Younous Omarjee, eurodéputé LFI: «Nous ne sommes pas des No Borders»

Peu avant que la France Insoumise ne se retrouve au cœur d’une tourmente médiatico-judiciaire, l’un de ses chefs de file, le député européen Younous Omarjee a reçu Sputnik. Il a détaillé ses positions sur l’Europe et l’immigration, deux sujets au cœur de vifs débats au sein de son parti. Portrait politique d’un Insoumis pas comme les autres.
Sputnik

Premier parti d'opposition autoproclamé, victime, si l'on en croit son président et plusieurs de ses responsables, d'une cabale médiatique après l'affaire des perquisitions du siège du parti et de plusieurs de ses collaborateurs, La France Insoumise (LFI) fait beaucoup parler d'elle.

C'est surtout un parti qui est traversé par plusieurs courants politiques, parfois contradictoires, ce qui a motivé Sputnik à rencontrer Younous Omarjee, l'une de ses étoiles montantes, pour aller plus loin. Un entretien qui s'est tenu avant les fameuses perquisitions.

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Younous Omarjee détonne chez les Insoumis, pas le type énervé, un brin méprisant, qu'on peut retrouver aisément chez certains politiciens. Non, l'élu de la Réunion, d'origine indienne, est tout à fait charmant et nous a répondu avec le sourire. L'entretien s'est déroulé très ironiquement chez les socialistes, à la représentation du Parlement européen à Paris, boulevard Saint-Germain, où il n'y avait pas foule en ce vendredi d'automne. 

Hors de Mélenchon, point de salut pour la gauche? Car le constat est sans appel, la gauche française hors LFI, est éparpillée façon puzzle, les communistes de Ian Brossat, Génération. s de Benoît Hamon, le PS et le NPA de Besancenot ne suscitant guère l'enthousiasme de la population.

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De plus, la bombe qu'a lancée Sara Wagenknecht, de Die Linke, demandant à mettre fin à l'angélisme de la gauche allemande sur les migrants pour privilégier un discours défendant les travailleurs déjà installés dans le pays, risque d'avoir des répercussions sur les divisions au sein de la gauche et au sein même du mouvement de Jean-Luc Mélenchon. Cela fait déjà quelque temps que certaines personnalités du parti affichent un discours plus ou moins souverainiste, à l'image de Djordje Kuzmanovic, l'ancien porte-parole de LFI sur les questions internationales. Une position qui contredit celle d'autres figures du mouvement, Clémentine Autain ou Eric Coquerel, plus proches des Indigénistes.

Illustration de ces oppositions sur la question migratoire, le refus de LFI de signer le manifeste de Politis et Mediapart, préconisant l'accueil des migrants, a suscité de nouveau des remous au sein de ses rangs. L'immigration, c'est le point saillant sur lequel la gauche achoppe depuis des années.

Pour une partie du mouvement, accuser constamment de racisme ceux qui prônent une réduction des flux migratoires ne fait plus recette. De fait, la gauche était absente du second tour en 2017 et 54% des Français sont contre l'accueil des migrants en août 2018, selon un sondage IFOP pour Atlantico. Alors, comment concilier la défense des opprimés avec des considérations plus prosaïques comme la défense du marché du travail et la courbe des salaires? Quand on demande la position de LFI sur la crise migratoire, symbolisée par l'Aquarius, la réponse de Younous Omarjee est plutôt mesurée:

«Notre position est d'accueillir celles et ceux qui sont dans des situations tragiques et qui demandent accueil lorsqu'elles se retrouvent comme ça en Méditerranée et qu'elles cherchent un point d'arrivée […] Il y a un autre principe, nous sommes attachés aux frontières, les frontières définissent les États. Si nous n'avons plus de frontières, vous avez un monde chaotique et anarchique.»

Et le député européen s'empresse de justifier son refus de signer le manifeste de Politis et Mediapart pour l'accueil des migrants, en se distinguant des No Borders:

«Nous ne sommes pas des No Borders […] On ne peut pas adhérer à un discours qui est aujourd'hui en train de grandir dans ces milieux ultra-minoritaires, du No Border, qu'on ouvre tout à toutes les migrations venant de partout, avec cette liberté de circulation totale et absolue, qui est d'ailleurs portée par les libéraux. Donc nous sommes opposés à cela. Il y avait dans ce texte une coloration "No Border".»

Il estime que ces courants de la gauche radicale marchent main dans la main avec le MEDEF, lui aussi favorable à l'ouverture des frontières, pour mettre en concurrence les forces de production et ainsi baisser les salaires:

«Il y a quelques années, Christiane Taubira elle-même expliquait dans un texte brillant comment on utilisait les migrants, venant d'Afrique en particulier, dans des conditions absolument indignes pour des tâches les plus subalternes ici en Europe et où on pressurait par ailleurs les salaires. Donc il y a là un vrai problème. Le grand patronat européen utilise cette main-d'œuvre dans des conditions indignes et on ne peut pas en tant que force de gauche, accepter cela […] à vouloir instrumentaliser cette question pour les élections européennes.»

