«Je suis la première journaliste syrienne à avoir porté le pare-balles et casque, à avoir été arrêtée et à avoir été capturée. Je fais partie en outre des premiers journalistes syriens blessés en mission», relate Yara Saleh. Cette présentatrice de 32 ans de la chaîne publique Al-Ikhbariya a rejoint le terrain huit mois après le début du conflit, éclaté en mars 2011, et a accompagné les troupes gouvernementales pendant deux ans et demi.
«L’activité armée a pris de l’ampleur et les troupes ont entamé l’assaut de villes et il y avait beaucoup de désinformations sur les régions où elles entraient. On accusait l’armée de voler, détruire, violer et massacrer. À chaque fois, le seul coupable était l’armée syrienne et chaque victime la population civile pacifique. Alors, nous sommes allés accompagner l’armée pour documenter son entrée dans n’importe quelle ville pour véhiculer l’image de ce qui se passe sur le terrain dès les premiers instants. D’abord c’était ça notre rôle. Ce n’est qu’après que nous avons reçu le nom de correspondants de guerre. Nous-mêmes, on ne le réalisait pas, on était là pour couvrir les faits», explique-t-elle à Sputnik.
Ce n’est qu’en 2013 qu’à travers le monde on a commencé à reconnaître que ceux qui étaient initialement présentés comme révolutionnaires pacifiques étaient en réalité armés, raconte-t-elle. Dès 2011, avec son équipe de tournage, elle a cherché à prouver la présence d’armes chez l’autre partie du conflit, puis prouver que ces armes n’étaient pas que défensives, mais celles d’une agression. «Les gens se faisaient tuer, par exemple ceux qui ont été abattus et jetés dans l’Oronte. Il s’agit donc d’assassinats. Notre but était de le révéler».
Région de Damas, nord de Deraa — berceau du conflit —, Idlib et Deir ez-Zor, mais aussi les gouvernorats de Homs, de Hama et de Lattaquié — telle est la carte approximative de son parcours long de plus de deux ans, période comparable à la durée du service militaire en Syrie. Lors de ces missions, elle et son équipe de tournage ont été plusieurs fois la cible de groupes armés, assure Yara qui dit en outre avoir vu pendant ces longs mois la mort, les destructions, mais aussi la peur de la population des agglomérations tombées sous le contrôle de ceux qui se donneront ensuite le nom d’Armée syrienne libre (ASL).
L’enfer de la captivité par l’ASL
«Le cheikh des terroristes a rendu un avis religieux nous condamnant à mort. Puis, ils ont reçu l’ordre de laisser en vie les journalistes pour ensuite les échanger contre des terroristes, mais Hatem avait déjà été tué», se souvient-elle. Sa voix commence à trembler et des larmes jaillissent aux coins de ses yeux.
Comme elle le confie, la première question posée par les membres de l’ASL, parmi lesquels figurait un Saoudien, portait sur l’appartenance religieuse des journalistes. «L’esprit takfiriste était bien présent. Moi, on m’a imposé le voile et ils m’ont obligée à couvrir mon corps. Ceux même qui avaient appelé à la liberté en Syrie […] m’ont forcée à prier. Leur second nom est Daech* car ils ne diffèrent en rien d’eux».
«Son visage reste devant mes yeux, comment ils l’ont traîné vers l’exécution», relate la journaliste. Elle dit qu’avant qu’il ne soit assassiné, les radicaux ont demandé si quelqu’un voulait sacrifier sa vie pour le sauver et qu’elle avait proposé que ce soit elle. «C’était sincère je me considère responsable de l’équipe. Puis, après notre libération sa mère est venue me demander où était son fils qui était parti en mission avec moi. C’est extrêmement difficile».
Elle assure que la haine qu’elle avait vue durant sa captivité elle n’aurait jamais pu l’imaginer chez qui que ce soit en Syrie.
«Je me disais que c’est impossible qu’un Syrien en tue un autre. J’étais persuadée que ce n’étaient pas les Syriens. Or, j’ai découvert que c’étaient des Syriens, certains étudiaient avec moi [avant la guerre, ndlr]», précise Yara.
15 jours après sa libération, Yara reprendra ses missions. Elle apprendra la mort de sa collègue Yara Abbas, verra un éclat blesser son camarade puis, au bout de deux ans et demi, décidera d’arrêter.
«J’ai commencé à me sentir coupable du sort de mes collègues. Peut-être mon courage excessif a poussé les garçons à me suivre, je me sentais coupable. Puis m’a mère m’a priée d’arrêter, son cœur n’était jamais en paix. Mais la cause n’est pas finie et il y a une nouvelle génération de journalistes qui ont pris la relève», clôt-elle son témoignage.
* Daech est une organisation terroriste interdite en Russie