En début de semaine, le généticien He Jiankui de l'université de Shenzhen s'est rendu à Hong Kong pour le Sommet international sur l'édition génomique où il devait présenter un rapport sur ses travaux. Avant le début de la conférence, le chercheur a déclaré aux organisateurs qu'il avait participé à la première modification d'ADN d'embryons humains de l'histoire.
Les futurs parents étaient au courant de ce travail et avaient donné leur accord pour participer à l'expérience, a affirmé le généticien, qui a refusé de divulguer leur nom pour des raisons éthiques.
«Il ne travaille plus chez nous»
Deux heures après la publication d'AP, le site de l'université de Shenzhen, à laquelle était rattaché le scientifique, a publié un communiqué officiel:
«Le maître de conférences He Jiankui le 2 février 2018 avait déjà quitté ses fonctions temporairement, tout en gardant son salaire jusqu'en janvier 2021. L'université n'avait pas connaissance de ses expériences en dehors de l'établissement et considère ce travail comme une grossière violation des principes éthiques et de la pratique scientifique».
«Les médias ont rapporté la naissance d'enfants génétiquement modifiés immunisés contre le Sida. La Commission surveille ce cas de près et a immédiatement chargé la commission de la santé de la province de Guangdong de mener une enquête minutieuse», stipule le document publié sur le site de l'institution.
Une atteinte à la science
Dans le monde entier, les confrères de He Jiankui ont particulièrement critiqué la déclaration du généticien. «Ce n'est pas parce qu'on peut faire quelque chose qu'on doit le faire. La technologie CRISPR possède un immense potentiel, mais les enfants-CRISPR de Chine sapent la confiance dans la science et la vie humaine», a écrit sur Twitter Maryam Khosravi du Collège universitaire de Londres. Le biophysicien australien Antoine van Oijen a noté que c'était une «triste journée pour la science» parce que le travail de He Jiankui violait le moratoire international sur ce genre d'expériences.
La réaction du monde scientifique était tout à fait attendue, estime Mikhaïl Skoblov, responsable du laboratoire d'analyse fonctionnelle du Centre de recherche médico-génétique.
«Aujourd'hui, la science elle-même met la barre très haut. Si cela était arrivé il y a 50 ou même 20 ans, tout le monde aurait dit «c'est possible? Génial!» et aurait commencé à l'appliquer. Mais depuis nous avons accumulé de nombreuses erreurs, c'est pourquoi cette annonce a suscité la peur et la condamnation. Avant de lancer sur le marché un médicament ou une technologie, les créateurs passent des années ou des décennies pour les vérifications. Ce qui n'a pas été le cas en l'occurrence. Il n'y a pas eu de vérifications sur des sujets modèles. On se demande également combien d'expériences ont été réellement réalisées par He Jiankui avant d'annoncer son succès. Une chose est sûre: plusieurs années doivent s'écouler entre le point où nous nous trouvons aujourd'hui et le moment où l'édition du génome pourra être testée sur des gens», a précisé le scientifique.
L'histoire continue
En réponse aux accusations d'«irresponsabilité» et de violation de l'éthique en provenance de la salle, le généticien a noté que les personnes atteintes du VIH avaient «besoin d'aide», qu'il fallait «faire preuve de compassion envers les millions de familles qui luttent contre cette maladie», et que «si nous disposions des technologies pour apporter cette aide plus tôt, nous pourrions sauver plus de gens».
Dans l'heure qui a suivi la prestation de He Jiankui, les diapos de sa présentation ont inondé internet, puis le relevé de son discours a été publié sur les réseaux sociaux.
La Chine, paradis pour les généticiens
Ce n'est pas la première fois que des chercheurs chinois se retrouvent au centre d'un scandale lié à l'usage des technologies d'édition génétique sur des hommes. Ainsi, en janvier dernier, le quotidien The Wall Street Journal, se référant à ses sources, rapportait que la technologie CRISPR/Cas9 était testée en Chine sur des patients atteints de cancer et de VIH «au moins depuis 2015».
Selon les informations du WSJ, de telles expériences sont possibles en Chine parce qu'il est relativement facile d'obtenir une autorisation pour des expériences liées à l'édition génomique dans ce pays. Des chercheurs de l'hôpital oncologique de Hangzhou utilisant la méthode d'édition du génome sur l'ADN humain ont obtenu ce document en moins d'une journée. A titre de comparaison, les scientifiques américains de l'université de la Santé et des Sciences de l'Oregon ont attendu deux ans pour recevoir une telle autorisation afin de modifier l'ADN des embryons. En 2017, ils ont été les premiers à modifier le génome d'embryons humains, sans les placer ensuite dans l'utérus pour le développement de la grossesse.
«Le cas de He Jiankui est très complexe. Mais il pourrait marquer le point de départ de recherches plus poussées pour une méthode sûre d'édition, et entraîner des modifications de la législation soulignant que l'usage de cette technologie ne pourrait être autorisée que pour certaines fins. Car He lui-même a condamné dans son message vidéo l'utilisation de la technologie d'édition du génome à des fins autres que médicales. Mais il faut d'abord attendre les résultats de l'enquête. On voudrait avoir des preuves que ces enfants sont venus au monde et qu'ils sont en bonne santé», a conclu Mikhaïl Skoblov.