Les propos du Président Emmanuel Macron sur la situation sociopolitique au Cameroun ont suscité des réactions indignées à travers le pays. Interpellé par un activiste camerounais de la Brigade anti-sardinards (Bas) –mouvement né au sein de la diaspora camerounaise– au Salon de l'agriculture, le samedi 22 février au sujet des violations des droits de l'Homme au Cameroun, le chef de l'État français a fait une série de révélations dans un langage jugé peu respectueux. Il a notamment affirmé être intervenu au sujet de la libération de l'opposant Maurice Kamto et des autres prisonniers politiques.
«Je lui (Paul Biya, Ndlr) avais dit que je ne voulais pas le recevoir à Lyon tant que Maurice Kamto n'était pas libéré. Et il a été libéré parce qu'on a mis la pression», a déclaré Emmanuel Macron en réponse à l’interpellation de l’activiste.
La vidéo est immédiatement devenue virale et suscite encore des réactions à travers le pays. Beaucoup d’analystes ont trouvé Paris très paternaliste dans ses propos. C’est le cas de Dalvarice Ngoudjou, spécialiste des relations internationales.
«Je suis quand même surpris qu’Emmanuel Macron affirme qu'il a fait pression sur Paul Biya en lui intimant l'ordre, entre autres, de remettre en liberté des hommes politiques s'il voulait être reçu à Lyon. Entre chefs d'État, cela ne se fait pas. Le Cameroun est-il une sous-préfecture française ?», s’interroge l’analyste au micro de Sputnik.
«Le ton et les mots avec lesquels les révélations des discussions entre les chefs d'États français et camerounais ont été faites feraient se retourner dans leur tombe les Pères de notre indépendance dont le courage, la maturité et la lucidité s'opposèrent à la colonisation et à l'indigénat», s’indigne l’homme politique dans une déclaration rendue publique sur son compte Facebook.
L’agacement de Yaoundé
Intervenue à un moment où la controverse persiste au Cameroun au sujet du bilan d’une tuerie dans le Nord-Ouest séparatiste, le Président français, sollicité par l’activiste sur cette crise humanitaire, a également promis d’«appeler la semaine prochaine (cette semaine, Ndlr) le Président camerounais Paul Biya» et de mettre «le maximum de pression pour que la situation cesse».
«Il y a des violations des droits de l’Homme au Cameroun qui sont intolérables, je fais le maximum», a expliqué le chef de l’État français.
«Avec le récent massacre qui a eu lieu à Ngarbur, dans la région du Nord-Ouest, et la condamnation internationale qui a suivi, Emmanuel Macron veut s’éloigner de Yaoundé avec qui on soupçonne des relations incestueuses. Ceci afin de ne pas voir son image éclaboussée», développe l’expert au micro de Sputnik.
Agacé par cette vidéo abondamment relayée, Yaoundé accuse le coup et s'en prend à l'activiste à l’origine des propos du Président français. Dans un communiqué, René Emmanuel Sadi, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, sans désigner Emmanuel Macron, a publié:
«Je demande instamment aux pays amis et à tous les partenaires du Cameroun de ne point accorder du crédit à des activistes, des aventuriers ou des forcenés manipulés et instrumentalisés, (…) au risque d’être piégés et de faire preuve d’une candeur, voire d’une inimitié, susceptible de porter préjudice aux bonnes relations du Cameroun avec ces pays et partenaires», peut-on lire.
Avec cette publication, le gouvernement de Yaoundé ne dément pas formellement les propos du chef de l’État français au sujet des multiples pressions suscitées. Tout en rejetant en bloc les violations des droits de l’Homme évoquées par l’activiste, le gouvernement «tient à réaffirmer que le Cameroun est ouvert aux avis de toutes sortes, aux suggestions qui se veulent constructives, y compris celles des pays amis et des partenaires qui coopèrent avec lui dans tous les domaines». Une réaction jugée trop molle pour Dalvarice Ngoudjou.
«Il aurait fallu convoquer l'ambassade de France au Cameroun pour savoir ce qui s'est réellement passé, rappeler l'ambassade du Cameroun à Paris. En guise de réponse, j'ai vu une réaction plus ou moins laconique du ministre de la Communication. Ce n'est pas de son ressort, c'est un problème diplomatique et la première réaction aurait dû être diplomatique», souligne l’expert des relations internationales.
Paul Biya est-il lâché par Paris ?
À l'heure où les peuples africains s'insurgent contre les ingérences des puissances étrangères, les réactions ne cessent de tomber. L’échange entre Emmanuel Macron et cet activiste a littéralement mis le Cameroun en ébullition. Des centaines de jeunes Camerounais ont manifesté ce lundi 24 février devant l’ambassade de France à Yaoundé pour exprimer leur indignation.
Très souvent accusé de soutenir la ligne de Yaoundé dans la crise actuelle qui déchire le pays, Emmanuel Macron a surpris avec ses déclarations qui suscitent encore des interrogations. L’Élysée a-t-il tourné le dos à Paul Biya? C’est possible, répond Wannah Immanuel Bumakor:
«Emmanuel Macron a voulu exprimer avec force sa frustration face à la situation au Cameroun. Son discours montre que la France n’est pas satisfaite de la manière dont le gouvernement de Paul Biya gère la crise politique et sécuritaire au Cameroun», commente-t-il.
Un point de vue que tente de relativiser Yvan Issekin, politologue camerounais. Pour ce dernier, il est difficile de parler de rupture «vu que Paris reste, sur le long terme, un soutien de Yaoundé». Il estime que cet échange visiblement spontané entre le chef d’État français et cet activiste camerounais vise au contraire «à conserver la représentation d'une France comme partenaire privilégié du Cameroun, dans un contexte où d'autres acteurs, notamment américains, chinois, turcs ou russes rentrent dans la dynamique de la multiplication des partenariats stratégiques engagée par le Président Paul Biya dans sa diplomatie de l'émergence», souligne-t-il au micro de Sputnik.
«Il s’agit aussi pour Emmanuel Macron de se représenter comme le gardien de l'image d'une France des droits de l'Homme et de la démocratie, notamment en Afrique», poursuit-il.
A contrario, Dalvarice Ngoudjou pense que ces propos du Président français trahissent «un certain malaise». Même si, poursuit-il, «Emmanuel Macron a parlé trop vite là où il aurait fallu observer une certaine prudence. Il a été un peu pris au dépourvu et il a parlé naïvement. Avec du recul, il va réaliser la gravité de ce qu’il a commis. Il aurait dû s'en remettre à son conseiller Afrique», suggère l’expert des relations internationales.
Paul Biya, au pouvoir depuis 1982, va-t-il plier face à ces multiples pressions orchestrées par une partie de la diaspora camerounaise avide de changement?