«Kim Darroch incarne l’honneur de la profession», assène Stéphane Gompertz, ancien ambassadeur français.
Un jugement qui en dit long sur l’auteur de Un diplomate mange et boit pour son pays (Éd. Odile Jacob), ancien ambassadeur en poste en Autriche et en Éthiopie. Kim Darroch, c’est en effet son homologue britannique à Washington qui a démissionné le 10 juillet dernier et qui s’est rendu célèbre par la divulgation de mémos confidentiels destinés au Foreign Office. Il s’y montrait peu amène envers Donald Trump, le qualifiant d’«inepte», «instable» et «incompétent», ce à quoi le Président américain a réagi violemment sur Twitter. Stéphane Gompertz estime en outre que Sir Kim Darroch «a fait son travail honnêtement et qu’il n’a pas hésité à dire ce qu’il pensait à ses autorités. Et il a eu raison.»
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Liberté de ton à géométrie variable
L’imbroglio diplomatique a divisé même au sein de la classe politique britannique: Theresa May a apporté tout son soutien à l’ambassadeur, tandis que Boris Johnson, réputé proche de Donald Trump, a refusé de le défendre. Il faut rappeler qu’un tel cas a eu un précédent, en France, il y a tout juste un an, en la personne de l’ambassadeur Eric Fournier. Alors en poste à Budapest, il a été révoqué par le Quai d’Orsay à cause d’une note confidentielle jugée trop favorable à Viktor Orban, note qui a fuité dans Mediapart. Étonnamment, le diplomate français n’a pas recueilli le même soutien, ce qui fait réagir Stéphane Gompertz:
«Ce n’est pas tout à fait la même chose, parce que l’affaire n’a pas eu le même retentissement. Mais là aussi, dans le cas d’Éric Fournier, il s’agissait de documents internes destinés à l’administration, où l’ambassadeur donnait tout à fait normalement son point de vue. On est d’accord ou on n’est pas d’accord, Eric Fournier est un bon collègue, c’est un ami, mais il a fait son travail en donnant son avis. Si le ministère, si l’administration, ne sont pas d’accord avec lui, il faut le dire, mais à mon avis, ce n’est pas une raison pour le révoquer. Évidemment, comme l’affaire avait fuité, ça devenait un petit peu plus difficile à gérer.»
Licenciator Fabius
L’ambassadeur Gompertz confirme qu’il est du devoir d’un diplomate de donner son avis sur une situation, un pays donné, dont il est censé être le meilleur spécialiste. Par contre, le secret des transmissions doit être conservé. Dans les deux cas précédents, une source malveillante a transmis ces informations aux médias.
Un troisième cas intéressant est le licenciement brutal de Laurent Bigot du ministère des Affaires étrangères. Une personnalité dont Stéphane Gompertz était proche, l’ayant directement eu sous ses ordres: il était jusqu’en 2013 sous-directeur du département Afrique de l’Ouest au Quai d’Orsay. C’est dans ce contexte qu’il a été amené à participer à une conférence sur le Burkina Faso à L’IFRI, où il prédisait la chute probable de Blaise Compaoré. La réunion devait se tenir à huis clos, sauf qu’une vidéo a fuité, déclenchant des protestations diplomatiques. Un an plus tard, alors que la France était engagée dans l’opération Serval au Mali, Laurent Bigot est critique sur l’accompagnement politique de l’intervention française. C’en est trop: Laurent Fabius décide de le virer sèchement.
«Je suis beaucoup intervenu pour le défendre. J’étais à l’époque en Autriche, j’ai appelé Pierre, Paul et Jacques pour dire “attention, Laurent Bigot est un type formidable”. Ce que je reproche surtout au Quai d’Orsay, ce n’est pas de lui avoir fait changer de poste, de toute façon, ça faisait longtemps qu’il était en place et il était logique qu’il change. Mais il aurait dû avoir un très beau poste après, que du coup on lui a refusé. Je trouve ça choquant.»
Dernière illustration, c’est le départ de Nathalie Loiseau du Quai. Avant de se lancer en politique aux côtés d’Emmanuel Macron, elle a fait une grande partie de sa carrière dans la diplomatie pour devenir en 2011, directrice générale de l’administration du ministère, un poste qu’elle n’occupera que très peu de temps. Voici comment M. Gompertz interprète ce passage éclair:
«D’après ce que j’ai compris, c’est parce qu’elle a eu le courage de s’opposer à Laurent Fabius sur des questions budgétaires. Si mes informations sont exactes, elle a dit en substance au ministre: “là, vous pouvez céder à Bercy pour faire des économies, mais là, il faut défendre les intérêts du ministère.” Et Laurent Fabius l’a assez mal pris. Nathalie Loiseau est une femme courageuse, j’ai beaucoup d’estime pour elle.»
