Le premier film sur la question homosexuelle, détruit par les nazis mais conservé en URSS

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Différent des autres, affiche d'époque. - Sputnik Afrique
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Le premier film de l'histoire abordant la thématique de l'homosexualité a fait son apparition dans la république de Weimar. Il traitait de l'homophobie et de la haine dans une société très libérale et progressiste. Daniel Wenger y a consacré un article dans le magazine The New Yorker, dont voici la traduction.

Dans le film muet de 1919 Différent des autres, considéré comme le premier film sur l'amour homosexuel, il n'y a qu'une seule scène vivifiante. Un homme mince joue du piano dans le salon de son appartement berlinois. Il s'agit de Paul Körner, un violoniste virtuose. Vêtu d'une robe de chambre en soie, derrière une porte solide, entouré par des statuettes de dieux grecs, il vit une vie à première vue merveilleuse, bien que solitaire.

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Puis se produit un événement qui rompt soudainement sa routine: au seuil de sa porte fait son apparition un jeune étudiant musicien. Kurt Sivers, un jeune exalté au visage arrondi, n'a manqué aucune prestation de Paul, il s'approche, inquiet, du violoniste, en serrant les mains sur la poitrine. «Exaucez mon veux le plus cher — devenez mon professeur!», lisons-nous dans l'intertitre. Paul accepte et tend à Kurt sa grande main. Leur amitié, la magnifique union de l'élève loyal et du professeur, semble indestructible, mais vers la fin du film nous apprenons que ce n'est pas le cas, à cause de la haine de soi et la violence que peut provoquer, même dans la Berlin de Weimar, l'amour entre deux hommes.

Le film Différent des autres, créé par le sexologue et chercheur sur l'homosexualité Magnus Hirschfeld et le réalisateur autrichien Richard Oswald, raconte l'histoire d'un homme qui «ne souffre pas de ses particularités, mais plutôt de l'attitude incorrecte de la société envers elles», explique un intertitre. En 1933, quand l'Institut des sciences sexuelles de Hirschfeld à Berlin a été détruit par les nazis, toutes les copies du film ont été détruites. Mais le docteur a inclus près de 40 minutes de la pellicule tournée dans le long métrage scientifique intitulé Les lois de l'amour, qui a été diffusé à la fin des années 1920 et au début des années 1930 en URSS, après quoi il a été conservé pendant des décennies dans les archives de la ville de Krasnogorsk.

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Le travail pour la récupération de l'original a commencé dans les années 1980, mais c'est seulement en hiver 2017, six ans après l'achat de la copie 35 mm des Lois de l'amour, que l'organisation UCLA Film & Television Archive a enfin restauré la version authentique du film Différent des autres. Le sujet a été recréé selon les notes détaillées de la censure nazie, et les scènes perdues ont été remplacées par des photos. «Avec des années d'avance sur Alfred Kinsey, Hirschfeld affirmait que l'homosexualité avait toujours existé. Ce n'est pas une anomalie, car cela ne représente aucune déviance», explique Jan-Christopher Horak, directeur de la UCLA Film & Television Archive.

Le film aborde aussi la question de la société libérale où malgré tout, quelque part dans ses profondeurs, peut naître et grandir la haine. La société de l'Allemagne de Weimar paraissait très tolérante en apparence. Ceux qui étaient suffisamment prudents ne tombaient pas sous le coup du paragraphe 175 de la loi tristement célèbre interdisant une «liaison contre nature entre les hommes, ainsi qu'entre les hommes et les animaux». Le film Différent des autres est apparu avant tout grâce à l'assouplissement de la censure et en même temps que d'autres films abordant le thème de l'homosexualité. Notamment La boîte de Pandore (1929) où une comtesse incarnait l'une des premières images d'une femme homosexuelle à l'écran, et Les filles en uniforme (1931), dont l'action se déroule dans un internat pour filles imprégné de violence et de tension érotique.

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La vie nocturne de la Berlin de Weimar était connue pour son esprit décadent: les hommes portant des tenues de femme se rejoignaient au club Siluet, les femmes avec des vêtements d'hommes préféraient le bar Mikado, alors qu'au cabaret Eldorado se réunissaient les transgenres. Anita Loos, auteure du roman Les hommes préfèrent les blondes, qui a visité la ville dans les années 1920, a noté que «le soir toute dame à Berlin pouvait être un homme, et la plus belle fille de la rue était Conrad Veidt» — l'acteur principal du film muet qui a joué le rôle de Paul Körner dans Différent des autres.

