«Il est clair que ce genre d'événements permet à la France de soigner sa diplomatie. Mais je pense qu'on peut espérer plus. La participation de l'Afrique au G7 est une bonne chose si l'on va au-delà du décor. Cela tranche, certes, avec la vision d'un grand bal des puissants, de l’entre-riche. Mais la démarche ne sera inclusive que si on réussit à donner corps à cet esprit d'ouverture. Le Sahel attend plus d'actions, pas des discours. J'espère que les voix de ces chefs d'État seront audibles dans le brouhaha de cette grand-messe feutrée.»
Les inquiétudes de Bakary Sambe, directeur de Timbuktu Institute-African Center for Peace Studies et coordonnateur de l'Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique, sont-elles fondées? Le G7, rassemblement des sept pays les plus riches de la planète, avait cette année pour thème la réduction des inégalités. La présidence française du G7 en a fait son cheval de bataille avec, en ligne de mire, le continent africain dont elle veut assurer le développement «sur de nouvelles bases partenariales», comme n’a cessé de le répéter Emmanuel Macron, aiguillonné en cela par l’Allemagne, qui veut mettre un frein à l’immigration clandestine vers l’Europe en aidant les Africains à rester chez eux.
Même si cette rencontre, au final, s’est beaucoup focalisée sur d’autres sujets que l’Afrique, à commencer par l’Amazonie ravagée par des incendies, le nucléaire iranien, le commerce international, voire Hong Kong, l’objectif initial de la France de mettre l’Afrique au cœur des discussions a pourtant été réalisé. La plupart de nos confrères africains ont d’ailleurs salué les «bonnes intentions» de la présidence française dans leur couverture du sommet, mais n’en restent pas moins très sceptiques sur la capacité des riches à s’intéresser aux pauvres surtout quand ils s’arrogent à sept le droit de décider du sort de la planète:
«La triste réalité, c’est que l’Afrique, qui participe à environ 5% du commerce mondial, a de la peine à se faire entendre sur ses problèmes spécifiques relatifs au changement climatique, aux évasions fiscales orchestrées par les multinationales, au chômage, à l’insécurité, etc.», commente le journal burkinabé Le Pays, qui regrette par ailleurs que les cinq Présidents africains invités à ce sommet «l’ont été juste pour meubler le décor».
La composition de la délégation africaine a fait beaucoup couler d’encre en Afrique. Le principal quotidien de Kigali, le New Times, estime par exemple que le choix des pays invités ne doit rien au hasard, mais à un savant dosage. Ainsi, «Paul Kagamé du Rwanda a officiellement été invité en tant qu'ancien président de l'Union africaine, Al-Sissi d'Égypte au titre de président actuel de l'Union africaine, Cyril Ramaphosa au titre de président récemment élu de la 2e puissance économique du continent, l'Afrique du Sud, le Sénégalais Macky Sall comme président du NEPAD et, enfin, Roch-Marc Christian Kaboré comme président du G5 Sahel et comme chef d'État d'un pays, le Burkina Faso, en première ligne concernant la lutte contre le terrorisme dans une région sous tension sécuritaire», écrit le journal.
«Le Rwanda a un rôle géostratégique majeur à jouer dans la zone des Grands Lacs. De plus, depuis octobre 2018, c'est une Rwandaise, Louise Mushikiwabo, qui est à la tête de l'Organisation internationale de la francophonie [OIF]», rappelle de son côté le New Time.
Deux nouvelles conférences pour sortir la Libye de la crise
Se faisant le porte-parole des états membres du G5 Sahel (Burkina Faso, Mauritanie, Mali, Niger, Tchad), le chef de l’État burkinabé a quant à lui plaidé aussi bien auprès de la présidence française que de la chancelière allemande Angela Merkel, pour que la communauté internationale œuvre à une action concertée pour stabiliser la Libye. Faisant un rapprochement entre la crise sécuritaire en Libye, l’instabilité dans le Sahel et celle qui prévaut dans le monde en général, il a appelé le G7 à «afficher une position claire pour ramener la paix et la stabilité en Libye».
