C'était une sortie destinée à rabattre le caquet aux spéculateurs sur son état de santé! Le Président gabonais, Ali Bongo Ondimba, a fait sa première apparition publique après son accident vasculaire cérébral (AVC) en octobre dernier, droit dans ses babouches, aux côtés du souverain marocain Mohamed VI,
Les plans sélectionnés montrent le Président gabonais se redressant lentement sur son siège, remuant les doigts de sa main droite, et sirotant de l'autre, à une seule reprise, un verre de lait. À côté de lui, une petite soucoupe vide. Des dattes lui auraient été préalablement servies, conformément à la tradition hospitalière marocaine.
Dépourvue de bande-son, la vidéo de 30 secondes ne permet pas de rendre compte du contenu des propos du Roi Mohamed VI, alors que Bongo, montré uniquement de profil, ne parle pas.
«Manifestement, cette vidéo ne montre pas un Ali Bongo au mieux de sa forme. Il n'est ni debout, ni en train de marcher ni de parler, ni face caméra. Pour peu qu'on ait pu rassurer davantage sur ses facultés, on aurait montré plus. Mais apparemment, il n'y avait pas moyen de montrer plus sans le faire apparaître diminué d'une façon ou d'une autre. C'est donc bien une séquence de communication politique et diplomatique pour dire qu'Ali Bongo occupe toujours le siège de la Présidence, et puis c'est tout», décrypte pour Sputnik Jean-Claude Félix Tchicaya, chercheur du groupe Afrique au sein de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE).
Définitivement tiré d'affaire, le 29 novembre, il atterrit au Maroc pour une fin de convalescence dont la durée n'est pas connue.
La communication laconique des autorités gabonaises sur l'état de santé du Président avait alimenté nombre de rumeurs au Gabon et même dans la région. Certains l'annonçaient pour mort et spéculaient déjà sur l'après-Ali. Ou l'après-Bongo tout court, dans ce pays où l'histoire de la famille Bongo se confond avec celle du Gabon indépendant.
Il faut dire que celui-ci n'avait pas démarré sous les plus heureux des auspices. Les résultats très serrés de la présidentielle de 2016 étaient de nature à faire naître des doutes sérieux, même chez les moins sceptiques. Pour rattraper quelque 60.000 voix, ABO fit voter comme un seul homme sa province natale, la région minière du Haut-Ougoué, dans le Sud-Est du pays. Un plébiscite de 95,46 %, avec un taux de participation défiant tout entendement: 99,93 %. «Pas un seul malade ce jour-là», ironisait amèrement son rival Jean Ping.
«Ali a été conscient que quelque chose a changé depuis lors, que pour passer un septennat un tant soit peu tranquille, il doit se prêter à un certain changement», confie une source diplomatique arabe accréditée dans la région.
Dès l'annonce de sa victoire, ABO magnanime, tend la main à l'opposition et l'invite à un dialogue politique. Un dialogue de «façade», fustigent les Pinguistes, pour faire le vide autour de l'irréductible Sino-Gabonais se disant toujours «Président élu». Des ouvertures sur le plan institutionnel et politique sont promises. Au même moment, des ajustements s'opèrent au sein des proches collaborateurs, comme dans l'équipe gouvernementale, pour garder les cartes en main, mais certains pontes, comme la présidente de la Cour constitutionnelle, Marie Madeleine Mborantsuo «3M», restent inamovibles. Aussi longtemps que demeurera le système Bongo, sans doute. La récente crise vient cependant souligner des limites de cet équilibre.
«Loin d'être une pétaudière, le pouvoir gabonais est bien assis. Mais la brutalité de l'accident fait émerger des velléités de succession, de règlement de comptes ou des guerres d'influences intestines. Ce constat est valable pour les différents cercles du pouvoir, que ce soit au sein de la famille Bongo, du Palais, du Gouvernement, mais aussi du Parti démocratique gabonais (PDG-le parti présidentiel)», croit savoir Félix Tchicaya.
Le lieu où le Président devait finir sa convalescence avait même fait l'objet de vives polémiques entre deux parties du pouvoir, comme l'affirme l'hebdomadaire Jeune Afrique. Finalement, c'est vers le Maroc plutôt que Londres, comme le souhaitait initialement son épouse Sylvie, qu'Ali Bongo fut transféré. Au-delà des relations fortes entre les deux pays, Ali Bongo et Mohamed VI entretiennent des liens solides remontant au temps de leurs prédécesseurs et pères successifs, Omar Bongo et Hassan II.
«Le refus de Londres, opposé par des proches d'Ali, où le Président avait pourtant ses habitudes, obéit à des considérations sécuritaires, mais aussi stratégiques. Dans le cas d'ABO, Rabat est nettement mieux indiqué, pour sa discrétion, et permet de gérer plus sereinement la communication en cette période de convalescence», explique Félix Tchicaya.
C'est celle-ci qui procède, dans la parfaite irrégularité, à l'amendement de l'article 13 de la Constitution pour prévoir un cas d'empêchement temporaire, et permettre au vice-président de présider les conseils de ministres. Le titulaire de ce poste croupion n'est autre que Pierre-Claver Maganga Moussavou. Un opposant qui doit sa nomination, le 21 août 2017 à sa participation au dialogue national, souhaité par Ali et boudé par les ultras. Son fils, Biendi, était même nommé à la tête du ministère de la promotion des PME, dès octobre 2016.
En l'absence du chef, l'objectif poursuivi, à travers ces tripotages, d'après la publication spécialisée La Lettre du Continent, est «d'installer une gouvernance temporaire du pays en contournant le Sénat tout en veillant à préserver les intérêts de la famille Bongo au pouvoir, de père en fils, depuis 1967».
«Ce mois de décembre va être assez crucial. Ce sera celui de la présidence à distance de Bongo et qui mettra à l'épreuve la solidité de son système. Si la période de convalescence se déroule assez rapidement, et qu'il s'avère que le Président est en pleine possession de ses moyens, les choses rentreront dans l'ordre. Le cas échéant, il est probable que les prétentions successorales des uns et des autres vont fragiliser le Gabon et le plonger dans une phase d'incertitude, sur fond d'un climat socio-économique délétère, d'une opposition qui ne lésinera pas sur les coups de boutoir», prévoit Félix Tchicaya.
En revanche, Jean Claude Félix Tchicaya n'exclut pas que l'on procède à de nouvelles retouches institutionnelles, « plus fortes », pour assurer la continuité de l'État… et du système Bongo qui saura garantir sa pérennité.
«Mais en veillant à respecter les manières, cette fois-ci, pour éviter de montrer que le Gabon est géré par une famille qui transmet le pouvoir en héritage. Même Ali Bongo est conscient de cela, que les temps ont changé.»