Idéologie et diplomatie
Difficile donc d’échapper aux suspicions de népotisme, de connivence idéologique, également. A-t-on plus de chance de grimper dans la hiérarchie si on est de gauche lors du mandat Fabius ou Le Drian? Tandis que la «secte des néocons» s’arroge de plus en plus de prérogatives, est-il possible de faire entendre des voix divergentes? Pour être ambassadeur, faut-il être ami du pouvoir?
«Ça aide, bien sûr. Ça aide à faire de belles carrières. Il est évident que si on a de bonnes relations avec le ministre ou le Président de la République, ou avec le Premier ministre, ça aide. Mais enfin, ce n’est pas indispensable. Nous n’avons pas une administration politisée comme l’est l’administration américaine.»
Pourtant, soixante ambassadeurs ont décidé de signer, dans le Figaro du 4 mai 2017, une tribune en faveur d’Emmanuel Macron, avertissant du danger pour l’image et le prestige de la France à l’étranger que représenterait l’élection de Marine Le Pen. Un choix très fort de la part de diplomates, plus habitués au devoir de réserve. Stéphane Gompertz explique cette démarche à laquelle il a adhéré et qu’il défend toujours.
«Nous étions très nombreux en nous fondant sur le prestige de la France, sur l’intérêt de la France à l’étranger. On avait le choix entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen, entre le premier et le deuxième tour, et parmi ceux qui ont signé, il y avait des gens de toutes tendances. Il y avait des gens de droite, des gens de gauche et des gens du milieu, vraiment de tout. Mais nous étions tous convaincus que si Marine Le Pen devenait Présidente de la République, les intérêts de la France, le prestige de la France en prendraient un sérieux coup. Pour cette raison, nous avons signé cet appel.»
Libye et Syrie, deux erreurs de la France
À la retraite depuis 2015, Stéphane Gompertz se montre plutôt positif sur le bilan de la politique étrangère française, qu’il assume dans son ensemble:
«Les occasions avec lesquelles j’ai pu me trouver en désaccord avec la ligne suivie ont été heureusement très rares. Je n’aurais pas aimé me trouver dans la situation de mes collègues américains et britanniques au moment de la guerre en Irak.»
«J’allais à toutes les réunions de l’Union Africaine et tous mes collègues africains me disaient attention, attention, vous êtes en train de commettre une erreur, vous êtes en train d’ouvrir la boîte de Pandore. Je me rendais compte en partie qu’ils avaient raison, en partie seulement. Et les évènements ont prouvé qu’ils avaient totalement raison. Il suffit de voir l’état de la Libye actuellement. C’est une guerre civile épouvantable, ça a été un terreau fertile pour le terrorisme en Afrique subsaharienne.»
Puis il ajoute:
«Par la suite, les choses ont dégénéré et Kadhafi a été chassé, puis assassiné. Et là, je crois qu’en n’empêchant pas cet évènement –je ne sais pas si on aurait pu l’empêcher, mais j’ai tendance à penser que oui– je crois que nous avons commis une énorme erreur.»
Même chose pour la Syrie où, selon l’ambassadeur Gompertz, la France a fait plusieurs erreurs d’analyse depuis le début du conflit. Comme il le dit dans son livre, afin de mettre fin aux violences, l’art de la négociation est primordial. Il s’agit ainsi de traiter avec tout le monde, y compris avec les gens que l’on considère comme des «salauds».
«Au début du conflit syrien, elle [la position française, ndlr] était cohérente, mais elle était fondée sur une analyse fausse. Que l’on condamne les violations des droits de l’homme par le régime de Bachar al-Assad, c’est tout à fait normal […] On a commis une double erreur, première erreur, on a méconnu la force du régime syrien, certains ont dit le régime allait s’effondrer, donc on allait soutenir l’opposition à tout crin, et après il y aurait un régime démocratique. Illusion lyrique. Évidemment, il a tenu, avec l’appui russe et iranien. Mais il a tenu, donc il y a eu erreur d’analyse. Deuxième erreur, on a dit qu’il n’y aura pas de solution avec Bachar al-Assad. Il ne faut pas dire ça. Quelle conclusion en a tirée Bachar al-Assad? Il s’est dit qu’ils ne veulent pas de moi, ils veulent m’éliminer politiquement, donc ils veulent m’éliminer physiquement comme ils ont fait avec Kadhafi.»