sur la frontière commune avec le Burkina Faso, ndlr]. Certains axes et certaines artères de Lomé ont ainsi dû être fermés aux manifestants pour permettre d’encadrer les foules.
Bien que ces attentats se soient produits sur le territoire du Burkina Faso, il a quand même fallu que nous prenions des mesures. Ainsi une opération militaire conjointe entre le Togo et le Burkina Faso a été mise en place afin de préserver un couloir géographique sécurisé. Celui-ci est crucial pour la libre circulation des biens et des personnes de l’hinterland vers le port de Lomé. Le Togo dispose du seul port en eaux profondes de toute la sous-région, comme vous le savez!»
Sputnik France: Justement, à propos du port de Lomé, vous le disiez tout à l’heure, c’est l’un des axes prioritaires. Mais est-ce que vous avez réussi à faire reculer la corruption?
Christian Trimua: «L’Office togolais des recettes (OTR), qui gère la douane, a été l’un des premiers à mettre en place un service interne de lutte contre la corruption, avec la déclaration obligatoire des biens personnels de ses employés. Ceux qui ne veulent pas s’y soumettre sont obligés de partir. Cela s’avère très efficace.
Nous avons également mis en place une Haute Autorité de Lutte contre la Corruption qui a lancé, récemment, des sanctions contre un certain nombre de magistrats. Le Président de la République a également réactivé une loi qui figurait dans la Constitution, mais n’était pas appliquées depuis 1992, obligeant à une déclaration personnelle de ses biens quand on travaille dans la fonction publique. En tant que Chef de l’État, il est le premier à devoir s’y conformer et il a d’ailleurs accepté de le faire à partir de juin 2020. Le Togo, en effet, a élargi l’application de cette loi à tous ceux qui ont à voir de près ou de loin avec les deniers publics et pas seulement la classe politique.»
Sputnik France: Comment le Togo se positionne-t-il vis-à-vis d’un pays comme la Russie?
Christian Trimua: «Le Togo a des relations tous azimuts avec des pays comme la France en Europe, bien sûr, mais aussi la Chine ou bien la Russie. Le Président togolais était présent au sommet de Sotchi. Et nous avons reçu les lettres de créance du nouvel ambassadeur russe qui a inauguré l’ouverture d’une ambassade à Lomé. Il n’y en avait jamais eu auparavant. Ce qui montre que les liens de part et d’autre se renforcent.
La coopération avec la Russie est cruciale pour nous et, notamment, les projets énergétiques ou bien l’obtention de matériel médical, dont nous avons grandement besoin, également en ce qui concerne l’enseignement. Il y a une tradition de formation pour des médecins et des ingénieurs avec la Russie. Or, là, nous sommes particulièrement désireux de former davantage d’agronomes pour le développement de nos agropoles.»
Sputnik France: Le Président sortant tendra-t-il à nouveau la main à l’opposition s’il gagne ces élections?
Christian Trimua: «Oui, c’est vraisemblable, car, comme vous le dites, il l’avait déjà fait. Or si Gilchrist Olympio [le leader historique de l’opposition, à la tête de l’UFC– Union des Forces du Changement, ndlr] a quitté le gouvernement, c’est parce qu’il est devenu le chef de file de l’opposition. Le Togo appartient à tous les Togolais et il y a, en conséquence, de la place pour tout le monde.»