Du passé, faisons table rase: le patrimoine historique malmené au Québec

Le patrimoine historique souffre au Québec. La démolition de monuments patrimoniaux semble être devenue la norme, ce qui soulève l'indignation dans la Belle Province. Mais pourquoi permet-on une telle entreprise de démolition? Sputnik fait le point avec l'historien Gilles Laporte et le rédacteur en chef adjoint du Magazine Le Verbe, James Langlois.
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«Lorsque vient le temps de sauver un monument patrimonial, les citoyens ne savent pas vers qui se tourner», constate l'historien québécois Gilles Laporte au micro de Sputnik.

Est-ce la seule raison de l'hécatombe discrète, mais bien réelle, que subit le patrimoine bâti au Québec? Depuis quelques années en effet, les cas de démolition de monuments historiques se multiplient au Québec. Si des monuments sont seulement partiellement détruits pour en annexer une partie à de nouveaux édifices, d'autres le sont complètement, ce qui soulève l'indignation de certains Québécois. Des promoteurs et architectes réussissent parfois à récupérer les façades d'anciens bâtiments, mais ce n'est pas toujours possible ni même souhaité.

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Récemment, deux autres histoires ont retenu l'attention des Québécois. En novembre dernier, la Ville de Québec a annoncé qu'elle n'empêcherait pas la destruction de l'Église Saint-Sacrement, un énorme et superbe lieu de culte qui fait partie du paysage historique depuis presque 100 ans. «Je veux être très clair: ce n'est pas un dossier municipal», avait déclaré le maire de Québec, Régis Labeaume, pour justifier sa décision. Mais à qui appartient vraiment le dossier?

Une hécatombe sur le plan patrimonial

Toujours en novembre dernier, la destruction par la Ville de Chambly de la résidence d'un personnage historique a également suscité la colère de nombreux citoyens. Construite en 1819, la maison en question appartenait au patriote René Boileau, qui a pris part au soulèvement républicain de 1837-1838 contre la Couronne britannique. La résidence n'était pas classée au patrimoine culturel du Québec, mais revêtait une importance particulière. Encore une fois, les coûts élevés d'entretien et de rénovation ont été invoqués par la Ville pour justifier la démolition du bâtiment.

Le jour de la démolition, des citoyens se sont rendus sur le site pour dénoncer la décision de la Ville de Chambly, qui estime que la rénovation aurait coûté 2 millions de dollars canadiens (1,3 million d'euros). Refusant de quitter les lieux, un ex-candidat du Parti québécois a été arrêté par les policiers avant que les bulldozers ne fassent leur travail.

«Cette décision a été principalement prise pour des raisons de vétusté du bâtiment et de sécurité, car [la maison, ndlr] était devenue dangereuse pour les citoyens. Les rapports des professionnels, les analyses des experts et les coûts engendrés pour sa réhabilitation ont également motivé cette difficile décision», pouvait-on lire dans le communiqué de la Ville de Chambly.

Plusieurs hypothèses ont été soulevées pour expliquer cet apparent désintérêt des différents échelons de gouvernement face à la préservation du patrimoine. L'hypothèse la plus souvent soulevée est que les Québécois ne s'intéressent pas suffisamment à leur histoire. Le Québec, dans son ensemble, entretiendrait un mauvais rapport à son propre passé, ce qui rendrait ses élites insensibles à la sauvegarde des monuments. La conquête de la Nouvelle-France par l'Empire britannique expliquerait en partie cette attitude, représentant une grande défaite dans l'imaginaire québécois.

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Gilles Laporte pense toutefois qu'il s'agit d'une vision quelque peu stéréotypée du rapport à la mémoire au Québec. Interrogé par Sputnik, il a plutôt pointé des problèmes de gestion et de répartition des pouvoirs pour expliquer la multiplication des cas de démolition. Les villes seraient ensuite forcées de composer seules avec la situation, sans avoir les compétences et les ressources nécessaires.

«Sur ce point, c'est le désert total», affirme l'historien.

M. Laporte croit que la préservation du patrimoine serait grandement facilitée si le gouvernement du Québec disposait de plus de pouvoirs en la matière, ou si l'État québécois était tout simplement souverain.

Le pavillon Pierre-Lassonde du Musée national des beaux-arts du Québec

Le nouveau pavillon du Musée national des beaux-arts du Québec, à Québec, a été construit sur le site d'un ancien couvent dominicain qui a été démoli.

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M. Laporte ne croit donc pas nécessairement que les Québécois soient moins intéressés que d'autres peuples par la conservation des pans visibles de leur histoire.

«Il m'apparaît clair que le Québec souffre d'un déficit patrimonial, qui n'est toutefois pas vraiment ancré dans notre culture et notre histoire. Il y a eu historiquement une préoccupation pour la mémoire au Québec. Ce n'est pas en soi un phénomène culturel ancré. Ce qui se passe, c'est qu'étant donné l'absence d'un État national qui puisse assumer l'ensemble du dossier, on n'est pas vraiment en mesure de prendre le contrôle», a souligné Gilles Laporte.

L'historien estime que l'empiétement du gouvernement fédéral nuit à la préservation du patrimoine québécois. Le fédéral privilégierait une vision anglo-canadienne, qui favoriserait certains monuments au détriment d'autres. «Le gouvernement canadien est omniprésent dans les domaines de la culture, alors que le Québec n'a qu'un seul outil pour légiférer là-dedans: le Ministère des Affaires culturelles, dont le budget est absolument ridicule et qui ne gère finalement que le Musée d'Arts contemporains», a mentionné l'historien.

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Sputnik est aussi allé à la rencontre de James Langlois, rédacteur en chef adjoint du Magazine catholique Le Verbe, très en vogue chez les gens soucieux du patrimoine. M. Langlois s'est dit conscient de certaines problématiques administratives, mais déplore une tendance lourde des Québécois à l'abandon de leur héritage, en particulier religieux. Selon lui, le malaise est profond et s'enracine dans une vision négative du passé.

«On a quelque chose de schizophrénique dans notre rapport au passé au Québec. D'un côté, les Québécois ne sont pas totalement réconciliés avec leur passé et de l'autre, on en fait une lecture trop négative. Il y a une partie de notre identité collective qui est reniée et occultée», a affirmé James Langlois en entrevue.

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James Langlois déplore aussi une forme de double discours dans la population, ou de sentiment ambivalent par rapport à ce sujet. D'un côté, les gens s'indigneraient de la démolition des églises et d'autres monuments, mais ne feraient rien de concret pour les protéger. «Sur le coup, les gens se sentent interpellés par la démolition de tel monument, c'est une réaction très affective, mais ce n'est pas agencé avec un discours cohérent et réfléchi sur l'histoire», a précisé M. Langlois. Comme quoi le problème demeure entier.

 

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