«Surréaliste escroquerie», «pratiques commerciales trompeuses», «je me suis fait arnaquer», «le bide», «l'expérience déçoit autant qu'elle promettait»: sur les réseaux sociaux, les spectateurs crient haut et fort leur déception, leur frustration, leur colère après avoir assisté au projet DAU, visible du 24 janvier au 17 février au Théâtre de la Ville et à Beaubourg.
La liberté «portable» qu'on traîne avec soi
Mais la visite commence bien avant de se retrouver devant les consignes à téléphones portables, à l'entrée du Théâtre de la Ville. L'envoi du mail d'excuses pour le report de la «première» avec les adresses de tous les candidats-spectateurs bien visibles met la puce à l'oreille en ce qui concerne le respect des règles de sécurité électronique. Donc pas question de risquer ses données personnelles… le portable reste à la maison!
La frustration des spectateurs déçus, d'où vient-elle? De cet abîme entre le «spectacle» promis et la pauvreté du déroulement d'images lors de l'événement? De l'habile matraquage publicitaire? Cet acharnement sur le spectateur via tous les moyens disponibles —Facebook, Twitter, affichage dans le métro- n'aurait pas fait son effet sans un management habile du mystère autour de l'essence même de l'événement. Et le coup de relations publiques a été adroitement porté: on a créé une envie, un manque, un sentiment élitiste… On proposait une entrée par une petite porte dans un univers soviétique disparu qui, aujourd'hui encore, fait fantasmer.
Cinéma? Théâtre? Art contemporain?
Après, nous aussi, avoir suscité l'attente et créé le suspens, rentrons dans le vif du sujet: que va-t-on voir à cet «événement»? Du «théâtre immersif», disent les producteurs de Phenomen Films. Un «événement underground», s'enthousiasme Le Figaro. Une «exposition», contredit le Huffington Post. Une chose est sûre, on n'a pas encore vu un «film» de cette envergure (et de cette longueur), avec un mélange (savant? Intuitif? Calculé?) de réalité et de fiction, avec ces pans d'intrigue (puisqu'il s'agit d'improvisations autour d'un thème déterminé par le réalisateur) joués par des non-comédiens. En fin de compte, ils ne seront que quelques-uns à avoir visionné une grande part des 700 heures de rushes, jetés en vrac et en pâture aux spectateurs, sur de petits écrans où on peut choisir intuitivement telle ou telle séquence. Ils ne seront que quelques-uns à être suffisamment résistants aux scènes violentes par leur aspect pornographique, par leur banalité, par leur longueur ou encore par leur opacité sémantique. Ils ne seront que quelques-uns à percer le vrai sens de ce «patchwork film». On y retournerait encore chercher ce «vrai sens»…
Oui, du cinéma!
Les fameux DAUphones promis dans la publicité de l'événement ne sont pas disponibles pour les parcours, donc la débrouille des années soviétiques est de retour. Les «techniciens» (ou «assistants»?) tous de gris vêtus sont sensés jouer les vigiles dans ces cercles de l'enfer communiste: ils vous expliquent —approximativement ou pas, ça dépend de leurs qualités personnelles- le contenu d'«expériences immersives» à suivre, ils annoncent les projections dans les salles ou d'autres rencontres.
Un homme vient et annonce que l'on attend que la salle se remplisse pour commencer. Là, un rire franc éclate… Une salle pleine, un lundi midi? Tout bonnement impensable. Était-ce une astuce de la mise en scène? Difficile à savoir, mais l'atmosphère se réchauffe, les spectateurs, étonnés et gênés, échangent.
Encore une dizaine de minutes plus tard, la lumière s'éteint. On se retrouve dans le noir, percé par des obscénités criées par des voix féminines et masculines, d'un timbre métallique et violent. De nouveau, une douche froide… Sur leurs tablettes fournies à l'entrée de la salle, les spectatrices essayent de trouver la traduction et le sens de cette séquence sonore. On les rassure —«il n'y a que des noms d'oiseaux».
Soit, mais quel est le but? Quelle est l'idée suprême? Elle reste opaque pour le spectateur non averti. Est-ce seulement un laboratoire cinématographique où on met des artistes et de «simples gens» dans le même espace de vie en leur imposant les «circonstances proposées», d'après la théorie de Stanislavski? Rupture de taille avec ce système: l'objectif est invisible. Une fois poussée par la queue de billard, la bille de l'action roule à travers un brouillard crayeux… vers quel objectif?
Pour le savoir (ou pas), rendez-vous demain pour la suite de notre reportage, «How do you DAU, vieux monde soviétique?»