À l'issue d'un nouvel acte des Gilets jaunes, Bibi Naceri, acteur et scénariste français, a expliqué pourquoi il s'agit d'«un mouvement exceptionnel», a mentionné la sincérité des manifestants et a dévoilé la raison pour laquelle les Gilets jaunes ne doivent pas se politiser. Il a également commenté les accusations d'Emmanuel Macron envers Sputnik, placé dans le top trois des médias étrangers les plus populaires en France.
Bibi Naceri: « Je pense que c'est dû à une chose qui n'est pas arrivée depuis très longtemps en France, c'est que les Gilets jaunes ne sont pas des politiques, ne sont pas encadrés par des syndicats, ce sont des gens de la société française: il y a des classes moyennes, des classes plus pauvres, il y a aussi des hommes de lettre, il y a des intellectuels et tous ces gens-là viennent sincèrement dans cette aventure et n'ont pas un intérêt politique ou un intérêt quelconque autre que de changer la société française et donc ça ne s'épuisera jamais.
Ça va aller en augmentant quand il fera plus beau. Ça ira en augmentant par la solidarité, parce que tous les Français ne sont pas d'accord sur les questions politiques, ne sont pas d'accord sur plein de choses mais sont d‘accord sur une seule chose, c'est que les choses vont de plus en plus mal et que les choses doivent changer.
Le problème, c'est que maintenant, on s'aperçoit qu'ils (Gilets jaunes, ndlr) se politisent. Il y a ceux qui veulent se présenter aux européennes…
Après, on nous explique que les Gilets jaunes veulent rentrer dans l'Europe [le Parlement européen, ndlr] parce qu'il faut rentrer dans un système pour pour mieux lutter contre. Marine Le Pen avait dit qu'elle était dans l'Europe pour mieux la détruire et la gauche, Mélenchon, avait dit qu'il voulait rentrer dans l'Europe aussi pour mieux la détruire.
Je pense que si les Gilets jaunes commencent à entrer en politique, il va y avoir déjà des séparations, ce qu'on appelle des scissions entre eux. L'Europe (les élections européennes, ndlr), pour moi…c'est justement entrer en politique. S'ils n'entrent pas en politique, ça pourrait aller plus loin».
Bibi Naceri: «Je pense que le mouvement des Gilets jaunes est assez exceptionnel parce que parmi ses participants il y a des gens qui n'ont pas les mêmes tendances politiques, les mêmes idées politiques, et il y a même des gens qui se seraient opposés les uns aux autres…
Au milieu de tout ça, il y a des gens, comme moi, qui sont apolitiques, mais qui trouvent que depuis longtemps les choses évoluent dans un mauvais sens en France et qui voudraient qu'on réfléchisse, non pas changer, non pas tout bouleverser, mais qu'on réfléchisse à ce qui ne va pas en France et ailleurs dans le monde et en Europe».
Sputnik: En tant que cinéaste, pensez-vous sincères les déclarations de soutien aux Gilets jaunes de la part de certaines célébrités françaises?
Bibi Naceri: «Le problème du soutien aux Gilets jaunes par les célébrités françaises, c'est qu'en France, on a un gros problème avec la chose suivante: si on n'est pas d'accord avec la majeure partie des gens, si on n'est pas d'accord avec les médias officiels, si on n'est pas dans une pensée unique, on est taxé de facho… on nous trouve toujours des noms, alors qu'on pourrait avoir des opinions, et même se tromper, sans être taxé de quelque chose qui handicape et qui te musèle, qui t'interdit de parler.
Au début du mouvement des Gilets jaunes, il y a beaucoup d'acteurs français, d'intellectuels français qui ont soutenu. Maintenant c'est presque considéré comme un courage de les soutenir parce que soutenir les Gilets jaunes c'est soutenir beaucoup de choses.
Ce n'est pas soutenir simplement les modérés, ceux du milieu, c'est soutenir ceux d'extrême droite ou ceux d'extrême gauche. Si je dis que je veux sortir de l'Europe, je suis donc un lepeniste ou un mélenchoniste, alors que je ne suis ni l'un, ni l'autre, je veux juste sortir de l'Europe parce que je pense peut-être à tort, peut-être par ignorance, que l'Europe n'est pas une bonne chose pour la France et il faut me convaincre que je me trompe plutôt que de me museler en m'accusant d'être un salaud ou un criminel».
Sputnik: Emmanuel Macron recourt souvent à des accusations envers Sputnik, y compris en ce qui concerne la crise des Gilets jaunes. Que pensez-vous de ces déclarations de M.le Président?
Bibi Naceri: «Les hommes politiques qui vivent sur une autre planète, qui ne sont pas dans le même monde que les autres, pensent que les Gilets jaunes ou les Français en général ne sont pas assez intelligents pour réfléchir et disent que les Gilets jaunes continuent de revendiquer, de manifester, de réclamer une vie meilleure parce que M.Poutine ou Sputnik ont dit que c'était bien. Ce serait prendre les Français pour des idiots, pour des enfants. C'est une des revendications des Gilets jaunes: arrêtez de nous prendre pour des imbéciles.
Je dis ça pour rire mais en accusant Sputnik, on pourrait même dire qu'il y aurait un complot entre les patrons de Sputnik et M.Macron pour faire monter l'audience de Sputnik en France. Un homme politique dit de ne pas lire un tel journal ou de ne pas regarder un tel spectacle, aussitôt les Français y vont parce que si c'est un homme politique qui dit de ne pas le faire, c'est qu'il y a un problème».
Sputnik: La France d'aujourd'hui est-elle la même que celle vous avez connue il y a 20 ou 30 ans? Si vous la trouvez changée, est-ce en mieux ou en pire, d'après vous?
Bibi Naceri: «Depuis 30 ans, il y a beaucoup de choses qui ont changé. […] La mondialisation ou l'européisation fait que la France s'appauvrit de plus en plus. La chance qu'on a c'est que nous, les Français, on a accepté de payer les impôts, on a pu soutenir notre pays face à la crise.
Je ne suis pas un spécialiste de l'économie ou de la politique, c'est le point de vue d'un citoyen français qui regarde ce qui se passe dans son pays, qui souffre de voir les retraités vivre avec une retraite qui leur permet à peine de payer leur loyer, qu'il y a de plus en plus de gens dans la rue en France qui tendent la main, qu'il y a de plus en plus de jeunes qui n'ont pas de travail et qui sont dans la rue, que beaucoup de jeunes quittent la France pour aller ailleurs et que même notre Président encourage les jeunes à aller travailler ailleurs, c'est inadmissible. Et moi, si j'étais un jeune, je partirais. Parce qu'ailleurs tout est possible. Il faudrait qu'en France tout redevienne possible. Parce que nous sommes un pays intelligent, nous sommes un pays riche. Nous sommes la première industrie du cinéma en Europe».