Il a découvert la Syrie avant la guerre et l'a retrouvée, en partie détruite, à Noël 2014 en tant que volontaire de SOS Chrétiens d'Orient, organisation caritative française. En 2015, Alexandre Goodarzy a ouvert une mission en Syrie et peut donc répondre d'une manière exhaustive à la question de savoir quel est l'état des choses actuel pour les chrétiens de Syrie?
«Aujourd'hui, les Chrétiens sont plus affaiblis que jamais. Leur nombre a été divisé de moitié», constate-t-il dans un entretien accordé à Sputnik.
Si avant la guerre, «à peu près deux millions» de chrétiens vivaient en Syrie, M.Goodarzy pense qu'environ un million d'entre eux ont quitté le pays depuis 2011. Selon certaines estimations pour l'année 2016, ils seraient 825.000 à être partis.
La population de quartiers jadis identifiés comme chrétiens a changé, se souvient M.Goodarzy, des musulmans venant s'y installer.
D'autres villes chrétiennes, dont la position géographique est souvent stratégique, ont résisté avec courage: Sednaya était un verrou de sécurité pour Damas, Sadad pour l'axe routier Damas-Homs, Mharde et Sqelbiye pour Hama.
L'évolution du sentiment de sécurité
Les chrétiens syriens ne se sentent-ils pas en sécurité en Syrie? Ici, les avis sont partagés: «Beaucoup d'entre eux se sentent en sécurité avec leur gouvernement, seul rempart légitime pour lutter contre l'horreur takfiriste. Ils savent que leur sort ne serait pas différent de celui des chrétiens d'Irak si le gouvernement syrien venait à tomber», précise-t-il.
D'autres représentants des communautés chrétiennes sentent plutôt que sept années et demie de guerre «n'ont rien changé dans le pays et que la Syrie s'annonce plus dure, strict qu'avant la crise, affirme M.Goodarzy.
Enfin, un mouvement de retour des réfugiés est aujourd'hui perceptible: «il y a des gens de Beyrouth qui reviennent, qui reviennent à Tartous pour pouvoir revenir plus tard à Alep».
Les raisons de partir et de rentrer
Quant aux plus âgés, il y a une chance qu'ils reviennent «parce que leur pays leur manquera, ils n'arriveront pas à s'acclimater à la culture occidentale». Encourager le retour des jeunes, qui voient plus de possibilités à l'étranger et trouvent l'avenir «incertain» en Syrie, est, au contraire, une tâche plus difficile.
«C'est surtout le rôle des églises qui ont encore des contacts avec leurs anciens paroissiens qui peuvent le faire et qui en ont la légitimité. En revanche, nous participons aux côtés de Monseigneur Jeanbart, archevêque melkite d'Alep, à l'encouragement des naissances. Nous apportons une aide financière à chaque naissance à Alep pour les jeunes couples récemment mariés», raconte M.Goodarzy.
En cela, il n'y a pas de besoin d'intégrer les chrétiens dans la société syrienne, ajoute-t-il, parce qu'ils forment la base de la société: les chrétiens «sont les premiers Syriens, ce sont les Syriens depuis les origines. La plupart des musulmans qui sont en Syrie, ce sont des chrétiens syriens pour beaucoup qui se sont convertis à l'islam à différents siècles de l'histoire, à différents moments, pour différentes raisons».
Le rôle des pays occidentaux dans l'exode
«Il y a trois ans, près de 300 jeunes de l'Eglise orthodoxe syrienne ont reçu une "green card" d'une série de pays européens». Le mufti est allé à la rencontre de ces jeunes et leur a dit: «si vous partez, vous serez des nombres. En Syrie, vous avez votre famille».
Se rappelant d'ailleurs les propos de 2011 de Nicolas Sarkozy, Président à l'époque, adressés au Patriarche maronite Monseigneur Rai: «Que les Chrétiens de Syrie et du Liban émigrent pour l'Europe, ils n'ont plus leur place au Proche-Orient », M.Goodarzy regrette qu'«il aurait également profité de cette visite pour évoquer les troubles qu'allait connaître tout le Proche-Orient et la prise de certaines capitales par les Frères musulmans».
«Beaucoup de Chrétiens ici pensent que le but est de vider tout le Proche-Orient de la présence chrétienne», qui diminue en Palestine, Liban, Syrie et Irak, poursuit M.Goodarzy. «Les cibler et les pousser à l'exil, c'est faciliter les points de discorde qu'il existe depuis 1.400 ans entre les musulmans sans laisser au milieu d'eux aucun pacificateur!»
Le sort des églises
Au fil de la guerre, des destructions ont été infligées à un grand nombre d'édifices religieux, tant à des églises qu'à des mosquées. Certains édifices chrétiens ont été presque rasés:
«Quand les églises ont été détruites par les djihadistes, ça a été souvent fait après qu'ils aient occupé et souillé les lieux. Contrairement aux mosquées, les destructions ne concernaient pas que le bâtiment en tant que tel. La destruction était totale parce qu'ils volaient les cloches, défiguraient les visages peints sur les icônes ou bien les brûlaient, brisaient les croix, les statues et les autels, profanaient les tombes où les saints étaient ensevelis en les déterrant pour y chercher de l'or. La destruction était vraiment totale parce qu'elle se faisait véritablement au mépris de la foi chrétienne», résume le responsable de la mission, qui a participé à des reconstructions et des restaurations de nombreuses églises à travers tout le pays.