Le communiqué du Ministère marocain des Affaires étrangères, au sujet de la situation au Venezuela, était truffé de pièges.
Certes, la mention d'un certain «soutien» marocain figurait en bonne place. L'échange téléphonique avec Juan Guaido passait même pour fructueux, à en croire le ton employé. En somme, rien ne semblait distinguer cet entretien avec le président par intérim autoproclamé du Venezuela de ceux qu'aurait pu avoir le chef de la diplomatie marocaine, Nasser Bourita, avec n'importe quel «autre» dirigeant étranger. Dans les heures qui suivirent, des médias marocains et étrangers ont relaté, célébré ou maudit, «un soutien marocain à Guaido».
Seul hic, le soutien en question demeure pour l'heure… inexistant.
Le Royaume avait suspendu ses relations diplomatiques avec le Venezuela pour son soutien politique soutenu aux Sahraouis. C'est en 1982, sous la présidence de Luis Herrera Campins, que Caracas a reconnu la RASD, à la même époque que d'autres pays d'Amérique latine.
«Le Venezuela de Maduro avait exprimé un fort soutien au Polisario, notamment pendant la période où il siégeait au Conseil de sécurité en tant que membre non permanent (2015-2016). Le Maroc a agi dans le cadre de la réciprocité en évoquant et en se montrant critique, par exemple, des affaires internes vénézuéliennes. Ce qui a contribué à compliquer davantage les relations entre les deux pays», se rappelle Achraf Tribak, directeur du centre de recherche Hespress pour les études et les médias à Rabat, dans une déclaration à Sputnik.
Omar Hilale, représentant permanent du Maroc aux Nations unies à New York, répond à son homologue du Venezuela, en avril 2017.
Le Maroc avait donc théoriquement tout intérêt à gagner le soutien d'une nouvelle équipe à Caracas sur le dossier du Sahara, ou du moins à la neutraliser. S'il ne franchit pas le cap du franc soutien, c'est parce que le vent n'a pas encore suffisamment et définitivement tourné contre Maduro. Pour Achraf Tribak, l'enjeu est certes considérable avec le retrait de la reconnaissance de la RASD. Tout de même, le Maroc attendra la réalisation de deux conditions avant d'afficher un soutien clair.
Il faudra tout d'abord «un contexte international, et notamment la position de ses principaux alliés, les États-Unis, l'Union européenne et les pays du Golfe, avant de s'engager dans la voie du franc soutien ou de la reconnaissance», pointe Achraf Tribak.
Si la plupart de ces parties sont hostiles à Maduro, elles ne lui ont pas (encore) retiré toute légitimité pour autant.
La rupture des relations avec l'Iran, en mai dernier, avait-elle pour autant suivi cette logique de l'alignement international à tout prix? Achraf Tribak veut distinguer les situations où le soutien apporté au Front Polisario est «direct» (entendre sécuritaire) de celles où le soutien est politique, historiquement, comme en Amérique latine. Or, dans le cas de l'Iran, Rabat avait rompu les relations en prétextant un présumé soutien militaire apporté au Polisario via le Hezbollah, allié de l'Iran. Une thèse controversée qui n'aurait eu pour objectif, selon les adversaires du Maroc et des observateurs indépendants, qu'à empêcher l'administration Trump, et son conseiller John Bolton, de virer de bord.
«La politique marocaine en Amérique centrale et du Sud, est marquée, ces dernières années, par une certaine ouverture. On a moins tendance à conditionner l'établissement de rapports diplomatiques ou économiques à une compatibilité de positions sur le dossier sahraoui. Surtout si le soutien apporté au Polisario par un pays donné est traditionnel et ne s'exprime que politiquement.
Une flexibilité d'autant plus nécessaire que le Royaume voit son intérêt, justement, dans la pénétration de nouveaux marchés. Le récent rétablissement des relations entre le Maroc et Cuba suffit pour le démontrer. La même tendance est observée pour les relations africaines du Maroc», compare l'analyste marocain.
«Le Maroc voudrait surtout éviter de se trouver en position non cohérente par rapport à son propre discours sur le Sahara. Soutenir unilatéralement une partie qui ne bénéficie pas encore d'un soutien international, c'est commettre une erreur juridique au regard du droit international et une erreur politique des plus flagrantes, puisque le Maroc insiste justement dans son discours sur l'absence de reconnaissance internationale de la RASD», poursuit Achraf Tribak.
L'atermoiement de Rabat aurait-il pour objectif de neutraliser la Russie, hostile au président autoproclamé et qui pourrait peser, bien plus qu'un Venezuela de Guaido, sur le dossier sahraoui? Vendredi, Sergueï Lavrov le ministre russe des Affaires étrangères, s'est exprimé depuis Rabat sur la crise vénézuélienne en dénonçant une politique américaine «destructrice». Le chef de la diplomatie russe effectuait une tournée maghrébine et étudiait avec le Maroc les voies d'approfondir un partenaire stratégique conclu en 2016. Achraf Tribak ne croit pas, toutefois, que les précautions de la diplomatie marocaine sur le dossier du Venezuela soient liées à la Russie.
«Je ne pense pas que dans sa prudence, le Maroc veuille ménager la Russie sur la question vénézuélienne. Comme pour la Chine, la Russie est pour lui surtout un partenaire économique. Les Marocains ne parient pas sur un changement dans la position russe ou chinoise en leur faveur. Il est vrai que les dernières déclarations de Lavrov au sujet du Sahara ont été bien accueillies par la diplomatie marocaine. On a donc une position russe qui prône une certaine neutralité. De l'autre côté, une coopération très intéressante sur le plan économique. C'est déjà ça de gagné pour les Marocains.»