«Nous rappelons que l’une des finalités de notre religion est de protéger l’être humain», note dans son communiqué Me Chems-eddine Hafiz, recteur de l’Institut Musulman de la Grande Mosquée de Paris. «Nous avons à transmettre la grâce divine, pas les virus qui ne viennent pas des dons de Dieu, mais de la fragilité de la condition humaine», souligne de son côté Michel Aupetit, archevêque de Paris sur les pages de l’Église catholique de Paris.
Alors que les mesures de restrictions et de précautions touchent tous les secteurs d’activité en France, les pratiques cultuelles, sans distinction de confession, n’échappent pas à cette règle.
Covid-19: les paroisses s’adaptent en fonction de leurs moyens
Les consignes du gouvernement permettent de maintenir les lieux de culte ouverts et autorisent même les fidèles à participer à des rassemblements ou des réunions de moins de «20 personnes au sein d’un lieu de culte». Chaque paroisse applique cette consigne avec les moyens à sa disposition.
Par ce temps ensoleillé, les portes de l’église catholique Saint-Gabriel de Paris, rue des Pyrénées, restent grandes ouvertes. À l’intérieur, personne. Le sacristain qui prépare une cérémonie funèbre, explique que les fidèles qui viennent ici n’habitent pas forcément tout près de l’église.
«On nous dit: “vous pouvez venir à l’église”, réfléchit à haute voix le sacristain. Ce n’est pas logique, puisque les gens doivent rester chez eux.»
Une longue conversation avec le sacristain-jardinier, qui se réjouit des journées ensoleillées et de ses relations «spéciales» avec les merles, que l’on entend partout à travers les rues désertes, dévie sur les difficultés en perspective pour son église. La paroisse, «d’après 1905», a engagé des travaux qu’elle paye sur ses fonds, «la ville ne donne pas un sou». Et même si le bâtiment n’est ni ancien, ni classé, «ce n’est pas un avantage, puisqu’il a été fait trop vite, la qualité n’y est pas». La dernière tempête a arraché des tuiles, il y a des fuites, on attend désormais que les entreprises du bâtiment reprennent le travail.
«Après l’enterrement, je ferme. Les sacristains seront aussi au chômage, comme pour les ouvriers, au chômage partiel. Il y a des paroisses qui ont encore un peu de réserve, mais comme ici, il n’y a pas de titulaire, cela ne va pas arranger nos affaires…» La phrase du sacristain reste en suspens.
La paroisse, contrairement à certaines autres, plus «branchées», n’est pas équipée pour assurer des messes en ligne. Pourtant, la parole divine n’arrête pas de circuler: les croyants qui veulent prier ont une palette de moyens technologiques, avec des messes retransmises tous les jours en direct. La crise sanitaire a eu raison d’une partie importante de la pratique, des prières collectives aux échanges entre prêtres et fidèles, sans entamer la pratique séculaire, néanmoins.
«Nos journées ressemblent à celles de moines, dit le sacristain de l’église Saint-Gabriel. Le curé a envoyé un message… On célèbre entre nous, les gens peuvent s’unir à nous dans la prière.»
Des associations diocésaines, que l’on appelle les Hospitalités, organisent des pèlerinages à Notre-Dame-de-Lourdes. Ces collectifs, spécialisés en pèlerinages des personnes handicapées ou malades, compte sur ses bénévoles (40 à 50.000 Français par an, qui payent eux-mêmes leur voyage et leur hébergement) pour s’occuper des pèlerins.
Le confinement, des «conditions monacales» pour tout le monde
Ces pèlerinages sont habituellement organisés entre Pâques et Rosaires, «une période acceptable du point de vue météorologique dans les Pyrénées». Cette année, épidémie de coronavirus oblige, les voyages d’avril et de mai sont supprimés ou reportés, indique à Sputnik Jean-Pierre Baly, le président de l’Hospitalité du diocèse du Havre. «On va improviser, s’adapter, puisque la situation est nouvelle pour nous comme pour beaucoup de gens», assure le président de l’association, qui a consacré 44 ans à «ce service et cet engagement».
«On est tous pareils, on a besoin de bruit et d’activité autour de nous. Tout d’un coup, cette activité disparaît ou elle est nettement amoindrie. Vous vous retrouvez face à vous-même, ce n’est pas évident», assure Jean-Pierre Baly.
«On ne sortira pas de la même façon que l’on est rentré dans cette crise»
Le président de l’Hospitalité du Havre est conscient de la déception des fidèles devant l’annulation des pèlerinages à Lourdes, fermé pour la première fois de son histoire, et prévoit de mettre en place «d’autres pèlerinages pour les gens le plus en demande, en fin de vie par exemple, parce qu’il est probable qu’ils n’atteindront pas l’année prochaine.»
«On ne sortira pas de la même façon que l’on est rentré dans cette crise. Je pense que pour ceux qui seront épargnés, ça va remettre les pendules à l’heure. Ça peut aider à réfléchir économiquement, socialement, à remettre l’homme au milieu du dispositif. Qu’est-ce que nous sommes?», médite Jean-Pierre Baly.
«On apprend ce qu’est la quarantaine, raisonne Jean-Pierre Baly. On refait l’expérience du désert tel qu’il est décrit dans les Évangiles, on est en train de le vivre. Là où les gens limitent leur consommation à la nourriture –à part quelques excités qui continuent à consommer à outrance– on se rend compte rapidement qu’on est capable de vivre comme ça.»
Le domaine de la politique risque également, d’après le président de l’Hospitalité havrais, de muer. Rendant hommage «à ceux qui avaient la vision des changements à faire dans nos pratiques», il espère que les gens seront «plus à l’écoute» pour comprendre notamment «que l’on n’a pas besoin d’aller tout chercher au bout du monde et que l’on sera de nouveau capables de fabriquer ou produire des choses chez nous.»
«Il faut aller vers l’union nationale, comme après la Grande Guerre. Là, nous sommes aussi en guerre, même si l’ennemi est invisible et inconnu», conclut Jean-Pierre Baly.