Crise sociopolitique au Cameroun, les anciens chefs d’États africains en médiateur

Cameroun: la médiation des anciens chefs d’État africains pour un «dialogue inclusif et ouvert» réunissant les Camerounais. Analyse de Sputnik.
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Si le gouvernement camerounais a souvent multiplié les déclarations pour limiter l’implication des partenaires extérieurs dans le processus de résolution de la crise que connait le pays, la communauté internationale poursuit son offensive dans la recherche des solutions. Après le gouvernement fédéral suisse, c’est au tour du forum des anciens Chefs d’État et de gouvernement africains de proposer une médiation. Interrogé par Sputnik, Moussa Njoya politologue camerounais salue et félicite cette initiative, car elle est, de loin, plus légitime que la paix négociée sous les auspices des puissances occidentales.

«La quasi-totalité de ces chefs d’Etat a connu Paul Biya quand ils étaient en fonction et estiment qu’ils pourraient aider leurs anciens collègues à résoudre une situation assez complexe. Ce d’autant plus que dans la situation actuelle au Cameroun nourrit une certaine méfiance vis-à-vis des initiatives occidentales. Les gouvernants camerounais estiment dans une large mesure que les grandes puissances font partie du problème, eu égard à leurs déclarations et autres résolutions de ces dernières semaines ou de ces derniers mois», pense-t-il.

Un point de vue que partage le sociopolitologue Claude Abe. Ce dernier émet néanmoins quelques réserves sur l’approche annoncée par le Forum africain qui consisterait à rencontrer les leaders de la crise.

«L’approche adoptée par ce forum, si elle est une façon d’essayer de rencontrer les leaders, ne pourrait pas apporter quelque chose de nouveau. Par contre si c’est une approche qui se tourne vers les mouvements associatifs traditionnels présents dans les régions dites anglophones, à mon avis ça peut apporter un certain nombre d’éléments nouveaux», nuance-t-il au micro de Sputnik.

Crise anglophone au Cameroun, la difficile équation d’un dialogue à plusieurs inconnus
En effet, le forum africain qui regroupe d’anciens chefs d’État et de gouvernement africains et d’autres personnalités africaines de premier plan a annoncé à travers un manifeste daté du 2 juillet 2019, l’organisation prochaine d’un colloque spécial sur le Cameroun.

«Le Forum estime nécessaire la tenue d’un colloque sur le Cameroun qui se tiendra à Addis-Abeba, en Éthiopie ou éventuellement dans tout autre pays africain avec l’accord du Forum. Dans cette perspective, et sans plus tarder, le Forum se propose de contacter un large éventail de citoyens camerounais qu’il invitera à participer à cette rencontre qui doit être le lieu d’un dialogue inclusif et ouvert», peut-on lire dans le manifeste.

Si les observateurs saluent la symbolique d’une telle initiative au moment où certains ont souvent pointé du doigt la faiblesse des africains dans la résolution des conflits sur le continent, le professeur Claude Abbe pense que les chances de réussite d’une médiation internationale bien qu’elle soit africaine dans la résolution de la crise séparatiste au Cameroun est un exercice compliqué voire impossible au vu du caractère interne du problème.

«C’est une initiative qui n’a pas beaucoup de chances d’aboutir. La grande difficulté quand on veut échanger au niveau international, c’est d’arriver à parler d’un problème interne à un pays. À ce titre-là, les instruments juridiques et les mécanismes d’intervention sont assez fragiles ou du moins ne laissent pas suffisamment de marges de manœuvre à ces initiateurs. Deuxièmement, il est difficile aujourd’hui de démontrer quelle est la légitimité des leaders pour arriver à faire asseoir les individus autour d’une table», commente le politologue au micro de Sputnik.

Alors que les observateurs sont unanimes sur la tenue des pourparlers entre protagonistes comme solution de sortie de crise, pour Moussa Njoya cette initiative comme toutes les autres, pour réussir doit tenir compte de quelques paramètres préalables.

«Tout déprendra en premier lieu de la qualité du négociateur en chef. Deuxièmement, la réussite de cette initiative dépendra des thèmes qui seront retenus pour ce dossier. Il y a à se demander s’ils vont exclure un certain nombre de questions telles que la forme de l’État, la sécession entre autres ou s’ils vont aborder toutes les questions. Le troisième point vise la qualité des belligérants invités à la table. Il y a à se demander si tout le monde sera convié à un tel dialogue ou alors va-t-on décider d’exclure ceux qu’on considère comme des terroristes», s’interroge-t-il au micro de Sputnik.