Mais cette «demi-vie», la compréhension de ce dont on est privé, suscite un sentiment incomparable de honte et de souffrance. Dans Différent des autres, nous observons comment Paul perd la foi en la force de l'amitié. Il se souvient de ses années d'adolescence à l'internat: en lisant un texte dans un livre scolaire avec son voisin de chambre, Max, il passe sa main sur son épaule. A ce moment, un enseignant entre dans la chambre et entre dans une colère folle: désormais, Max doit faire ses devoirs seul — à première vue, une punition normale pour des «déviances malsaines».

«A l'université, Körner menait une vie isolée, se consacrant uniquement à ses études», indique l'intertitre. Nous le voyons assis en train de lire, avant que cinq camarades le prennent par surprise, lui attrapent les bras et le frappent aux épaules — une menace de violence qui l'attend à terme à chaque nouvelle amitié. «Les filles se moquent de toi parce que tu ne vas pas les voir», disent-ils en invitant Körner dans une maison close où deux femmes en peignoir de dentelle tentent de l'embrasser. «Si ce gars est normal, alors je suis vierge», se moque la patronne des lieux. De telles remarques poussent Paul à chercher l'aide d'un hypnotiseur — le thérapeute de l'époque.

Mais en fin de compte, l'État n'est pas directement responsable de la mort de Körner: tout comme la haine présente dans les profondeurs de la Berlin de Weimar, au sein de ce demi-monde se trouvaient des extorqueurs qui étaient souvent à l'origine des accusations de sodomie. Le principal méchant du film Différent des autres est le suffisant Franz Bollek, joué par le célèbre acteur Reinhold Schünzel. Il rencontre par hasard Kurt et Paul dans un parc municipal. «C'est un gars mignon», dit Bollek en regardant Kurt, pendant que Paul tente de se souvenir: il y a quelques années, Bollek avait fait chanter Paul après l'avoir rencontré dans un bal masqué (la scène de cette soirée où des individus androgynes font le «train» était considérée comme l'une des plus controversées du film).

Et voici que Bollek a l'intention de reproduire son crime. Un jour où Kurt et Paul se sont produits ensemble à un concert, ils découvrent à leur retour que Bollek s'est introduit dans la chambre de Paul. «Ne t'emballe pas, dit Bollek à Kurt quand ce dernier tente d'ébruiter l'affaire. Il te paiera aussi!» Kurt n'est pas un prostitué, mais une seule allusion et l'évidence d'un lien entre Paul et Bollek suffisent pour le répugner, il s'enfuit: «A présent j'ai l'intention d'avancer seul», écrit Kurt à sa sœur. Pendant ce temps, Paul refuse de donner de l'argent au maître chanteur, Bollek le dénonce à la police et il est condamné à une semaine de prison. Mais même sans la peine du tribunal la société le condamne, sa carrière est détruite, nous le voyons avaler du cyanure et s'effondrer dans son fauteuil. Ses pupilles se réduisent et se dilatent, son visage se tend et se détend, la tête s'incline et il meurt.

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Les bonnes relations se détruisent à cause des lois injustes, notamment si elles ne sont pas respectées assez sévèrement pour ne laisser aucune possibilité à la proximité entre les hommes. La fin du film mentionne l'épisode perdu où, au-dessus du corps des lois allemandes, apparaît une immense main rayant tout le texte du paragraphe 175. Il est très symbolique que cet épisode ait été perdu, car la loi a existé pendant encore plusieurs dizaines d'années. Dans le cadre de cette loi, les nazis ont envoyé près de 46.000 hommes en prison et près de 10.000 dans des camps de concentration. Après la libération, la plupart des personnes concernées ont été à nouveau emprisonnées aussi bien en Allemagne de l'Est que de l'Ouest, où le paragraphe 175 est resté en vigueur jusqu'en 1970. C'est seulement en 1994 que la loi a été officiellement annulée, et en 2016 qu'ont été versées les dernières indemnisations aux quelques milliers de victimes encore en vie.

Les échos du paragraphe 175 retentissent encore dans notre vie. Les lois comme celle-ci sont encore en vigueur dans des dizaines de pays. Aux États-Unis, les lois contre l'homosexualité ont été reconnues anticonstitutionnelles en 2003, mais elles existent encore dans les codes de plus de dix États américains où dominent les opinions républicaines, et la lutte des activistes pour leur annulation officielle est dans l'impasse. «Love trumps hate» (l'amour l'emporte sur la haine), peut-on lire sur les affiches anti-Trump. Pendant la première de Différent des autres à Berlin, Magnus Hirschfeld déclarait: «Proche est l'époque où la science l'emportera sur les préjugés, la loi vaincra l'anarchie et l'amour humain remportera la victoire sur l'ignorance et la violence humaine.» Mais ce jour n'est pas encore venu.

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.

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