«Nous soutenons une trêve en Libye qui puisse donner lieu à un cessez-le-feu durable. Nous considérons que seule une solution politique permettra d'assurer la stabilité de la Libye. Nous appelons de nos vœux une conférence internationale bien préparée associant toutes les parties prenantes et tous les acteurs régionaux concernés par ce conflit. À cet égard, nous soutenons le travail des Nations Unies et de l'Union africaine afin de mettre en place une conférence inter-libyenne», précise le communiqué adopté par les sept pays les plus riches de la planète, le 26 août, lors du sommet de Biarritz.
Ni la date, ni le lieu de cette conférence n'ont encore été divulgués. Mais, selon des sources diplomatiques françaises, il s’agit d’une version «revue et corrigée» de celle initialement prévue par Ghassan Salamé, envoyé spécial de l’ONU, avant l’offensive sur Tripoli le 4 avril par l’Armée nationale libyenne (ANL), qui est dirigée par le maréchal Khalifa Haftar, homme fort de la Cyrénaïque à l’Est. La différence avec l’organisation de cette nouvelle conférence inter libyenne est qu’elle sera «plus inclusive» avec, notamment, «la présence des chefs militaires de Misrata et de Zintan», à la tête de milices de l’Ouest soutenant le Premier ministre libyen Fayez el-Sarraj qui dirige le gouvernement d'union nationale (GNA), le seul à être reconnu par la communauté internationale.
Vers un élargissement du G5 Sahel
Le lobbying intense de Roch-Marc Christian Kaboré à Biarritz n’a toutefois pas complétement porté ses fruits concernant le renforcement des moyens financiers du G5 Sahel. L’une des ambitions affichées par la présidence française lors de ce sommet était de parvenir à débloquer le financement promis pour les forces de sécurité des cinq états sahéliens concernés. Opposés à la transformation de cette force en une mission des Nations unies, ce qui aurait réglé la question de son financement, les États-Unis ont toujours affiché leur préférence pour une aide bilatérale comme ils le font actuellement avec le Niger ou le Burkina Faso.
En butte à une recrudescence des attaques djihadistes dans cette région depuis plusieurs mois, les forces de sécurité des états du G5 Sahel se sont retrouvées en première ligne, malgré la présence de la force Barkhane au Mali. Or, sur les 420 millions d'euros initialement promis qui devaient leur être consacrés, «une grande partie de cet argent n'a toujours pas été reçue par le G5 Sahel. Le décaissement n'a pas suivi», a confirmé à Sputnik Bakary Sambe.
«Cette situation donne l'impression d'une grande compétition entre les puissances militaires que sont la France, l'Allemagne — qui s'affirme de plus en plus — la Chine et la Russie, entre autres. Et renvoie une image très négative aux populations sur place qui subissent les mesures draconiennes imposées par les autorités, tout en se sentant de moins en moins en sécurité. Le Sahel est un malade autour duquel il y a beaucoup de médecins. Mais personne n'est d'accord sur le diagnostic», a-t-il ajouté.
Cette main tendue aux autres pays de la région vise essentiellement à «élargir» le G5 Sahel et à «renforcer» financièrement la coalition internationale luttant contre les groupes djihadistes au Mali, au Niger, en Mauritanie, au Tchad et au Burkina Faso. Il s’agit dans un premier temps d’associer les pays du golfe de Guinée, notamment le Sénégal, la Côte d’Ivoire et le Ghana, aux efforts du G5 Sahel. Une rencontre franco-allemande prévue «avant la fin de l’année» doit en fixer les modalités. Tandis qu’un sommet de la CEDEAO, fixé à la mi-septembre à Ouagadougou, se penchera sur la faisabilité de la création d’une large coalition militaire englobant les États du G5 Sahel et quelques-uns de leurs voisins.
