«Lorsque vient le temps de sauver un monument patrimonial, les citoyens ne savent pas vers qui se tourner», constate l'historien québécois Gilles Laporte au micro de Sputnik.
Est-ce la seule raison de l'hécatombe discrète, mais bien réelle, que subit le patrimoine bâti au Québec? Depuis quelques années en effet, les cas de démolition de monuments historiques se multiplient au Québec. Si des monuments sont seulement partiellement détruits pour en annexer une partie à de nouveaux édifices, d'autres le sont complètement, ce qui soulève l'indignation de certains Québécois. Des promoteurs et architectes réussissent parfois à récupérer les façades d'anciens bâtiments, mais ce n'est pas toujours possible ni même souhaité.
Une hécatombe sur le plan patrimonial
Toujours en novembre dernier, la destruction par la Ville de Chambly de la résidence d'un personnage historique a également suscité la colère de nombreux citoyens. Construite en 1819, la maison en question appartenait au patriote René Boileau, qui a pris part au soulèvement républicain de 1837-1838 contre la Couronne britannique. La résidence n'était pas classée au patrimoine culturel du Québec, mais revêtait une importance particulière. Encore une fois, les coûts élevés d'entretien et de rénovation ont été invoqués par la Ville pour justifier la démolition du bâtiment.
Le jour de la démolition, des citoyens se sont rendus sur le site pour dénoncer la décision de la Ville de Chambly, qui estime que la rénovation aurait coûté 2 millions de dollars canadiens (1,3 million d'euros). Refusant de quitter les lieux, un ex-candidat du Parti québécois a été arrêté par les policiers avant que les bulldozers ne fassent leur travail.
«Cette décision a été principalement prise pour des raisons de vétusté du bâtiment et de sécurité, car [la maison, ndlr] était devenue dangereuse pour les citoyens. Les rapports des professionnels, les analyses des experts et les coûts engendrés pour sa réhabilitation ont également motivé cette difficile décision», pouvait-on lire dans le communiqué de la Ville de Chambly.
Plusieurs hypothèses ont été soulevées pour expliquer cet apparent désintérêt des différents échelons de gouvernement face à la préservation du patrimoine. L'hypothèse la plus souvent soulevée est que les Québécois ne s'intéressent pas suffisamment à leur histoire. Le Québec, dans son ensemble, entretiendrait un mauvais rapport à son propre passé, ce qui rendrait ses élites insensibles à la sauvegarde des monuments. La conquête de la Nouvelle-France par l'Empire britannique expliquerait en partie cette attitude, représentant une grande défaite dans l'imaginaire québécois.
«Sur ce point, c'est le désert total», affirme l'historien.
M. Laporte croit que la préservation du patrimoine serait grandement facilitée si le gouvernement du Québec disposait de plus de pouvoirs en la matière, ou si l'État québécois était tout simplement souverain.
Le nouveau pavillon du Musée national des beaux-arts du Québec, à Québec, a été construit sur le site d'un ancien couvent dominicain qui a été démoli.
Le gouvernement canadien nuit-il à la protection du patrimoine?
M. Laporte ne croit donc pas nécessairement que les Québécois soient moins intéressés que d'autres peuples par la conservation des pans visibles de leur histoire.
«Il m'apparaît clair que le Québec souffre d'un déficit patrimonial, qui n'est toutefois pas vraiment ancré dans notre culture et notre histoire. Il y a eu historiquement une préoccupation pour la mémoire au Québec. Ce n'est pas en soi un phénomène culturel ancré. Ce qui se passe, c'est qu'étant donné l'absence d'un État national qui puisse assumer l'ensemble du dossier, on n'est pas vraiment en mesure de prendre le contrôle», a souligné Gilles Laporte.
L'historien estime que l'empiétement du gouvernement fédéral nuit à la préservation du patrimoine québécois. Le fédéral privilégierait une vision anglo-canadienne, qui favoriserait certains monuments au détriment d'autres. «Le gouvernement canadien est omniprésent dans les domaines de la culture, alors que le Québec n'a qu'un seul outil pour légiférer là-dedans: le Ministère des Affaires culturelles, dont le budget est absolument ridicule et qui ne gère finalement que le Musée d'Arts contemporains», a mentionné l'historien.
Sputnik est aussi allé à la rencontre de James Langlois, rédacteur en chef adjoint du Magazine catholique Le Verbe, très en vogue chez les gens soucieux du patrimoine. M. Langlois s'est dit conscient de certaines problématiques administratives, mais déplore une tendance lourde des Québécois à l'abandon de leur héritage, en particulier religieux. Selon lui, le malaise est profond et s'enracine dans une vision négative du passé.
«On a quelque chose de schizophrénique dans notre rapport au passé au Québec. D'un côté, les Québécois ne sont pas totalement réconciliés avec leur passé et de l'autre, on en fait une lecture trop négative. Il y a une partie de notre identité collective qui est reniée et occultée», a affirmé James Langlois en entrevue.