«Barkhane doit rester au Mali, mais collaborer davantage avec les forces maliennes» - Exclusif

L’ancien Premier ministre malien Moussa Mara, dont la visite à Kidal en mai 2014 avait provoqué des affrontements armés avec les forces rebelles, est catégorique. Ni le gouvernement malien, ni les forces de la Minusma qui l’assistent ne pourront plus mener la lutte contre le terrorisme avec efficacité si Barkhane s’en va.
Sputnik

À la suite du tragique accident ayant causé la mort de treize militaires au Mali le 25 novembre,  l’ancien Premier ministre du Mali (2014-2015), Moussa Mara, s’est dit «profondément attristé». Aujourd’hui revenu à ses activités d’expert-comptable, mais continuant à beaucoup voyager, l’homme d’État malien, actuel président du parti Yelema (Changement), dont il fut le candidat à la présidentielle de juillet 2013, a tenu à s’associer au deuil des familles des soldats français tués. Parmi elles, celle du sénateur Jean-Marie Bockel, qu’il connaît bien et dont le fils Pierre, 28 ans, fait partie des victimes.

«C’est terrible de quitter son pays et de venir jusqu’ici pour perdre la vie. J’en suis profondément attristé», a-t-il déclaré à Sputnik France dans un entretien exclusif par téléphone depuis Bamako.
«Barkhane doit rester au Mali, mais collaborer davantage avec les forces maliennes» - Exclusif

La collision entre les deux hélicoptères du régiment de Pau s’est produite dans la zone du Liptako Gourma, dite zone des trois frontières, lors d’une intervention de nuit face à un groupe armé terroriste identifié comme faisant partie de l’État islamique* dans le Grand Sahara (EIGS). Parmi les 13 soldats morts au combat au Mali, six venaient de la 27e Brigade d'Infanterie de montagne de Grenoble. Quatre étaient basés au Régiment des Chasseurs de Gap dans les Hautes-Alpes. Les deux autres étaient pour l'un, basé au 93e Régiment d'Artillerie de montagne de Varces en Isère, et pour l'autre, au régiment du Génie de Saint-Christol dans le Vaucluse. 

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Pour Moussa Mara, si l’émotion suscitée en France par cette tragédie devait se traduire par un départ précipité de la force Barkhane du Mali, de graves conséquences pourraient en découler pour la stabilité du pays. Car, en plus d’une recrudescence sans précédent d’attaques djihadistes sur l’ensemble du territoire malien, il faudrait aussi craindre, «un coup d’arrêt définitif dans la réalisation de l’accord de paix signé en 2015 à Alger». Ainsi qu’un ralentissement du processus de réconciliation nationale, actuellement en cours, pour lequel l’État malien est aidé par la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation du Mali (Minusma), dont le mandat vient d’être étendu au centre du pays en plus du nord.

«La région de Kidal est devenue une zone de non-droit sur laquelle l’État malien n’a plus de contrôle. C’est à partir de là que sont planifiées les actions terroristes sur un territoire aussi vaste que l’Afghanistan. Les Américains avaient déployé des moyens autrement plus importants que ceux octroyés par la France au Nord du Mali. Or, ils n’ont pas réussi en Afghanistan. Rien de surprenant dans ce cas à ce que la France rencontre, à son tour, des difficultés sur le terrain», estime-t-il au micro de Sputnik France.

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Faisant suite en 2014 aux opérations Serval et Épervier (cette dernière au Tchad), le dispositif Barkhane comptait au départ 3.000 militaires, 200 véhicules logistiques, 200 blindés, 4 drones, 6 avions de combat, une dizaine d’avions de transport et une vingtaine d’hélicoptères. En 2018, le nombre des effectifs a augmenté passant à 4.500 hommes mobilisés.

La même année, des renforts venus d'Europe ont commencé à arriver. Ainsi, en juillet 2018, le Royaume-Uni a envoyé au Mali trois hélicoptères CH-47 Chinook et 90 hommes de la Royal Air Force 26. Puis en août 2018, une cinquantaine de soldats estoniens ont été déployés à leur tour à Gao. Mais jusqu’à présent, les renforts européens sont restés très timides.