À l'approche des élections européennes en mai 2019, justement, Younous Omarjee, seul député sortant du mouvement à se représenter, est pressenti pour mener la liste des Insoumis. Emmanuel Macron évoquait récemment l'importance de ce scrutin, soulignant le clivage entre populistes et progressistes. Antagonisme idéologique confirmé peu après par Viktor Orban et Matteo Salvini. Mais alors dans quel camp La France Insoumise se situe-t-elle?

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La question est évidemment pour du beurre, car l'on connaît déjà la réponse, ni Macron ni Le Pen. A fortiori, Jean-Luc Mélenchon a appelé les Français à transformer ces prochaines élections en un référendum anti-Macron, pour montrer leur désapprobation face à ses réformes. Mélenchon, premier opposant?

«C'est un référendum anti-Macron, par définition, c'est un référendum anti-Merkel et anti-Juncker aussi parce que les politiques européennes, par les injonctions de la Commission européenne, s'abattent au niveau national […] Toutes les réformes qui sont faites par Emmanuel Macron depuis le début de son arrivée à l'Élysée sont des demandes qui ont été formulées par Bruxelles, la réforme ferroviaire, les retraites… Le contenu des politiques nationales est orienté, désiré, imposé, par Bruxelles et nous sommes dans la continuité de ce que nous avons refusé en 2005 sur le référendum.»

On l'a bien compris, La France Insoumise conserve ses positions habituelles sur l'économie, fustigeant les mesures de rigueur (ou d'austérité) entreprises par l'Europe libérale. Mais que propose-t-elle à la place? À l'instar de Marine Le Pen durant la campagne présidentielle de 2017, le discours de Jean-Luc Mélenchon sur l'Union européenne laissait (volontairement ou pas) beaucoup de place aux ambiguïtés. Dénonçant les traités et l'ordo-libéralisme de Bruxelles, le leader insoumis suggérait la mise en place de deux plans, le plan A et le plan B. J'ai donc demandé à M. Omarjee de faire preuve de pédagogie et de m'expliquer ce que signifie ce plan A:

«Nous devons créer un rapport de forces au sein du Conseil européen pour proposer un autre chemin et proposer que l'on sorte de ces traités qui ont dénaturé l'Union européenne […] Nous gagnerons, parce qu'il n'y a pas d'Union européenne sans la France. Ce discours sera entendu par nos partenaires.»

C'est-à-dire imposer notamment la suppression du traité budgétaire avec sa règle d'or. Rappelons qu'il s'agissait également d'une promesse de campagne de François Hollande en 2012. Et si nos partenaires européens refusent de sortir de ces traités, voici le Plan B concocté par LFI:

«Nous le ferons quand même, ce n'est pas nous qui sortons de l'Union européenne, c'est eux s'ils ne sont pas d'accord.»

Il s'agirait ni plus ni moins de l'explosion de l'UE. C'est pourquoi les Insoumis n'ont pas beaucoup fait de publicité sur le Plan B, qui risquait d'effrayer les pro-Européens. Mais alors, ne pourrait-on pas appeler ça du souverainisme? Younous Omarjee rejette à grands cris ce terme, beaucoup trop connoté selon lui et rappelant la liste Pasqua-Villiers aux élections européennes de 1999. Il se définit comme: «pas souverainiste, mais attaché à la souveraineté et aux frontières». C'est tout à fait plausible, d'autant plus que le programme économique de LFI ne prévoyait pas la suppression de l'euro, seulement une modification des statuts de la Banque Centrale Européenne.

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L'Europe est d'ailleurs le cheval de bataille de Younous Omarjee, qui s'est fait connaître sur les réseaux sociaux par des opérations de communication sur les problématiques auxquelles il est attaché: les Outre-Mer, l'écologie, la pêche et la cause animale. D'ailleurs, il a été élu par le Parliament Magazine meilleur député européen en 2018 pour son action en faveur de «la politique régionale, et son engagement pour la défense des régions les moins développées et des régions ultrapériphériques et insulaires». Au-delà de l'influence de plus en plus importante du député auprès de l'opinion publique, rappelons le peu de pouvoirs que détient le Parlement européen face à la Commission européenne ou au Conseil. Ainsi, Omarjee se félicitait-il devant moi de l'adoption de l'amendement 303, qu'il a signé le premier et qui interdisait la pêche électrique:

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Une interdiction qui est toutefois soumise à des négociations avec la Commission et le Conseil qui ont le dernier mot. Résultat, l'interdiction de la pêche électrique, ce n'est pas pour maintenant. Difficile après d'encourager les éventuels abstentionnistes à se déplacer pour aller voter en mai 2019 pour des députés qui finalement, n'ont que peu de réelles attributions. Ce à quoi il me répond:

«Être député européen, c'est aussi lancer l'alerte sur la collusion avec les lobbies, j'ai fait paraître un livre noir sur le lobby du tabac. Je pense que tout le monde convient qu'il y a des collusions extrêmement toxiques entre la Commission européenne et le lobby du tabac.»

Un problème qui n'est pas que français, donc…

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