Sommet Merkel-Macron: l’hypocrisie du couple franco-allemand dans une UE en «délitement»

Accord historique ou moment de vérité, les qualificatifs pour définir la réunion entre Macron et Merkel ne manquent pas. Le premier crie victoire, la seconde se rassure. Mais le couple franco-allemand n’annonce-t-il pas des réformettes à des fins de politique intérieure alors que la fragile UE s’embrase autour de la question migratoire?
Sputnik

À une semaine du sommet européen qui réunira à Bruxelles les dirigeants des pays membres de l'UE, le couple franco-allemand a tâché de faire de grandes annonces. Si la communication est une nouvelle fois maîtrisée, elle pourrait ne plus suffire. En effet, aussi bien sur l'immigration que sur la zone euro, les partenaires européens risquent de ne pas se satisfaire de ce qui ressemble davantage à de mauvais effets d'annonce qu'à des solutions que certains confrères ont qualifiées d'«historiques».

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En effet, la crise migratoire est plus que jamais au centre de la politique en Union européenne avec les dernières élections remportées par les nationaux-populistes, notamment en Italie, qui, rappelons-le, est la troisième force de l'UE. Après le coup de com' élyséen autour de Mamoudou Gassama, l'affaire de l'Aquarius a mis le feu aux poudres et de nouvelles directions étaient attendues.

Et si l'immigration est au cœur d'un conflit politique en Allemagne, qui affaiblit considérablement Angela Merkel, Emmanuel Macron, lui, va-t-il finalement se dresser en Jupiter et devenir le leader de l'UE en imposant les réformes de la zone euro si chères à son cœur?

Christophe Réveillard, enseignant chercheur à l'Université de la Sorbonne et à Science-Po, analyse cette réunion au sommet qui s'est déroulée le 19 juin.

Sputnik France: Quelle analyse générale faites-vous de ce sommet, dit «historique»?

Christophe Réveillard: «Tout d'abord, ces annonces sont des propositions. On va voir lors du conseil européen des 28 et 29 juin prochain comment ces propositions vont être reçues. Il faut vraiment se rendre compte que ces propositions restent très vagues et très générales et on ne sait pas vraiment à quoi elles vont correspondre. On a aussi l'impression que, derrière ces déclarations un peu tonitruantes, c'est la dernière chance avant le délitement de l'UE. Et finalement, je pense que ces propositions ont été motivées pour des questions de politiques intérieures.»

Sputnik France: Concernant l'immigration, Macron et Merkel considèrent que les réponses doivent être européennes, comme l'indique le Président de la République dans un tweet. Cela va-t-il satisfaire les pays qui subissent la crise migratoire de plein fouet?

​Christophe Réveillard: «Non, absolument pas. Lorsqu'on évoque la création d'un office européen d'asile, c'est-à-dire aller encore plus loin dans la répartition des migrants, alors même qu'un nombre conséquent de pays en Europe refuse le précédent système, c'est ce qui s'appelle une fuite en avant. Quand on connaît la position du groupe de Višegrad, l'Autriche et l'Italie également, proposer un échelon supplémentaire dans l'accueil des migrants —parce que cet office de l'asile est très clairement une étape avant le statut de réfugiés puis l'acquisition de la nationalité ou le statut d'immigré permanent sur les territoires nationaux- pourquoi aller plus loin? Le renforcement de Frontex, cela ressemble vraiment à une plaisanterie quand on sait qu'Angela Merkel a fait venir un million de migrants […] et que la France s'est servie de l'Italie comme d'une chambre d'enregistrement.»

Sputnik France: Emmanuel Macron et Angela Merkel répondent donc par plus de fédéralisme à des pays qui veulent stopper l'immigration par des solutions nationales?

Christophe Réveillard: «En effet, il y a cette question de traiter à l'échelon européen des aspects qui sont proprement nationaux. On voit bien combien l'Union européenne est très forte pour faire en sorte que les migrants viennent, mais elle est incapable de gérer à la fois le flux migratoire et la question des frontières. C'est cela qui est très important à comprendre dans le leurre que représenterait le renforcement de Frontex.

