«La façon dont l’histoire est enseignée peut œuvrer à la réconciliation au sein des nations et entre elles», postule le communiqué du Conseil de l’Europe relatant la récente réunion des ministres de l’Éducation à Paris.
«L’Observatoire ne visera pas à uniformiser la façon d’enseigner l’histoire en Europe. Il respectera les prérogatives de chaque pays dans ce domaine», précise la déclaration des ministres des 23 États signataires– parmi lesquels on retrouve notamment la Fédération de Russie, l’Albanie, la Serbie, l’Arménie ou encore la Turquie. Ce futur organisme, dont la création s’inscrit dans un accord partiel élargi dont le cadre reste à définir «de préférence» d’ici novembre 2020, entend faire un «état des lieux» des méthodes d’enseignement de la «réconciliation» et de la «construction européenne» au sein des États membres, de l’Atlantique à l’Oural. Un projet que ces derniers sont tous «invités à rejoindre».
«L’idée n’est pas d’enseigner une histoire européenne. L’idée n’est pas non plus d’écrire un manuel d’histoire en Europe, mais de nous assurer qu’à travers notre continent, nous connaissons bien l’histoire de nos voisins», assure Amélie de Montchalin, secrétaire d’État chargée des Affaires européennes, dans le clip promotionnel de la diplomatie française.
Une initiative tricolore qu’accueille avec «méfiance» Dimitri Casali, spécialiste de l'enseignement de l'histoire, dont le dernier ouvrage Napoléon sur le divan (Éd. Flammarion), vient tout juste de sortir. S’il estime qu’un tel projet comporte de «bonnes choses», jugeant indéniable l’existence d’une «idée européenne» dans l’histoire du Vieux continent –tout particulièrement en Europe occidentale– il estime qu’il faut «avancer prudemment» sur un tel sujet, d’autant plus que les déclarations d’Alain Lamassoure ou encore d’Amélie de Montchalin ne le rassurent clairement pas quant aux orientations qu’un tel «observatoire» pourrait prendre.
«La méfiance que je peux avoir, c’est par rapport au niveau moyen, aujourd’hui, des élèves français, qui est absolument catastrophique en histoire. Pour moi, c’est un drame puisque l’Histoire est la discipline cardinale qui forme à la citoyenneté», résume Dimitri Casali au micro de Sputnik.
«Il ne faut surtout pas oublier notre histoire nationale, surtout quand on a une histoire comme la France, doublement millénaire. Ce n’est pas l’histoire des États-Unis, qui ont à peine 300 ans», met-il en garde.
S’il condamne les approches trop «nationalistes», il en va de même à ses yeux de la «lecture uniquement culpabilisante» de l’histoire. Phénomène que l’on observe particulièrement en France et qui constitue à ses yeux un autre «problème majeur» de notre société. «L’Histoire n’est pas blanche ou noire, elle est grise et c’est cela qui la rend complexe et passionnante», précise-t-il avant d’ajouter:
«Il faut tout dire, c’est quand on raconte tout que les enfants européens pourront se faire une idée objective de l’histoire, d’acquérir la connaissance nécessaire qui leur permettra d’accepter l’autre.»
«Peut-on leur en vouloir?» s’interroge-t-il concernant les pays ayant «gardé une certaine fierté de leur histoire» et a qui aujourd’hui des responsables (et ex-responsables) politiques français «jettent la pierre». En conséquence, s’il reconnaît que certains pays de l’Est ont conservé une lecture «un peu trop nationale», Dimitri Casali souligne toutefois que celle-ci est «nécessaire, surtout pour les petites classes». En guise d’illustration, il évoque une anecdote issue de son expérience avec des classes de 4e en zone d’éducation prioritaire de la banlieue nord de Paris où il enseigne:
«Quand on a une classe constituée de 100% d’immigrés, on ne peut pas parler de l’Europe des Habsbourg, alors qu’avant on commençait le programme par le règne de Louis XIV. L’enfance du Roi-Soleil était on ne peut plus formatrice pour les enfants.»
Dimitri Casali, estime qu’il est possible de «concilier» enseignement d’un «récit national équilibré» et de l’«idée européenne». Pour lui, opposer ces deux visions est une erreur, estimant que le promoteur du projet de l’Observatoire européen, Alain Lamassour, «se trompe complètement» lorsque ce dernier oppose à une Europe de l’Est «nationaliste», une Europe de l’Ouest «amnésique».
Ainsi, si la «moitié» de la génération montante serait «nationaliste», l’autre moitié des jeunes Européens serait constituée d’«amnésiques». Un panier dans lequel le président de Pax Europa jette pêle-mêle les Basques, Catalans, Écossais ou encore Flamands, dont les indépendantistes «écrivent l’histoire au futur antérieur» selon lui. Se félicitant que les Français se considèrent comme étant les plus proches des Allemands, il regrette que dans certains pays, les jeunes générations «exige[nt] qu’on rouvre les tombes», citant le cas de l’Espagne qui vient d’exhumer le corps de Franco, ou encore le fait qu’à ses yeux, par électoralisme, le Parlement français ait donné aux massacres des Arméniens par les Turcs «commis en Anatolie il y a cent ans» la qualification de «génocide».
«Il faut partager un récit commun c’est ce but-là, mais encore faut-il qu’il soit fait de manière objective, équilibrée et qu’il n’ait surtout pas cet esprit de repentance et de lecture culpabilisante que nous sentons dans les pays occidentaux aujourd’hui. Cela touche aussi les Pays-Bas, l’Angleterre ou la France, où le colonialisme est décrit comme le père de tous les maux de la société occidentale d’aujourd’hui. On voit bien qu’il y a des écueils majeurs à éviter», estime pour sa part Dimitri Casali.
Quoi qu’il en soit, un sentiment prédomine dans cette initiative française: une confusion entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne. En effet, on parle ici d’observatoire de l’enseignement de la «construction européenne», une thématique propre à l’UE, au sein des 47 États membres qui constituent le Conseil de l’Europe, une organisation à laquelle l’UE a d’ailleurs emprunté le drapeau. Reste donc à savoir si les fondements de ce projet français sont sincères ou s’il s’agit intrinsèquement de promouvoir la construction de l’Union européenne et donc de son élargissement auprès des jeunes générations. Pour Dimitri Casali, une telle finalité ne doit en aucun cas être le «but ultime» d’une telle initiative transnationale.