«Neutraliser l’arme idéologique»: comment la Syrie combat la rhétorique terroriste

Outre le combat antiterroriste mené par l’armée syrienne, des initiatives visant à lutter contre la propagation de la pensée extrémiste, capable d’engendrer à l’avenir de nouvelles effusions de sang et même de déborder au-delà des frontières, ont vu le jour en Syrie. Zoom sur l’action et les priorités d’une ONG engagée dans cette voie.
Sputnik

La Syrie, pays dont des régions entières étaient tombées au cours de ces dernières années entre les mains de terroristes réunis sous différentes appellations et bannières, est confrontée à un problème beaucoup plus important que la nécessité de reprendre le contrôle de ses territoires. Il est indispensable de mener un travail de sensibilisation auprès de la population ayant passé des années dans des zones occupées par des extrémistes et sujette à un lavage de cerveaux, estime dans son commentaire à Sputnik Wael Al-Malas, vice-directeur du Centre syrien de lutte contre l’idéologie terroriste.

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Expliquant les objectifs de cet organisme non financé par l’État, mais bénéficiant de soutiens logistiques de la part de ce dernier, l'interlocuteur de l'agence précise que leur intention est d'aider une génération toute entière à grandir.

«Ceux qui étaient âgés d’un an seulement au moment du déclenchement du conflit ont aujourd’hui plus de huit ans. Si ces enfants continuent à être élevés et formés de la même manière qu’ils l’étaient dans les régions contrôlées par des groupes armés, ils finiront par devenir des terroristes», a-t-il expliqué, ajoutant que les personnes issues de ces milieux étaient hostiles à toute société ne vivant pas selon les règles imposées par Daech*, le Front al-Nosra* ou autres.

Wael Al-Malas

Comme il le précise, à l’avenir, ces enfants devenus grands risquent de provoquer des problèmes encore plus graves et d'engendrer un terrorisme d'une envergure encore plus grande qu'aujourd'hui qui ne saurait être contenu à l’intérieur de la Syrie, mais qui pourra «déborder ailleurs, s’enraciner dans des pays plus ouverts à l’idéologie terroriste et se répandre depuis là-bas dans le monde, se diriger vers l’Europe».

Réintégration des femmes et des enfants

Interrogé sur les mesures mises actuellement en place par son Centre, M.Al-Malas précise que la vraie action de l’institution ne débutera qu’après la fin de la confrontation armée, lorsque la fabrique de la pensée extrémiste cessera son fonctionnement. Alors, lui et ses collègues lanceront des programmes en collaboration avec des institutions éducatives du pays. Pour le moment, leur mission s’articule autour de deux axes. La réintégration au sein d’une «société saine», comme il la définit, des enfants, d'une part, et des femmes, de l'autre.

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Il s’agit des enfants orphelins ou nés en dehors du mariage au cours des années du conflit. «Ces mineurs ont un problème psychologique depuis leur naissance, car ils ne connaissent pas leur père et vivent dans un très mauvais milieu. Nous organisons pour eux des séances de sensibilisation, mais aussi des activités visant à les intégrer au sein de la société. L’objectif est de trouver les moyens de leur permettre de mener une vie normale côte à côte avec les enfants de leur âge et dans un milieu d'une famille saine», explique-t-il.

Répondant à la question de savoir si ces enfants sont placés dans des familles d’accueil, il répond par la négative, précisant que le travail est mené dans des camps de réfugiés provisoires du pays. «Dans ces centres, une aide humanitaire, alimentaire, psychologique et médicale leur est fournie», dit-il.

La question des femmes constitue une question à part: d’un côté, le nombre de femmes veuves, divorcées ou dont le mari est porté disparu a tout naturellement augmenté pendant la guerre. Or, aujourd’hui elles deviennent victimes de pressions de la part des hommes qui, sachant que personne ne peut prendre leur défense, essaient de les exploiter sexuellement ou financièrement, explique M.Al-Malas.

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Une autre catégorie concerne les femmes ayant subi des violences sexuelles. Leur problème réside dans le fait que la société orientale traite ces victimes en coupables, explique-t-il. «Agressées par un homme contre leur volonté, ces femmes se voient rejetées par la société et par leurs familles. Elles se retrouvent au-delà du cercle social».

Pour éviter que ces femmes, qui semblent n’avoir déjà plus rien à perdre, ne se dirigent vers les extrémistes, le centre travaille sur leur socialisation et sensibilise la société au sujet de leur problème. À ce jour, le centre soutient «des centaines de femmes et de mineurs» dans différentes régions.

Neutraliser l’«arme idéologique»

Selon Wael Al-Malas, les terroristes islamistes sèment dans l’esprit des gens l’idée du Califat islamique et de sa réinstauration sur les cendres des civilisations qu'ils auront réduites en cendres. Or, leurs adeptes s’engagent dans le chemin menant vers leur «rêve», même s’il est pavé de sang.

«Notre objectif est de persuader ces gens d’y renoncer, de leur expliquer que ce n’est pas la mission de l’homme que de juger qui est fidèle et qui ne l’est pas, qui a raison et qui ne l’a pas. S’ils veulent préserver leurs convictions, ils peuvent les appliquer pour eux-mêmes sans obliger les autres à suivre leur exemple. Ils doivent réaliser que la foi vient de l’intérieur et ne peut pas être imposée», dit-il, ajoutant que l’arme idéologique peut être neutralisée, mais que ce processus demande beaucoup de temps.

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Interrogé sur l’origine des terroristes luttant en Syrie, il confirme qu’une partie d’entre eux sont locaux, alors que d’autres sont venus de l’étranger.

«Il y a ceux qui ont été payés pour venir, d’autres sont tout simplement porteurs de l’idéologie wahhabite. La plupart sont des Saoudiens, des ressortissants des pays du Golfe. Il y a aussi des Européens adeptes d’une idéologie radicale», assure-t-il.

Or, insiste-t-il, c’est ce dernier point qui est alarmant: des cellules dormantes se trouvent même en Europe.

«Aujourd’hui la guerre n’est pas qu’en Syrie, la guerre est partout. L’objectif est connu: éradiquer les chrétiens et fonder de nouveaux systèmes religieux et politiques», résume-t-il. 

*Organisation terroriste interdite en Russie

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