Un instinct aveugle
Quand un jeune coucou vient s'inviter dans le nid d'un pouillot ou d'un bec-fin, en général le petit ne ressemble pas aux autres ni en termes de taille, ni par sa couleur. Plus encore, au 14e jour de sa vie, un coucou fait presque 3 fois la taille de ses «parents adoptifs». Mais ces derniers semblent ne pas le remarquer et partagent avec l'«orphelin» toute la nourriture qu'ils trouvent.
«L'instinct est toujours génétiquement déterminé, il est inné. Son développement ne nécessite pas une éducation supplémentaire, il est identique pour tous les spécimens de l'espèce. L'instinct inclut un besoin, un stimulus-clé et une série d'actions déterminées. Cette dernière se compose d'un comportement appétant — la recherche et le rapprochement d'un objet de satisfaction du besoin — et d'un comportement de consommation — la satisfaction du besoin (la capture de la proie, la reproduction, etc.). Il est impossible de trouver chez l'homme et les animaux supérieurs des instincts classiques conformes à cette définition. Le processus d'évolution nous a laissé un seul élément d'instinct: le besoin inné», explique Ekaterina Vinogradova, docteure ès sciences médicales et maître de conférences en activité nerveuse supérieure et en psychophysiologie à l'Université d'État de Saint-Pétersbourg.
Un indice indispensable
Chez les poissons, un tel schéma de comportement rigoureux commence à s'effacer. Les études ont révélé qu'ils se sont dotés d'une certaine notion de leur propre individualité, alors que les instincts perdent leur précision parfaite. Chez les oiseaux, seul le spectre d'éducabilité peut être considéré comme inné. Alors que chez les primates supérieurs et chez l'homme, au lieu d'un programme d'action clair il ne reste qu'un indicateur de la direction à prendre.
«Je crains qu'il soit impossible de tracer exactement la ligne où les instincts disparaissent. L'évolution est un processus continu. Les instincts «durs» ou les programmes universels commencent à jouer un rôle de plus en plus réduit au cours de l'évolution. Au fur et à mesure du développement du système nerveux central, l'apprentissage, qui permet de s'adapter aux conditions changeantes, prend de plus en plus d'importance. L'organisme devient plus souple», explique Ekaterina Vinogradova.
Réflexe ou instinct
Tous les nourrissons peuvent trouver le sein maternel à l'odeur, ouvrent la bouche et attrapent fortement le doigt d'un adulte quand on leur touche les lèvres. Cependant, préviennent les spécialistes, un tel comportement ne peut pas être qualifié d'instinctif: il s'agit de réflexes inconditionnels innés, dont la plupart disparaissent autour de l'âge d'un an. Ensuite, le comportement humain se forme uniquement par l'apprentissage et l'expérience.
«La principale différence est due au fait que le réflexe inconditionnel, indépendamment du besoin, est toujours déclenché en stimulant un champ réceptif. Qu'un enfant veuille manger ou non, la stimulation des récepteurs de ses lèvres provoque un mouvement de succion, celle de la main un geste de préhension. Indépendamment du nombre de fois que vous toucherez les lèvres ou les mains — dix, vingt ou cent — le réflexe aura se produira toujours. Or l'instinct ne réagit à l'action d'un stimulus qu'en présence d'un besoin. Une guêpe fouisseuse a creusé un trou, a pondu des œufs, a apporté la nourriture, a fermé le nid et c'est tout: la série fixe d'actions ne se réalisera pas une seconde fois. Si un mouton n'a pas de besoin sexuel au printemps, il n'aura pas de réaction sexuelle à la première chaleur des brebis, mais seulement à la seconde. De plus, la réalisation du réflexe inconditionnel est bien plus simple par rapport aux instincts, car elle n'inclut pas de phase d'appétit ou de consommation. Ce qui est, d'ailleurs, à l'origine des débats pour savoir si un haussement de sourcils en saluant une bonne connaissance est un instinct», souligne Ekaterina Vinogradova.
Alors que la position des spécialistes concernant l'hypothèse de Steven Pinker selon laquelle l'instinct spécifique de l'Homo sapiens serait celui du langage est sans équivoque.
«Les adeptes de Noam Chomsky (dont Pinker fait partie — ndlr) ne sont pas des biologistes, des ethnologues ou des philologues. C'est pourquoi ils attribuent au terme «instinct» leur propre sens. Tout bute sur les définitions. La définition apportée par les biologistes est claire: l'instinct ne nécessite pas un apprentissage supplémentaire. C'est pourquoi le langage ne peut être un instinct. La particularité spécifique n'est que la capacité de maîtriser le langage, mais cette maîtrise résulte d'un apprentissage», estime le chercheur.