Du rêve européen à l’agribusiness, Rhamane Bidima fait sa révolution au Cameroun

Après plusieurs tentatives manquées d’immigration en Europe, Rhamane Bidima s’est lancé dans l’agriculture. Son business model? La culture à contre-saison qui lui permet de produire des fruits et légumes que l’on ne trouve pas sur tous les marchés. À terme, il ambitionne d’ouvrir un centre de formation pour que d’autres jeunes suivent son exemple.
Sputnik

Très à l’aise dans ses plantations, sourire au coin des lèvres, Rhamana Bidima, 38 ans, affiche fièrement sa réussite agricole. Cet ancien chauffeur de taxi, nanti d’un probatoire en électricité, sans formation particulière en ingénierie agricole, est devenu une référence dans l’agribusiness. Marié et père de quatre enfants, il s’est installé à Foumbot, dans la région de l’ouest francophone du Cameroun, pour pratiquer ce qu’il appelle «la polyvalence agricole».

«Je pratique une agriculture de nouvelle génération, je fais dans la production de vivres frais, des cultures maraîchères, des céréales, des cultures pérennes. J’ai expérimenté presque toutes les plantations pour pouvoir satisfaire la demande», explique-t-il au micro de Sputnik.
Du rêve européen à l’agribusiness, Rhamane Bidima fait sa révolution au Cameroun

Pour se démarquer des agriculteurs locaux, Rhamane Bidima a entrepris de se lancer dans la culture des pommes, des fraises et des raisins – des produits dits occidentaux en zone tropicale. L’initiative a porté ses fruits dès le premier essai. L’entrepreneur agricole voulait «percer un mystère» et il y est parvenu avec succès. Depuis, il n’a de cesse d’expérimenter de nouvelles cultures.

«Un jour, j’ai entrepris de percer le mystère autour de la culture des fraises, des pommes et des raisins. Je me suis documenté grâce à Internet et j’ai fait un premier essai en expérimentant plusieurs variétés de fraises. Ça a été un succès total et des médias nationaux et internationaux en ont même fait un tout un événement. Aujourd’hui, beaucoup d’industriels m’ont contacté pour se renseigner sur ma méthode afin de l’implémenter à leur tour», raconte-t-il, fier de sa réussite.
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Son rêve européen

Pourtant, il y a moins de 20 ans, l’agriculteur qui présente aujourd’hui fièrement ses réalisations n’avait qu’une obsession: rejoindre l’Europe à tout prix et à tous les prix – comme beaucoup de jeunes Africains. En 2005, Rhamane Bidima, ex-employé d’une entreprise de câblo-distribution, avait décidé de prendre la route de l’immigration clandestine  avec une bande d’amis. À cette époque, il était âgé d’une vingtaine d’années seulement.

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Fuyant la précarité et la peur des lendemains incertains, le jeune homme d’alors a été arrêté et rapatrié. Il a renouvelé l’expérience en 2006 et 2007, deux nouvelles tentatives d’immigration irrégulière qui ont connu la même issue. Un souvenir lointain mais toujours aussi douloureux à chaque fois que l’entrepreneur se le remémore.

«La deuxième fois, j’aurais été jeté en prison par les gardes-côtes à Douala si ma mère n’était pas venue à mon secours. Le commissaire qui s’apprêtait à signer mon mandat de dépôt l’a heureusement reconnue dès qu’elle a surgi: c’était  son ancienne camarade de classe. Il a donc accepté de me relaxer», se souvient-il.

La dernière tentative s’était faite par la route avec une bande d’amis. Rhamane Bidima a traversé le Cameroun, les pays de l’Afrique de l’Ouest, le grand désert du Niger, jusqu’à l’enclave espagnole de Melilla en territoire marocain. «Nous avons essayé de traverser la mer sur des pirogues. Mais la police marocaine nous a rattrapés et rapatriés dans le désert.»

Un échec de plus, mais un échec de trop qui va lui faire abandonner définitivement son rêve européen. Il retourne alors à Foumban, son village natal à l’Ouest francophone du Cameroun, fin 2007 et commence à se livrer à de petits jobs pour survivre. Dans cette région, que l’on surnomme le grenier de l’Afrique centrale, il va découvrir l’agriculture en travaillant comme bagagiste au marché vivrier de Foumbot. Une nouvelle page commence à se tourner, avec beaucoup de difficultés certes, qui ne vont cependant pas entamer sa détermination.

«J’ai multiplié pas mal d’échecs au début. Je n’arrivais pas à produire car j’étais sans expérience et sans formation précise. Les collègues à qui je demandais des conseils me conduisaient plutôt sur la mauvaise piste de peur que je les concurrence et devienne le meilleur», confie-t-il.
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Rhamane Bidima, à force de persévérance, finit par trouver la formule qui marche. Il se rend compte que des plantes poussent sur du compost du marché vivrier où il travaillait. Il a donc l’idée de transporter ce compost et de le verser sur ses espaces cultivables. «Et hop, les choses commencent à aller et c’est ainsi qu’en autodidacte, j’ai pu développer mes plantations.»

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Fort de cette expérience, l’agriculteur réussit aujourd’hui à produire chaque saison des volumes considérables de pommes, de fraises et de raisins. Entouré de ses 24 employés, dont 4 permanents et 20 temporaires, Rhamane Bidima est de plus en plus sollicité pour la qualité de ses récoltes. Une demande qu’il a du mal à combler car, dit-il, «il faut le soutien des investisseurs pour se déployer davantage».

«La demande est très forte. La quantité que nous produisons n’arrive pas à satisfaire tout le monde. Je recherche encore des partenaires pour davantage booster la productivité et vendre à plus grande échelle», ambitionne l’entrepreneur agricole.

Pour satisfaire cette demande de plus en plus importante, l’agriculteur a opté pour une technique agricole dite de contre-saison à deux niveaux. D’abord la contre-saison climatique, qui est un système qui lui permet de produire tout le long de l’année, même en saison sèche, en employant la technique de l'irrigation goutte-à-goutte. Ensuite, la contre-saison économique, «qui consiste à éviter de suivre le cycle classique de production saisonnière. C’est-à-dire lors de la campagne agricole en janvier, février et mars, pendant que tout le monde produit du maïs par exemple, nous produisons des fruits et légumes pour éviter de nous fondre dans la masse».

«Cela me permet d’avoir des vivres disponibles en permanence et ainsi de satisfaire mes nombreux clients qui viennent pour la plupart de la sous-région d’Afrique centrale», souligne-t-il.

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Rhamane Bidima loue ses espaces cultivables aux propriétaires terriens. Son exploitation, qui s’étend sur une superficie de 7 hectares, lui coûte environ 200.000 francs CFA de location par an. Mais l’agriculteur compte acheter ses propres terres afin d’étendre son activité.

Pour lui, l’agriculture peut être «une solution efficace pour lutter contre le chômage, l'exode rural et l'immigration clandestine». Fort de son savoir-faire après dix années d’exercice, Rhamane Bidima, ambitionne également de créer un centre de formation agricole pour transmettre son savoir aux jeunes.

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