Fin 2017, les séparatistes des régions anglophones du nord-ouest et du sud-ouest ont pris les armes contre le gouvernement de Yaoundé pour réclamer la création d’un État dénommé «Ambazonie». Selon l’ONG internationale Crisis group le conflit a déjà fait 1.850 morts (civils, militaires et miliciens) après 20 mois d’affrontements, avec à la clé 530.000 déplacés internes et 35.000 réfugiés au Nigeria voisin.

Entre répression et arrestations, au Cameroun les pro-Kamto continuent de résister
À la crise séparatiste s’ajoute la crise politique ouverte au lendemain de la dernière présidentielle avec la revendication de la victoire du principal challenger de Paul Biya: Maurice Kamto. Malgré l’incarcération de ce dernier janvier 2019 à la prison centrale de Kondengui à Yaoundé, les manifestations de ses soutiens se poursuivent dans le pays contre la «victoire volée».

Si dans son manifeste le Forum africain — dont l’une des principales missions est de «soutenir l’action de l’Union Africaine (UA) dans le cadre des initiatives qu’elle met en œuvre sur le continent pour atteindre les objectifs définis dans son Acte Constitutif» — n’a pas délimité les sujets à évoquer à l’occasion de ce dialogue annoncé, Moussa Njoya pense que.

«Le contentieux postélectoral ne peut pas intervenir. Conformément à l’idéologie de l’UA, ces chefs d’État ne pourront pas aborder cette question. Il faut d’ailleurs indiquer que les missions d’observation des élections de l’UA observent le processus mais pas le résultat. A fortiori, le forum ne peut pas revenir sur la question d’un président qui a déjà été élu et a prêté serment», explique le politologue au micro de Sputnik.

Pour le professeur Claude Abe, il serait judicieux pour le forum de ne pas poser plus d’un problème sur la table pour éviter la confusion. Le sociopolitologue estime d’ailleurs que la question du contentieux postélectoral a déjà été vidée.

«Il serait de bon ton pour quelqu’un qui veut adresser la crise anglophone de ne pas engager un débat sur le contentieux postélectoral, qui est un contentieux imaginaire à mon avis dans la mesure où le dossier a été vidé par lui-même et qu’à mon sens les acteurs en face font une sorte de fixation sur un événement qui, lui est passé de mode.», suggère Claude Abe au micro de Sputnik.

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Fin juin dernier, la Suisse a annoncé avoir été mandatée pour mener une médiation entre le gouvernement et les séparatistes des régions anglophones du Cameroun dans la crise séparatiste qui secoue le pays.

Si les différentes initiatives de médiation suscitent de l’espoir dans les opinions nationale et internationale, la situation politique et sécuritaire au Cameroun demeure très tendue. Lors de son dernier séjour à l’hôtel intercontinental à Genève, le Président camerounais a fait face à une manifestation de l’opposition en exil qui se revendique de la Brigade anti-sardinards (BAS), mouvement anti Biya né au lendemain de la dernière présidentielle. Alors qu’une nouvelle manifestation de ces opposants était prévue le samedi 6 juillet devant le même hôtel, Berne aurait vivement encouragé Paul Biya un peu trop encombrant à écourter son séjour. Le chef de l’État camerounais a regagné Yaoundé vendredi dernier après une dizaine de jours perturbés en Suisse. Une humiliation de plus pour Paul Biya au pouvoir depuis bientôt 37 ans. Le Président camerounais va-t-il plier face à ces pressions multiples pressions?

«C’est un homme d’État qui a souvent su résister à des pressions beaucoup plus fortes que celle-là, qui viennent de l’intérieur ou de l’extérieur. À titre d’illustration, on peut parler du processus de revendication de l’établissement de l’État de droit dans les années 1990 et de la libéralisation politique.», estime Claude Abe au micro de Sputnik.

Cabral Libii: «La succession de gré à gré n’est pas envisageable au Cameroun»
Au sujet de la bataille de succession ouverte dans l’entourage de Biya; et l’hypothèse d’une passation de pouvoir de «gré à gré» avec un dauphin choisit dans son clan, Claude Abe pense que l’opposition actuelle a très peu de chance de jouer un rôle principal.

«À mon avis il y a une forte possibilité qu’un élément du régime actuel succède à Biya», nous confie le sociopolitologue.

Moussa Njoya quand à lui penche pour deux scénarios dans le sillage de la succession.

«Il y a le scénario catastrophe et il y a le scénario institutionnel. Si les choses se passent normalement, le président du Sénat assure la transition, organise les élections dans les 40 à 120 jours après le départ du Président. Un autre Président est élu et la vie de la nation continue. Le scénario catastrophe c’est la boîte à Pandore; tout est possible, c’est la grande inconnue», conclut-il au micro de Sputnik.

Pour l'heure, la première date de réunion des anciens Chefs d’État et de gouvernement africains n'est pas connue. 

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