Jamais deux sans trois? La présidentielle algérienne s'achemine inexorablement vers un troisième report. Les électeurs ont été appelés aux urnes une première fois pour le 18 avril, du temps du Président Abdelaziz Bouteflika. Mais suite à une mobilisation populaire inédite, le scrutin est reporté d'une année, avant que la démission du Président ne bouscule le calendrier au profit d'une nouvelle date, celle du 4 juillet, proposée par le Président par intérim Abdelkader Bensalah.
Or, à quelques jours de la date limite de dépôt des dossiers de candidatures, rien ne semble indiquer que la présidentielle du 4 juillet sera un combat de titans. Le 14 mai, quelque 73 lettres d'intention de candidatures avaient déjà été déposées, informe un communiqué du ministère de l'Intérieur en date du 15 mai. Toutefois, aucune personnalité ne semble sortir du lot constitué presqu'exclusivement d'indépendants. Et si les grands noms de la politique algérienne ne se bousculent pas, c'est qu'ils préfèrent ajuster leur conduite, non pas aux dispositions constitutionnelles impératives, mais au rythme de la rue, qui rejette toujours massivement ce scrutin.
Des millions d'Algériens continuent de battre le pavé chaque semaine pour réclamer un «changement de système, et non pas un changement dans le système», comme le titrait il y a quelques semaines le quotidien francophone Liberté. Les Algériens refusent d'aller à ce scrutin dans des conditions qui ne préjugent pas d'une élection transparente. «Peut-on donner les clés de la maison pour la sortie de crise à l'architecte de la fraude électorale lors des précédents scrutins?», s'interroge Badis Khenissa du parti Talaie El Hurriyet, faisant allusion au Premier ministre Noureddine Bédoui.
Tout en rejetant le scrutin du 4 juillet, qualifié de «non-événement» par Badis Khenissa, Talaie Horriyet se montre favorable à une élection présidentielle au terme d'un simple «processus préparatoire» dont l'objectif est de garantir la transparence du scrutin. C'est à l'issue de cette élection que s'engagera une politique de transition conçue davantage comme «un processus transitoire marquant le passage d'un régime politique à un autre».
«C'est le processus le plus court, le moins coûteux, et le plus sûr. Sitôt ces ajustements structurels accomplis, pour garantir un processus électoral honnête et sans embûches, un Président doit rapidement pouvoir être élu. Il le sera sur la base d'un programme qui va contenir une politique de transition. Cette option serait préférable à l'élection d'une constituante parce que cela nous prendra deux à trois ans. Ce sera du temps perdu pour le pays, avec une gouvernance transitoire naviguant à vue, et tous les risques que cela comporte pour la sécurité ou l'économie du pays. On aura une nouvelle constitution, certes, mais le pays sera-t-il en situation de l'adopter, de l'appliquer?» se défend-il à Sputnik.
Aux amateurs de «cachir» (du nom de ce saucisson devenu le triste symbole du pouvoir de Bouteflika) les coups de…«karcher». Depuis la démission forcée du Président le 2 avril, une véritable opération mani pulite est en cours. Objectif: traquer les anciennes figures de proue du Tangentopoli algérien, répondant du côté de cette rive méditerranéenne au nom de «système», nébuleuse obscure aux tentacules tantôt politico-financières, tantôt militaro-administratives, censée avoir largement et indûment profité des deniers publics et exacerbant par là-même la frustration des Algériens en même temps qu'elle aurait participé au déclin du plus grand pays d'Afrique (depuis la scission du Soudan en 2011). La traque est allée crescendo, jusqu'à viser celui qui cristallise la haine de beaucoup d'Algériens: Saïd Bouteflika, frère et conseiller de l'ancien Président, écroué début mai. Aujourd'hui, des rapports médiatiques estiment jusqu'à une soixantaine le nombre de personnalités politiques et financières visées par des enquêtes judiciaires.
«L'institution militaire a pris l'habitude de respecter les délais quitte à reconsidérer sa position par la suite, quand il s'avère, au vu des faits, qu'il est impossible de les tenir. L'institution militaire ne s'aventurera pas à aller, par elle-même, contre les textes constitutionnels. Vu la particularité de la situation algérienne, on refuse de considérer la transition comme une option. On préfère la laisser comme le résultat d'une nécessité, après l'extinction de tous les délais, sans qu'une solution n'ait pu être trouvée. On craint [au sein du pouvoir algérien, ndlr] qu'en appelant franchement à une transition, d'être accusé de vouloir pousser vers cette option pour s'accaparer le pouvoir», analyse le chercheur Mohamed Bachouche.
Le quotidien étatique El Moudjahid a annoncé jeudi 16 mai la tenue «imminente» d'une conférence nationale «pour débattre des possibilités d'une solution consensuelle à la crise politique actuelle». Le scénario d'une transition, comme recours unique et obligatoire, serait-il en passe d'être validé?