Non pas que les déclarations de Roumen Radev soient un scoop — cela fait longtemps qu'il parle du rétablissement du partenariat énergétique avec la Russie. Le plus intéressant est ailleurs.
Tout le monde se souvient de la manière dont la Bulgarie avait montré sa solidarité avec l'UE et l'Otan en renonçant au gazoduc South Stream en 2014 (et par la même occasion à près de 0,5 milliard de dollars par an). Tout le monde se souvient aussi qu'il y a quelque temps, la Bulgarie avait héroïquement renoncé à la centrale nucléaire en question (et avait été condamnée pour cela à verser une indemnisation de 600 millions d'euros à la Russie).
Tout cela était fait «avec fierté», selon Roumen Radev, par ces mêmes responsables bulgares qui veulent aujourd'hui être amis avec la Russie.
Pour mieux comprendre la situation, il faut revenir à fin 2014-début 2015, dans un monde complètement différent.
C'était un monde où la Russie, qui avait pris ses aises, avait enfin dû payer pour son insolence. Ayant osé reprendre la Crimée suite à un référendum auprès de sa population, la Russie a été frappée par les sanctions et par l'effondrement du prix du baril, qui a dégringolé de 115 à 40 dollars. Barack Obama avait alors déclaré avec satisfaction que «l'économie de l'ours en papier était en lambeaux».
Il était évident en Europe de l'Est que la Russie fléchirait et qu'elle transporterait avec obéissance son gaz via l'Ukraine (voire rendrait la Crimée à l'Otan et paierait des réparations).
Tout comme il était évident que l'UE fléchirait également et que très bientôt, après la signature du Partenariat commercial transatlantique, les instances américaines annuleraient à leur guise les lois des pays européens.
Et ainsi de suite.
On ne peut pas dire que c'était très réjouissant pour la Bulgarie, par exemple. Non, il n'y avait aucune joie à voir que le pays qui rêvait de devenir un hub gazier n'était plus rien du tout. Il n'y avait aucune joie à comprendre que sa patrie resterait à la périphérie de l'alliance militaro-politique et que toute la jeunesse et les perspectives continueraient de s'enfuir.
Mais les élites nationales de l'époque du «Fukuyama mondial» sont précisément intéressantes dans le sens où elles ont appris à vivre et à se réjouir même en plein désespoir. Certes, nous vivons à la périphérie. Certes, nous faisons face à une dépopulation. Certes, toutes les décisions sont prises à notre place et nous pouvons seulement nous soumettre à la hiérarchie du Maître en faisant preuve de docilité et d'assiduité. Mais, premièrement, on n'y peut rien. Deuxièmement, le Maître ne fait pas attention à ceux qui sont dociles et assidus. On peut donc garder sa place et au moins construire des plans personnels pour l'avenir.
Ainsi, une chose très simple s'est produite en trois ans et demi.
Les élites des petits pays ont découvert tout à coup que la hiérarchie à laquelle ils avaient prêté serment ne semblait plus si globale, voire s'effondrait, et qu'ils ignoraient à quel acteur majeur prêter serment cette fois. Et qu'arriverait-il s'ils prêtaient serment à l'un d'eux mais qu'un autre prenait le dessus demain?
Et c'est là (à contrecœur) que les élites ont commencé à se souvenir de la notion exotique, déjà oubliée et quelque part effrayante, de l'intérêt national. Elles ont tenté de commencer à partir de là où cette notion archaïque et obsolète avait été oubliée.
Certes, cela fait rougir de reconnaître que la Russie, en lambeaux et écrasée, de laquelle il était à la mode de se moquer dans les capitales d'Europe de l'Est, avait raison. Et ils ne sont pas très à l'aise de proposer de tout oublier pour recommencer à partir de là où eux-mêmes, il y a quelques années, s'étaient pris au jeu de l'arrogance occidentale.
Mais si la presse allemande écrit à propos de la chancelière Angela Merkel que «pendant que le Président américain déstabilise le monde: elle s'adresse à un partenaire stable — la Russie», alors l'élite des petits pays n'a plus à avoir honte du tout.
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