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Il y a une autre décision également, c'est de dire qu'en renforçant les accords de Schengen, on ferait en sorte de refouler tous demandeurs d'asile vers l'État où il a été enregistré en premier. Là aussi, on va repousser, sur les frontières de l'UE, mais à l'intérieur de l'UE, le problème. Or, ce sont ces pays-là, l'Italie pour la Méditerranée et la Hongrie pour l'Europe centrale, qui sont justement ceux qui sont le plus demandeurs de renforcement de la politique migratoire par des politiques nationales. Donc on est, comme d'habitude avec le projet fédéraliste européen, en pleine tentative d'échappatoire vis-à-vis de la réalité. Sans compter l'aspect légèrement iconoclaste pour ne pas dire hypocrite. À partir du moment où l'on veut conserver les principes de droit d'asile et d'immigration, mais qu'on fasse en sorte que cela soit les pays de la frontière qui en supportent le coût, la France et l'Allemagne finalement veulent apparaître comme des pays respectant les pseudo valeurs de l'UE sans en supporter le coût eux-mêmes. Et cela sera, de tout, façon, très mal accepté par au moins la moitié des États de l'UE lors du prochain Conseil européen.»

Sputnik France: Ce discours n'est-il pas en contradiction avec celui tenu par Macron lorsqu'il a reçu Giuseppe Conte?

Christophe Réveillard: «Bien sûr que le discours était différent. Il fallait d'abord effacer, pour Emmanuel Macron, la très mauvaise séquence des qualificatifs pas très agréables lancés à la tête Président du Conseil italien, donc on a donné l'illusion d'une réconciliation. Mais cette réconciliation s'est faite en partie sur le transfert vers l'Espagne, puisque le futur hub migratoire est l'Espagne avec son nouveau gouvernement socialiste tout à fait ouvert à l'immigration et au droit d'asile. Mais en réalité, ce n'est pas résoudre le problème, mais le transférer à un pays qui est ouvert à l'immigration de masse. On ne résout pas les problèmes de cette façon-là. L'Espagne a, comme tous les pays du monde, une limite pour accueillir des populations immigrées qui sont de culture, de mentalité et de religion totalement différentes de celles de l'Europe.»

Sputnik France: Concernant le budget commun, Bruno Lemaire considère que «l'accord trouvé hier entre le président Emmanuel Macron et Angela Merkel est historique pour la zone euro!» C'est aussi votre avis?

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Christophe Réveillard: «Oui, c'est historique dans le sens où cela fait très longtemps que la France voulait créer un budget de la zone euro, mais au risque de me répéter, là aussi c'est une échappatoire. La création d'un budget commun de la zone euro va servir à quoi exactement, à partir du moment où il existe déjà un budget de l'UE? C'est une demande notamment de la Commission, et par ce nombre réduit de pays, on espère créer un vrai gros budget de l'UE. Mais beaucoup d'États membres de la zone euro n'en veulent pas. Donc, nous avons des pays —et pas seulement le Royaume-Uni qui s'en va pour ces raisons-là- qui demandent une réduction budgétaire et on parle finalement de créer un nouveau budget qui viendrait s'additionner au budget de l'UE, qui serait soit tiré d'une taxe sur les transactions commerciales au sien du marché intégré, soit directement des contributions des États membres.

Et la deuxième question qu'on se pose, c'est, pour quoi faire? La Banque centrale européenne, qu'on dit indépendante, notamment de la Commission, est en réalité totalement dépendante des marchés financiers. Donc ce budget de la zone euro, c'est peut-être un nouveau fromage que l'on crée pour les prédateurs financiers, les spéculateurs et également les investisseurs institutionnels. On est sur quelque chose qui est tout à fait aberrant.»

Sputnik France: Est-ce une mesurette accordée par Angela Merkel ou une «victoire» pour Emmanuel Macron? Ce dernier ne souhaitait-il pas un parlement de la zone euro, un ministre européen de l'Économie et un budget de plusieurs points du PIB?

Christophe Réveillard: «Oui, c'est exactement cela. Nous sommes sur deux recherches absolues d'effets d'annonce. Pour Emmanuel Macron, pour ne pas se dédire de son programme [budget commun de la zone euro, ndlr] par rapport à ces «grands chantiers» de son quinquennat. Et pour Angela Merkel, on est vraiment en situation de sauvetage de sa coalition [par rapport à la question des migrations et de son différend avec le ministre de l'Intérieur allemand, ndlr].

Quant à la réalité, à l'application, il faudra déjà pour ces deux chefs d'État passer le cap du Conseil européen. Nous verrons bien ce qu'auront subi, en limitations et en relativisation, ces propositions, qui elles-mêmes, rappelons-le, sont extrêmement vagues.»

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