Référendum sur l’immigration: la France est-elle partante?

Selon un sondage récent, de plus en plus de Français souhaitent être consultés sur la politique migratoire de leur pays. Les partis de droite ont capté cette tendance et avancent une initiative de référendum sur l’immigration. Aura-t-il finalement lieu? Sputnik a demandé l’avis d’un académicien russe.
Sputnik

Ces derniers temps, plusieurs ténors de la droite ont intensifié leurs efforts visant à organiser un référendum au sujet de l'immigration. Cette initiative peut trouver un écho dans la société française puisque, selon un sondage de l'Institut français de l'opinion publique (Ifop) réalisé fin avril, 76% des Français se disent favorables à une telle consultation. Youri Roubinski, directeur du département français de l'Institut de recherches européennes de l'Académie des sciences de Russie, a confié à Sputnik sa vision sur l'avenir de cette initiative.

Une suite sera-t-elle donnée à l'initiative de la droite?

Loi asile: les migrants au pair, «esclavage moderne» ou «appel d’air à l’immigration»?
Plusieurs forces politiques françaises avancent l'initiative de l'organisation d'un référendum sur le thème de l'immigration. Elle a déjà conduit au rapprochement entre Debout la France et le Front National, dont la présidente Marine Le Pen avait signé le 11 mai le projet proposé par Nicolas Dupont-Aignan, leader de DLF, qui entend notamment interroger les Français sur plusieurs questions, dont le rétablissement des contrôles aux frontières nationales, le vote chaque année de quotas pour réduire l'immigration légale, la limitation du regroupement familial ou l'expulsion systématique des clandestins ayant commis un crime ou un délit.

Selon Nicolas Dupont-Aignan, il s'agit de «la seule consultation citoyenne qui vaille».

Malgré de vives discussions sur l'organisation d'un référendum sur l'immigration, Youri Roubinski estime qu'elle pour l'heure peu probable. Cela s'explique par le fait que les partisans de cette initiative n'ont pas assez de soutien au sein de l'Assemblée nationale. Par ailleurs, selon le politologue russe, elle est d'autant moins possible que le Président français entend organiser un autre référendum afin de réformer le fonctionnement du Parlement.

«[Emmanuel Macron, ndrl] a une majorité inébranlable à l'Assemblée nationale[…] Il prône actuellement un référendum sur une révision de la Constitution. Il n'est pas possible d'organiser un autre référendum sur une question aussi sensible et épineuse. Je n'estime pas que le Président, le gouvernement et la majorité macronienne acceptent ce référendum. Sans cela il n'est pas viable», a-t-il expliqué.

Néanmoins, cette initiative pourrait obtenir un large soutien populaire. Selon un sondage réalisé fin avril par l'Ifop, 76% des Français souhaitent être consultés par référendum sur la politique migratoire de la France. Ce n'est pas la première fois que l'idée d'un tel référendum est évoquée en France. En 2014, après que les Suisses ont voté en faveur de la limitation de «l'immigration de masse», Marine Le Pen a appelé la France à suivre leur exemple.

«S'il y avait en France un référendum sur ce même sujet, les Français voteraient très largement pour l'arrêt de l'immigration de masse», avait-elle alors martelé.

Un problème national déterminant

Ne pouvant ignorer l'importance du problème de l'immigration et l'ambiance dans la société concernant cette question, le Président et le gouvernement français durcissent leur politique migratoire, estime Youri Roubinski.

«Il [Emmanuel Macron, ndlr] ne se décidera pas à une libéralisation. Il n'estime pas qu'il faut libéraliser la politique d'accueil des migrants et leur intégration», a-t-il expliqué.

Loi Asile et immigration: «Se contenter de parquer les migrants, c’est juste schizophrène»
Un exemple éloquent d'une telle ligne du gouvernement est le projet de la loi «Asile et immigration» proposé par Gérard Collomb, ministre de l'Intérieur, et votée le 22 avril en première lecture à l'Assemblée nationale.

Bien qu'approuvé par les parlementaires français, ce projet est critiqué sur tous les fronts. Tandis que les partisans de gauche lui reprochent son caractère répressif, ceux de droite estiment qu'il ne peut pas résoudre le problème de fond. Selon Laurent Wauquiez, le président des Républicains, le projet Collomb «ne comporte aucune mesure sérieuse qui permette de réguler l'explosion de l'immigration». Nicolas Dupont-Aignan, à son tour, l'a qualifié de «creux» et «d'inefficace». Les députés de gauche ont, quant à eux, qualifié ce projet d'«inhumain». Ils dénoncent des dispositions telles que la réduction des délais de procédure d'asile et la lutte contre l'immigration irrégulière.

L'expert russe estime que cette loi sera finalement adoptée par le Sénat.

«Il est possible qu'elle soit adoptée avec des amendements. Il sera nécessaire de la modifier. La majorité au Sénat appartient aux Républicains, mais les Républicains du Sénat sont plus modérés[…] Ils débattront, en consentant à quelques modifications, mais j'estime qu'il est peu probable que cette loi soit enterrée», a-t-il expliqué.

Selon lui, cette question est également primordiale pour l'ensemble de l'Union européenne et sera vivement discutée à l'approche des législatives européennes.

«Quelles seront les lois européennes sur cette question? Il y aura une bataille acharnée autour de ce sujet lors de la campagne pour les élections européennes», estime-t-il.

Selon lui, à l'approche de ce vote, Emmanuel Macron peut tenter d'unir les partis européens du centre dans une liste électoral afin de promouvoir un projet semblable à la loi «Asile et immigration» au niveau européen. La nouveauté inventée par les législateurs français réside dans la distinction entre les notions d'«asile» et d'«immigration».

«Dans la loi "Asile et immigration" qu'ils ont voté [à l'Assemblée nationale, ndlr] il était difficile de distinguer ces deux notions. Mais ils tenteront d'inscrire cette loi et son application non seulement dans la législation française mais aussi dans le système législatif de l'ensemble de l'UE», a précisé M. Roubinski.

La France et le dilemme du multiculturalisme

Loi asile-immigration, le moment populiste de LREM?
Au-delà des questions législatives, il y a celles politiques et idéologies, dont le sort du multiculturalisme en France. Youri Roubinski estime que les réalités françaises ne sont pas favorables à la politique du multiculturalisme qui, selon lui, implique «la possibilité des minorités religieuses, nationales et culturelles de créer leurs structures, grâce auxquelles elles peuvent maintenir des relations avec l'État».

«Le multiculturalisme dont je vous ai parlé n'a pas d'avenir en France», a-t-il martelé.

D'après M. Roubinski, ni la société française, ni les élites politiques ne sont prêtes à une telle forme de multiculturalisme, le gouvernement cherchant à limiter les liens internationaux des organisations religieuses et culturelles présentes en France.

«L'ambiance dans le pays est telle que les possibilités de multiculturalisme ambitieux qui prévoit […] l'extension des droits des minorités religieuses, nationales, culturelles […] ne trouve de sympathie ni dans l'opinion public ni au sein du parti au pouvoir. [Emmanuel] Macron lui-même a une attitude sceptique», a souligné l'expert russe.

Lors de sa campagne présidentielle, Emmanuel Macron a lancé: «Il n'y a pas de culture française. Il y a une culture en France. Elle est diverse». Pour ses propos, il a été farouchement critiqué de tous les côtés. Plus tard dans une interview pour le journal Causeur, le candidat d'En Marche! a opéré un revirement sur cette question en déclarant que «la France n'a jamais été et ne sera jamais une nation multiculturelle».

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.

Discuter