Jean Lassalle: «les Européennes sont une course inutile, stupide, sans aucun sens»

À quatre jours du scrutin européen, Sputnik a interrogé le député Jean Lassalle, fondateur du mouvement «Résistons!» et éphémère candidat à la députation européenne. Nous avons évoqué avec lui sa vision de l’Europe, les six mois des Gilets jaunes et la France périphérique. Entretien.
Sputnik

Tutoiement direct, la bise à la fin, Jean Lassalle est comme à la télé, un OVNI politique. Sans artifice, sans dédain affecté, le député des Pyrénées-Atlantiques est vrai, il vient de la terre. Cela faisait longtemps que nous cherchions à l’interviewer, à Paris ou à Lourdios-Ichère, commune béarnaise dont il a longtemps été maire. Le rendez-vous a pu enfin être fixé avec son équipe, quelques jours avant les élections européennes. Lui qui n’a pu rassembler suffisamment de fonds pour former sa liste est remonté contre les banques qui n’ont pas voulu lui prêter, cette Europe de la «spéculation féroce», contre les médias des milliardaires. Le héraut des Gilets jaunes et de la France rurale?

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Tonnant contre les forces de l’argent qui ont dénaturé l’Europe des débuts, Jean Lassalle exprime son dégout des institutions de Bruxelles. Le fondateur de la formation Résistons! a présenté une liste au scrutin de dimanche, avec une tonalité «Europe des nations», souverainiste sans l’assumer.

«Derrière cette Europe qui devrait être l’Europe du partage, de l’espoir et de la fraternité, on a découvert une branche avancée de la spéculation la plus féroce, qui n’est plus au service de l’Homme, mais uniquement au service des dividendes que l’on remet à des gens sans cœur ni âme, sans visage d’ailleurs. C’est la première fois que nous affrontons une armée qui n’a ni visage, ni leader, ni porte-drapeau, et qui nous a saisis. Je trouve cela insupportable, il y a tous les éléments de cette dictature, la politique est devenue un théâtre d’ombres, la chose de l’argent.»

Faute d’argent pour la campagne, il n’a pu déposer sa liste, car il était perçu comme «candidat à risque» par les banques: il n’était pas certain d’atteindre les 3%, seuil minium pour être remboursé de ses frais de campagne. S’affichant à peine déçu par cet échec, il se montre très lucide sur le peu d’enjeux d’un scrutin qui ne mobilise pas les foules:

«Je n’avais pas très envie de me représenter non plus à ces élections européennes qui sont une course inutile, stupide, sans aucun sens. L’Europe? Pour quoi faire? Avec quoi? On n’est d’accord sur rien.» Ces élections ne servent «strictement à rien. C’est un théâtre d’ombres.»

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Résultat, en 2014, l’abstention atteignait les 57%. Et cela ne risque pas d’aller mieux. Jean Lassalle appelle ainsi à voter Blanc. Non, ce qu’il a en ligne de mire, c’est la présidentielle 2022. Emmanuel Macron en prend d’ailleurs largement pour son grade pour sa gestion de la crise des Gilets jaunes.

«Il ne va pas changer, il a échappé aux Gilets jaunes, qu’il a réussi à infiltrer pour les faire éclater. Il va se traîner jusqu’à la fin d’un mandat totalement dénudé d’intérêt qui n’intéresse aucun Français.»

Et Jean Lassalle en remet une couche, taclant un «programme déconnecté du pays et appliqué à la lettre». Il rappelle ainsi son tour de France en 2013, à la rencontre des Français, le comparant ironiquement avec les Marcheurs de la campagne présidentielle de 2017:

«Il a lu qu’un député était capable de faire 6.000 km en neuf mois, sans rentrer chez lui. Lui, il a fait deux fois le tour du salon, il a dit « En Marche ». Il s’est mis à marcher, mais sans but précis. Il marche sans savoir où il va ou il marche uniquement pour donner satisfaction à ses thuriféraires, qui sont des financiers déshumanisés, décomplexés, qui sont d’ailleurs morts de trouille.»

Pour le député des Pyrénées-Atlantiques, les six mois de mobilisation des Gilets jaunes ont révélé l’ampleur de la crise économique, sociale et morale dans laquelle vivent les Français depuis des dizaines d’années. Ceux qu’on n’entend plus, qui ne votent plus, les retraités, les familles monoparentales, les précaires ont pour une fois fait entendre leur voix.  

