«La Grande Guerre a été l'élément déclencheur de beaucoup d'évènements au XXe siècle», soulignait Alexandre Zolotoukhine dans son discours lors de la Berlinale l'année dernière. À l'occasion de l'anniversaire de la fin de cette catastrophe humaine qui a marqué l'Europe, plusieurs réalisateurs se sont penchés sur le destin de la génération qui l'a traversée. Le documentaire «They shall not grow old», de Peter Jackson, a été l'un des plus forts dans son désespoir…
Mais, paraît-il, jamais avant «Une jeunesse russe» n'avait-on regardé avec autant d'attention au fond des yeux d'un soldat russe se battant dans cette guerre «oubliée» pendant des décennies en Russie. C'est l'une des œuvres marquantes présentées lors du 5e festival du film russe, «Quand les Russes s'enflamment», du 11 au 19 mars à Paris.
Aleksey, joué par Vladimir Korolev, est le personnage principal du film, un jeune paysan chétif et souriant, qui s'enrôle volontairement dans l'armée. Mais dès la première bataille, il est victime d'une attaque au gaz allemande et devient aveugle. Refusant d'être démobilisé, Alexey est versé dans une division antiaérienne, dans laquelle ce soldat aveugle a pour tâche «d'écouter le ciel» à l'aide d'un «radar sonore» et d'avertir les artilleurs antiaériens de l'arrivée imminente d'avions ennemis.
L'idée du réalisateur trentenaire Alexandre Zolotoukhine a mûri pendant presque une dizaine d'années.
«Quand j'étais en troisième année, mon maître, Alexandre Sokourov, nous a conseillé d'établir une liste d'idées de films à réaliser durant notre vie, raconte le jeune réalisateur, à l'époque, j'ai listé plusieurs thèmes transversaux: "l'homme à la guerre", où les circonstances tragiques révèlent la vraie personnalité de l'homme, aussi bien son côté négatif que celui de l'amour, de la tendresse et de la compassion, puis "la vie en Russie au quotidien du début du XXe".»
«Le seul ton juste à adopter dans un récit sur la guerre, c'est le respect et la compassion», confie Alexandre Zolotoukhine à Sputnik.
«Le film est très finement stylisé, confie à Sputnik le critique Kirill Razlogov. La particularité principale de ce film est le montage parallèle d'images de la Première guerre mondiale avec une bande-son de la répétition d'orchestre, créant un contrepoint dans un style eisensteinien.»
«D'une part, la musique de Rachmaninov est très puissante et émouvante», confirme le réalisateur. D'autre part, elle est douce et mélodique, elle correspond à l'histoire de notre héros, physiquement faible, mais fort d'esprit, qui doit faire face à de difficiles épreuves.»
Alexandre Zolotoukhine avoue que le sujet historique est particulièrement compliqué à traiter pour un débutant, mais l'époque éloignée de 100 ans du spectateur est traitée à travers le prisme de l'image et non celui de la reconstruction historique. Pour ce fils d'aviateur militaire, s'inspirer de la peinture du début du XXe, des tableaux de peintres ambulants pour «reconstituer», «recomposer» le visage de cette guerre lointaine était plus important encore.
«Nous étions moins intéressés par la partie historique que par les strates émotionnelles des destins. Mes souvenirs et impressions d'enfance de la vie dans les garnisons militaires ont influencé ma vision. Mon expérience personnelle a nourri le tableau d'ensemble.»
«On voit la jeunesse du réalisateur à travers les émotions du héros, précise M. Razlogov. On parle d'une manière attendrissante de l'univers cruel de la guerre, ça ne provoquera pas de réactions négatives.»