«Serval a laissé un goût amer en sanctuarisant Kidal livré, de fait, aux groupes rebelles du MNLA devenus ensuite inaccessibles aux forces armées maliennes», insiste Moussa Mara.

En mai 2014, alors Premier ministre, il avait insisté pour se rendre à Kidal et tenir une réunion au gouvernorat afin de marquer, symboliquement, le retour de l’État malien dans cette région. Une visite mouvementée qui avait déclenché les hostilités entre les soldats de l'armée régulière et les rebelles. Il y avait eu des dizaines de morts du côté de l’armée régulière et les rebelles avaient fini par reprendre totalement le contrôle de la ville. 

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Toutefois, il s’insurge en faux contre les déclarations récentes du chanteur Salif Keita, internationalement reconnu. Dans un message adressé au président Ibrahim Boubacar Keita (IBK) via les réseaux sociaux, la star malienne a accusé la France de poursuivre volontairement la guerre au Mali en finançant les groupes terroristes au vu et au su de tout le monde et ce, dans l’intention de piller le pays.

«Salif Keita a eu tort de faire de telles déclarations, mais ce faisant il a exprimé tout haut ce que beaucoup de Maliens pensent tout bas. Ce ressentiment des populations à l’égard de la France est, bien sûr, encore amplifié par des politiciens sans scrupules qui se font un plaisir d’attiser les braises», affirme-t-il.

Intensifier la collaboration militaire

Il n’en reste pas moins que l’État malien n’a toujours pas réussi, depuis l’intervention française en janvier 2013 ayant stoppé la marche des djihadistes sur Bamako, à mener à bien les réformes nécessaires pour démilitariser le nord du Mali et, encore moins, désarmer les groupes rebelles. Moussa Mara explique ces carences par les difficultés à mettre en œuvre l’accord de paix dit d’Alger.

«Il est normal qu’un tel accord constitue un appel d’air avec des gens qui essaient de se placer. Cela s’était également produit en Côte d’Ivoire, où 5.000 combattants sur les 150.000 qui s’étaient présentés après la signature d’un cessez-le-feu, ont fini par être intégrés dans le cadre du processus de DDR. Au Mali, pour l’instant, 1.000 combattants ont été incorporés dans l’armée régulière. Il faut donc que nous accélérions ce processus», préconise-t-il. 
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Sans le soutien opérationnel de Barkane et l’assistance de la Minusma, dont il souhaite que le mandat soit renforcé, à l’instar de nombre de chefs d’État africains de la région, il ne voit pas comment le Mali pourra mener de front la réforme de ses institutions, y compris militaires, et la lutte contre le terrorisme.

«Malgré quelques succès de Barkhane dans des opérations tampons, la menace djihadiste persiste et s’est même étendue. C’est pourquoi il faut envisager la création d’une brigade offensive de la Minusma sur le modèle de celle qui avait été créée pour la Monusco en RDC afin de démanteler le M23. Mais, évidemment, comme toutes les créations onusiennes, cette brigade ne pourra qu’être temporaire», poursuit Moussa Mara.

Quant à la réforme de l’armée malienne pour qu’elle puisse assurer à terme la défense du territoire dans son intégralité, il recensait récemment lors d’une conférence de presse du parti Yelema sur le Dialogue national inclusif, à Bamako, les trois mesures immédiates à prendre.

Toutefois, même le déménagement de l’État-major malien à Mopti, pour être au plus près du théâtre des opérations, comme il le préconise, ne pourra pas se faire sans une collaboration plus étroite avec Barkhane.

«La clé pour lutter efficacement contre les foyers de menace terroriste au Mali et parvenir à les démanteler est que la collaboration entre les forces armées et de sécurité malienne avec les forces étrangères stationnées sur son sol s’intensifie. Barkhane doit contribuer à faire monter en puissance l’armée malienne pendant une période de transition avant d’envisager de partir!», conclut-il.

*Organisation terroriste interdite en Russie.

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