Un coup contre la hiérarchie mondiale: la Russie a-t-elle poussé les Européens au pire?

Dans la succession de dirigeants étrangers qui rendent actuellement visite à Vladimir Poutine à Sotchi, le Président bulgare Roumen Radev s'est distingué: il a notamment souhaité qu’un gazoduc direct depuis la Russie soit construit vers la Bulgarie.
Sputnik

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Lors de la rencontre avec Vladimir Poutine à Sotchi le chef de l'Etat bulgare Roumen Radev a avancé deux propositions. Il a déclaré que la Bulgarie voudrait construire un gazoduc direct depuis la Russie — le Bulgarian Stream. Et c'est normal: «Ces aspirations ne se distinguent en rien des intentions de l'Allemagne de construire le Nord Stream 2». Mais il a également soulevé de nouveau le thème de la construction (par la Russie, naturellement) de la centrale nucléaire de Béléné. «C'est un bon pas, un signe de réalisme et de maturité. Il fut un temps où ces mêmes politiciens étaient fiers de la suspension du projet», a fait remarquer le Président bulgare.

Non pas que les déclarations de Roumen Radev soient un scoop — cela fait longtemps qu'il parle du rétablissement du partenariat énergétique avec la Russie. Le plus intéressant est ailleurs.

Tout le monde se souvient de la manière dont la Bulgarie avait montré sa solidarité avec l'UE et l'Otan en renonçant au gazoduc South Stream en 2014 (et par la même occasion à près de 0,5 milliard de dollars par an). Tout le monde se souvient aussi qu'il y a quelque temps, la Bulgarie avait héroïquement renoncé à la centrale nucléaire en question (et avait été condamnée pour cela à verser une indemnisation de 600 millions d'euros à la Russie).

Tout cela était fait «avec fierté», selon Roumen Radev, par ces mêmes responsables bulgares qui veulent aujourd'hui être amis avec la Russie.

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Question: qu'a-t-il pu se produire en trois ans et demi pour que toute l'élite de cette jeune démocratie européenne ait tout à coup honte de ce qui faisait sa fierté jusque-là?

Pour mieux comprendre la situation, il faut revenir à fin 2014-début 2015, dans un monde complètement différent.

C'était un monde où la Russie, qui avait pris ses aises, avait enfin dû payer pour son insolence. Ayant osé reprendre la Crimée suite à un référendum auprès de sa population, la Russie a été frappée par les sanctions et par l'effondrement du prix du baril, qui a dégringolé de 115 à 40 dollars. Barack Obama avait alors déclaré avec satisfaction que «l'économie de l'ours en papier était en lambeaux».

Il était évident en Europe de l'Est que la Russie fléchirait et qu'elle transporterait avec obéissance son gaz via l'Ukraine (voire rendrait la Crimée à l'Otan et paierait des réparations).

Tout comme il était évident que l'UE fléchirait également et que très bientôt, après la signature du Partenariat commercial transatlantique, les instances américaines annuleraient à leur guise les lois des pays européens.

Et ainsi de suite.

On ne peut pas dire que c'était très réjouissant pour la Bulgarie, par exemple. Non, il n'y avait aucune joie à voir que le pays qui rêvait de devenir un hub gazier n'était plus rien du tout. Il n'y avait aucune joie à comprendre que sa patrie resterait à la périphérie de l'alliance militaro-politique et que toute la jeunesse et les perspectives continueraient de s'enfuir.

Mais les élites nationales de l'époque du «Fukuyama mondial» sont précisément intéressantes dans le sens où elles ont appris à vivre et à se réjouir même en plein désespoir. Certes, nous vivons à la périphérie. Certes, nous faisons face à une dépopulation. Certes, toutes les décisions sont prises à notre place et nous pouvons seulement nous soumettre à la hiérarchie du Maître en faisant preuve de docilité et d'assiduité. Mais, premièrement, on n'y peut rien. Deuxièmement, le Maître ne fait pas attention à ceux qui sont dociles et assidus. On peut donc garder sa place et au moins construire des plans personnels pour l'avenir.

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C'est pourquoi le gouvernement bulgare a immédiatement, et sans broncher, renoncé à Béléné et à South Stream. Pas parce qu'il n'avait pas besoin d'argent, mais parce qu'il avait bien assimilé la maxime «un tiens vaut mieux que deux tu l'auras» et l'idée selon laquelle le bonheur consiste à ne pas irriter le patron. Et il était fier d'avoir réussi à nuire à son pays pas seulement de manière docile, mais en montrant démonstrativement sa solidarité et son sacrifice. Parce que pour chaque ministre ou député ayant participé à ce processus, leur servitude était prise en compte et ouvrait des perspectives de carrière dans les structures de gestion mondiales. Au sein de l'UE, de l'Otan, de l'Onu et même dans les entreprises — on ne sait jamais (n'oublions pas qu'un tel nombre d'organisations internationales était nécessaire pour encourager et placer les élites nationales).

Ainsi, une chose très simple s'est produite en trois ans et demi.

Les élites des petits pays ont découvert tout à coup que la hiérarchie à laquelle ils avaient prêté serment ne semblait plus si globale, voire s'effondrait, et qu'ils ignoraient à quel acteur majeur prêter serment cette fois. Et qu'arriverait-il s'ils prêtaient serment à l'un d'eux mais qu'un autre prenait le dessus demain?

Et c'est là (à contrecœur) que les élites ont commencé à se souvenir de la notion exotique, déjà oubliée et quelque part effrayante, de l'intérêt national. Elles ont tenté de commencer à partir de là où cette notion archaïque et obsolète avait été oubliée.

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Il est logique que, dans cette remémoration de la souveraineté, les commis ratés de l'Empire mondial du Maître se retrouvent à leur grande surprise en Russie. Elle aussi, forcée à le faire en grande partie, est devenue pionnière du processus. Et certains résultats sont déjà là (après plusieurs années d'isolement auquel l'Europe de l'Est a participé avec enthousiasme). Par ailleurs, elle a joué un rôle notable dans le fait que la hiérarchie globale a été multipliée par zéro.

Certes, cela fait rougir de reconnaître que la Russie, en lambeaux et écrasée, de laquelle il était à la mode de se moquer dans les capitales d'Europe de l'Est, avait raison. Et ils ne sont pas très à l'aise de proposer de tout oublier pour recommencer à partir de là où eux-mêmes, il y a quelques années, s'étaient pris au jeu de l'arrogance occidentale.

Mais si la presse allemande écrit à propos de la chancelière Angela Merkel que «pendant que le Président américain déstabilise le monde: elle s'adresse à un partenaire stable — la Russie», alors l'élite des petits pays n'a plus à avoir honte du tout.

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