Quant au Président burkinabé, il a révélé à Biarritz devant la presse que 18% à 32% des budgets des États du G5 Sahel étaient consacrés aux dépenses de sécurité. Ce qui se fait, selon lui, aux dépens du développement et des services sociaux de ces pays, d’où l’appel de ces États du G5 Sahel à un véritable partenariat international dans le cadre de leur lutte contre le terrorisme:
«La situation sécuritaire au niveau du G5 Sahel est préoccupante parce qu'elle a entraîné un certain nombre de conséquences: des attaques sur nos casernes, beaucoup de victimes militaires et civiles, des classes qui sont fermées par milliers dans la zone, avec l'incidence que de nombreux enfants n'iront pas à l'école, et les déplacements massifs des populations, tant de l'intérieur que des pays voisins. Cela veut dire que quelque part, on a des difficultés importantes sur les plans humanitaires, sécuritaires, et des difficultés de développement de ces zones», a prévenu le président en exercice du G5 Sahel, Roch-Marc Christian Kaboré.
251 millions de dollars pour réduire les inégalités
Les difficultés rencontrées par les pays sahéliens ne se limitent pas aux seuls problèmes sécuritaires, comme l’a fait justement remarquer le chef de l’État burkinabé. Elles sont aussi écologiques, du fait du réchauffement climatique. Ces pays demandent donc des solutions à la fois globales et locales.
Sur ce plan, «l'urgence climatique commande que nous favorisions rapidement des synergies au sein de la communauté internationale pour tirer profit des mécanismes financiers innovants afin de faire face à la vulnérabilité du Sahel soumis à la rigueur des changements climatiques», a-t-il plaidé à Biarritz.
Destinée à autonomiser économiquement les femmes, cette initiative repose sur mécanisme de partage des risques grâce au recours par la BAD à un fonds de garantie africain et à un réseau de banques africaines. Elle répond à l’appel lancé par les femmes africaines pour débloquer l’accès au financement qui s’était traduit par une résolution sur la nécessité d’établir un mécanisme de financement pour l’autonomisation économique des femmes, adoptée lors du Sommet des chefs d’État de l’Union africaine en janvier 2015 et assignée à la BAD pour sa mise en œuvre.
«C’est un grand jour pour les femmes en Afrique. Investir dans l’entrepreneuriat féminin en Afrique est un investissement fort de sens car les femmes ne sont pas seulement l’avenir de l’Afrique, elles sont le présent de l’Afrique. Aujourd’hui, les femmes détiennent plus de 30% des PME en Afrique, mais il existe un déficit de financement de 42 milliards de dollars entre les femmes et les hommes entrepreneurs. Ce déficit doit être comblé, et vite», a affirmé à Biarritz le président de la BAD.
Soutenue par l’ensemble des chefs d’État du G7, l’initiative AFAWA va permettre de lever jusqu’à cinq milliards de dollars pour les entrepreneures africaines. La BAD financera pour sa part un milliard de dollars. Un effort financier en faveur des femmes africaines qui est «le plus important de l’histoire du continent», a estimé le président de la BAD. «Les femmes africaines sont la colonne vertébrale du continent. Je suis heureux de porter leur voix ici, au G7», a renchéri de son côté le Président français.
Quant à l’artiste béninoise de réputation mondiale Angélique Kidjo, qui a été choisie comme ambassadeur de ce programme, «l’initiative AFAWA est déterminante pour notre continent», a-t-elle plaidé. S’appuyant sur une approche holistique, celle-ci repose sur trois piliers. Le premier vise à améliorer l’accès des femmes au financement grâce à des instruments financiers innovants et adaptés, y compris des mécanismes de garantie pour soutenir les femmes entrepreneurs. Le deuxième pilier est axé sur la prestation de services de renforcement des capacités aux femmes entrepreneurs, y compris l’accès à des cours de mentorat et de formation en entrepreneuriat. Enfin, le troisième pilier se concentre sur l’amélioration de l’environnement juridique et règlementaire pour éliminer les obstacles spécifiques aux femmes en engageant un dialogue politique avec les gouvernements, les banques centrales et les autres autorités concernées.