C’est au petit matin et sous la pluie battante que près de 1.600 hommes, femmes et enfants, leurs maigres baluchons à la main, se réfugient sous un pont du boulevard périphérique à la Porte de la Chapelle face à quelque 600 policiers et gendarmes. Regards obliques, couvertures grises sur la tête, visages fermés. Commence alors l’évacuation d’un camp de migrants qui a pris place depuis plusieurs mois sur le boulevard Wilson, à cheval entre Paris et Saint-Denis.
«Les personnes qui ne remplissent pas les conditions nécessaires seront mises à l’abri pour quelques jours, ensuite il leur sera demandé de rejoindre les centres d’hébergement», précise le Préfet d’Île-de-France. Il s’agit de centres où les migrants, y compris les enfants, peuvent rester jusqu’à 80 jours.
«Nous mettons également en place une politique adaptée à la prise en charge des refugiés qui ont droit au séjour en France, avec un droit de travailler. […] Nous vérifions d’une manière plus systématique nos capacités de logement pour ces personnes […] et recensons les propositions d’emploi pour eux au plan national», déclare Michel Cadot aux journalistes.
D’après le préfet, l’opération en cours a été montée «en accord avec la Mairie de Paris» et inclut «la colline du crack», le fameux repaire du trafic et des toxicomanes dont les occupants sont dans une situation plus complexe, demandant «quelques semaines à résoudre». «Le ministre nous a demandé trouver une solution à ce problème en moins d’un mois. Dès à présent, la colline sera contrôlée et il n’y aura plus de trafic sur la zone», rassure Michel Cadot.
«S’agissant de la Porte d’Aubervilliers et de la Porte de la Villette, avec le même nombre de personnes sur ces deux zones, nous prévoyons dans les toutes prochaines semaines la mise à l’abri inconditionnelle et l’orientation des personnes en fonction de leur choix», promet Michel Cadot.
«Je suis content de cette évacuation parce que je n’ai pas d’argent à débourser pour l’OFII [l’Office français de l’immigration et de l’intégration, ndlr] et je n’ai pas de maison, pas d’argent – ça pose problème, mais les conditions sont bonnes: les policiers sont bien, les Français sont gentils, c’est un bon pays», confie à Sputnik Zadran, un Afghan qui vit à Paris «depuis quatre mois peut-être».
«Cette évacuation est un soulagement pour certains, qui pourront s’abriter au chaud quelques jours et prendre une douche», d’après Philippe, un bénévole du collectif Solidarité migrants Wilson, soulignant que «sur place, il n’y avait rien et les associations étaient seules à s’en occuper». Néanmoins, il s’agit d’«une opération communication» et d’«une foire aux médias», qui mettent en avant des solutions «précaires et provisoires».
«Le gouvernement fait des annonces – assez proches, d’ailleurs des propos du FN – concernant les migrants pour expliquer qu’il durcit les conditions d’accueil et d’accès aux soins médicaux. Dans la pratique, on voit que systématiquement, à la même époque, on ʺdécouvreʺ qu’il y a des campements et qu’il faut mettre les gens à l’abri. Ils les appellent ʺinconditionnellesʺ ou ʺpérennesʺ, ce n’est pas le cas, puisque cela revient tous les ans», déclare Philippe à Sputnik.
«On n’arrive jamais avoir la liste des gymnases. S’ils veulent qu’on ait confiance, qu’on nous la donne!», s’insurge Philippe.
La foule se raréfie au fur et à mesure que les migrants montent dans les bus, on découvre le sol humide jonché de couvertures et de vêtements jetés à la hâte. Devant les portes des cars, on entend les agents du COP – Centre opérationnel de premiers secours – passer l’appel «aux familles qui restent encore», puis faire repartir les véhicules remplis. D’après le volontaire Philippe, certains migrants «ne montent pas dans les bus», et «on va les retrouver dans la rue dès ce soir».
«Lors des évacuations de cet envergure, la 50e d’après moi, certaines personnes, privées du matériel, vont chercher où dormir ailleurs. La police va les harceler pour les priver de moyens de survie. Mais priver une personne venue d’un pays en guerre de chaussures ou d’une couverture ne l’empêche pas de rester. Il sont là», détaille Philippe.
Une foule compacte, composée principalement d’hommes et encadrée par les gendarmes, se terre toujours sous l’autopont à l’abri de la pluie. Le volontaire du collectif Solidaire dénonce surtout le système mis en place et cite le cas d’un migrant qu’il «a vu monter dans le bus d’évacuation à trois reprises, à des dates différentes et dans des camps différents», qu’il a ensuite retrouvé trois fois dans la rue. La proposition de «régler le problème de logement à long terme avec le 115, le Samu social, débordé» ne semble pas pertinente pour Philippe, face aux 3.000 migrants installés dans le nord de Paris, et ce «en France, pays de Droits de l’homme et terre d’asile».
«On était mal dans ce camp parce qu’il n’y avait pas de nourriture, il pleuvait en permanence. Je vais monter dans le bus puisque je veux rester en France et demander l’asile. J’ai été professeur dans mon pays et je souhaite continuer à faire des études ici, en sécurité, dans de bonnes conditions», assure Mammadrafi.
«Etre là, c’est un devoir de vigilance. En vue de la loi d’asile et d’immigration et de ses nouvelles mesures annoncées qui restreignent encore leurs droits, j’ai extrêmement peur qu’il y ait un tri potentiel des migrants et que ceux qui seront aujourd’hui à l’abri, reçoivent une injonction à quitter le territoire français», précise à Sputnik Mathilde Panot, députée de La France insoumise.
«La France doit arrêter sa participation à l’Otan, cette organisation va-t-en-guerre qui provoque des fuites de personnes et des drames humains, ainsi les accords de libre échange qui anéantissent l’agriculture vivrière et la vie digne des populations», précise l’élue.
L’aube humide automnale se lève sur les misères du monde, en marge de la Ville lumière. Les dernières personnes quittent le site. C’est l’heure du bilan officiel. Galère sur la route avec un pic de 543 kilomètres de bouchons. 1.606 personnes ont été évacuées de deux campements de migrants du nord-est parisien, annonce la Préfecture de police. Et «d'autres évacuations auront lieu, dans le mois qui vient», à «Grande-Synthe, Calais, Nantes», annonce au "8h30 franceinfo" Christophe Castaner. Il confirme également les prochaines opérations à la porte d'Aubervilliers et sur la «colline du crack» à Paris, annoncées par Michel Cadot ce matin sur le terrain.