«C’est une couche de colère de plus, non comprise, sur laquelle on n’a pas mis des mots d’humanité. On ne pensait pas que c’était si grave que ça, on ne pensait pas qu’il y avait tellement de monde en France qui vivait avec si peu d’argent, qu’il y ait autant de mamans seules à élever leurs trois enfants, on ne savait pas qu’il y avait autant de retraités qui étaient impactés. Pourquoi ce mouvement a tenu? Parce qu’ils se sont constitués autour des ronds-points, des familles.»

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Alors que le premier budget de l’Union européenne, la PAC (Politique agricole commune) n’a pas été au cœur des préoccupations de cette campagne électorale et que le nombre d’agriculteurs se donnant la mort augmente, comment Jean Lassalle, l’élu rural par excellence, prétend-il sauver les deux mamelles de la France? D’abord en instituant un salaire:

«Je suis un promoteur des exploitations à taille humaine, où un homme et une femme peuvent donner le jour à des enfants, et peut-être instituer un salaire pour celui ou celle qui va tenir la maison […] Nous sommes en train de perdre ces deux jardiniers fabuleux que furent le maire et le paysan. Ce sera comme dans d’autres pays, des montagnes de broussailles, de ronces, de futaie. Il n’y aura plus de place pour l’Homme. L’Homme sera encore un peu plus entassé dans les grandes conurbations.»

Son autre cheval de bataille, plus méconnu, la politique étrangère de la France. Ancien membre de la commission des finances, il est passé depuis peu à la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale. Et là, aussi, il dérange par ses positions, notamment sur les ventes d’armes à l’Arabie saoudite. Des armes françaises notamment utilisées dans la très controversée guerre au Yémen.

«J’ai toujours été intrigué par l’argent colossal que nous retirions de nos ventes d’armes. Alors, je ne suis pas angélique. Je sais bien que si nous ne les vendons pas, d’autres les vendront […] J’étais intrigué aussi par le fait que nous vendions ces armes de préférence à des gens qui ne nous voulaient pas du bien. Je n’ai pas vu ce que l’Arabie saoudite nous voulait comme bien depuis un certain temps, je ne l’ai pas vu tellement pour le Qatar.»

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Et Bachar al-Assad, qu’il a rencontré, qu’en pense-t-il? Les responsabilités de la France dans le conflit syrien, quelles sont-elles pour le député français?

«J’ai voulu aller en Syrie parce que j’avais l’impression que nos responsabilités étaient immenses dans la déstabilisation de tous ces pays. […] Quand j’ai vu l’attitude des Français qui dès 2011 […] vont fermer les ambassades, les consulats. Ils se sont barrés comme des chiens. […] Je souhaite qu’il y ait un jugement à La Haye, il n’y aura certainement pas que Bachar al-Assad, il y aura de très hauts responsables français, et je souhaite qu’ils soient jugés à l’aune de leurs erreurs et de leur machiavélisme.»

Jean Lassalle est-il censuré? Le député béarnais se plaint du tribunal médiatique et des réseaux sociaux. Il fait ainsi allusion aux accusations de harcèlement sexuel à la fin 2017, rappelant qu’elles n’ont fait l’objet d’aucune plainte jusqu’à maintenant. Se disant honni par la France des métropoles, il dit être reconnu à sa juste valeur dans les campagnes. Sans être soutenu par aucun grand parti, il a su grâce à son ancrage territorial, être réélu en 2017 avec 52% des suffrages devant le candidat LREM.

«Quand votre média est acheté par un tenant du CAC 40, du Qatar et ne je sais quelle force internationale, vous êtes obligés d’en tenir compte. C’est pour cela qu’on vous incite à ne pas inviter Lassalle, ne l’invitez pas, ce type est un connard intégral, ce type il met la main au cul des femmes, ce type se torche tous les jours, il n’a aucun intérêt. Ne l’invitez surtout pas, il dit des choses insensées, sauf que partout où je vais, on m’accueille à bras ouverts, je reçois quotidiennement des témoignages de confiance […] L’URSS avait trouvé un système pour faire taire les dissidents, la Sibérie et le goulag, ici on te laisse dessécher sur pied, on attend que tu t’écroules, faute d’existence.»

L’entretien sitôt terminé, d’autres priorités reviennent au galop. Il demande à son collaborateur si la dégustation de produits gastronomiques du Nord est toujours prévue le soir même à l’Assemblée nationale.

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